Scènes de banquets et de festins

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Compte tenu de la précarité fréquente des rations alimentaires « pour les gens du bas Moyen Âge comme pour ceux des siècles précédents, les festins constituent de nécessaires compensations » remarque Jean Verdon ( 2007, p. 119).
Ces repas plantureux constituent des moments de pause. Malheureusement les renseignements concernent surtout les festins de la haute société. Les repas populaires améliorés sont souvent cités, par exemple lors des nombreuses fêtes qui se déroulent tout au long de l’année, mais ils ne donnent pas lieu à d’amples développements. Ainsi la documentation privilégie les agapes des riches bourgeois et des grands seigneurs, au détriment des petites gens.
  Chez les grands de ce monde, comme chez les bourgeois qui peuvent se le permettre, le repas de fête ou d’apparat est donné à l’occasion de noces, d’alliances, de victoires, de naissances ou de tout autre événement important.
Au Moyen Âge les banquets ont une fonction-clé : la distinction sociale. Servir à des invités de rang social élevé des mets variés, abondants, soignés sur des nappes fines manifestera la richesse et le rang du maître des lieux.

Scène de banquet.
Les images disponibles de l’âge roman montrent des tables peu garnies. En fait d’ustensiles, on ne trouve, à côté de quelques boules de pain, que des cruches , des écuelles et des plats ronds et creux.

cana airvault Chapiteau de la nef romane de l’abbatiale saint-Pierre d'Airvault, Deux-Sèvres.

Une scène de banquet apparemment ordinaire ?
Trois personnages sont attablés de front. L’homme au bonnet carré au centre de la scène montre un poisson posé sur une tranche de pain. Les autres convives portent une coiffe ronde. Celui de gauche tient un grand couteau et semble s’apprêter à manger une bouchée de pain. De chaque côté de la table des serviteurs : l’un apporte un plat, l’autre une cruche.
Cette scène de repas, a pu parfois être identifiée comme un épisode de la Bible : les noces de Cana, mais où est Marie disant à son fils : « ils n'ont plus de vin » ?

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  • La table romane est relativement sobre. On n'y entasse pas quantités d'objets comme il sera d'usage à l'époque Moderne. Des pains ronds sont entamés sur la table. Il n’y a pas de fourchette, celle-ci n’était pas utilisée à l’époque.

andlau a Elément de frise de l’ancienne abbatiale d'Andlau, Bas-Rhin.
Sur cet élément de la célèbre frise courant le long des murs de l'abbatiale trois convives, un homme et deux femmes, sont attablés avec devant eux divers ustensiles et couteaux.

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Eglise abbatiale d'Andlau, Bas-Rhin.
Le premier serviteur apporte une soupière…

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Eglise abbatiale d'Andlau, Bas-Rhin.
…. pendant ce temps là l’échanson remplit des gobelets.


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Eglise abbatiale d'Andlau, Bas-Rhin.
Pour ces classes sociales bien manger signifie semble-t-il manger beaucoup: un autre serviteur apporte un nouveau plat.

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Eglise abbatiale d'Andlau, Bas-Rhin.
Linge sur le bras et sur l’épaule un serviteur apporte encore un nouveau met. L’imagier à l’origine de cette frise de l’ancienne abbaye d’Andlau nous offre une rare représentation sculptée pleine de vie.


Un repas aristocratique au XIIe siècle.
La consommation ostentatoire aristocratique se manifeste notamment dans la nourriture abondante et variée servie aux invités. Il est admis que l’on mange d’autant plus et mieux que l’on s’élève dans la hiérarchie sociale.

escurial Scène de banquet. Détail d’une page enluminée extraite du ‘’Bréviaire d’amour’’ de Maître Ermengaut. de la fin du XIIe siècle. Bibliothèque royale de l’Escurial, Madrid.

Les convives sont installés le long d'une table, dont on remarquera qu’ils n'occupent qu'un seul côté. Sauf chez les plus démunis qui n’en possèdent pas le tranchoir est posé sur un tailloir, simple planchette de bois ou plaque de metal précieux de forme circulaire ou rectangulaire.

Les plats fort goûteux que confectionnent les maîtres-queux des grandes maisons prennent place à différents moments du repas, qui constituent autant de
services.
Dans un festin de quelque tenue, le service des rôtis succède ainsi à celui des potages, terme qui désigne toutes sortes de mets mijotés que l'on mange souvent dans une écuelle. Les divers services sont séparés par ce que l’on appelle les
“entremets”.
Pour finir interviendront « 
desserte, issue et boute-hors  ».

Il faut préciser qu’à chacun des services plusieurs mets sont disposés en même temps sur la table : il n'est donc pas possible à chaque convive de goûter à tous les plats, qui sont trop nombreux pour cela. Les invités les plus modestes en sont ainsi réduits à manger les plats qui se trouvent au plus près d'eux…Là encore tout dépend étroitement de la position de chaque convive sur l’échelle sociale.

Les gens de cuisine faisaient de chaque plat une œuvre d’art en utilisant des denrées chères et prestigieuses comme les épices et en jouant avec les montages et les couleurs.
D’autre part, les cuisiniers d’alors accordent une importance extrême à l’effet visuel de leurs préparations. Ils ne souhaitent pas laisser aux aliments leur couleur naturelle, mais les dotent de couleurs brillantes et agréables. La
couleur est un élément capital dans la composition des mets. Les recettes insistent beaucoup sur ce point.
Encore faut-il rappeler que l’utilisation des
épices n’apparaît pas uniforme et dépend de la diversité sociale. Les plus fortunés recouperont à des épices rares et les gens de condition modeste se contentent d’herbes odoriférantes, telles que persil, marjolaine, fenouil, menthe, ou encore de bulbes comme l’ail ou l’oignon. Ne disait-on pas à l’époque que les paysans étaient des mangeurs d’aulx et d’oignons !!!

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Détail d’une page enluminée extraite du ‘’Bréviaire d’amour’’ de Maître Ermengaut. de la fin du XIIe siècle. Bibliothèque royale de l’Escurial, Madrid.

Un ensemble de distractions- musiciens, jongleurs - vient agrémenter tout banquet aristocratique. Dans l’enluminure du bréviaire d’amour rapportée ci-dessus les personnages se livrent ensuite à la danse, une activité peu prisée par l’institution dominante de l’époque qu’est l’Eglise.
Dans une société normalisée sur l’ordre chrétien les jeux sont largement considérés comme perturbateurs de l’ordre social. D’un côté, le geste est codifié et valorisé par la société médiévale, de l’autre la gesticulation - contorsions, déformations- est assimilée au désordre et au péché. La danse n’accédera jamais à la dignité aux yeux de l’Eglise institutionnalisée ; la gesticulation évoquant la malignité, rire et jongleurs ne sont pas plus acceptés par les clercs soupçonnés qu’ils sont d’être inspirés par le diable. L’enluminure précédente montre la présence de deux diables : l'un menant la ronde, représentant le péché de la danse, l’autre jouant de la flûte d'une main et de l'autre frappant sur un tambourin.

Parce qu’il permet d’afficher sa richesse et son prestige le repas sera tout au long de la période médiévale un des moyens de différenciation sociale.

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