☞ LE FLEAU DE LA PESTE,
REPERES HISTORIQUES ET MODES D'OCCUPATION
DU LOGIS DE LA BARRE
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** Vous avez dit la peste à Poitiers ? Un retour préalable sur la santé publique aux XVIe-XVIIe siècles est en effet nécessaire pour notre étude.
Les établissements hospitaliers médiévaux appelés Maisons-Dieu ou Aumôneries étaient plus des asiles que de véritables services de santé publique.
C'est avec l'aumônerie Notre-Dame-la-Grande que commence l'histoire des soins de santé poitevins. Fondée avant 1200 cette aumônerie devient au XVIe siècle, après sa prise de contrôle par la municipalité, l'Hôtel-Dieu-Notre-Dame ou hôpital des malades de Poitiers avec une capacité d'une vingtaine de lits.
Mais contre les terribles fléaux, comme la peste, qui dévasteront jadis si souvent le royaume de France, le Poitou et Poitiers, que pouvaient faire les agents de la santé publique et les municipalités ?
On sait que la peste - maladie à multiples facettes ( bubonique, pulmonaire ) mortelle pour l'homme - a provoqué au Moyen Âge des ravages considérables dans les populations.
Bien que l’épidémie de peste débutât toujours dans les quartiers pauvres et insalubres, on réalisa très vite que la mort frappait sans distinction sociale : nobles et roturiers, laïcs et clercs. L’égalité des hommes devant la mort devint le thème des danses macabres dans lesquelles un ensemble de couples alliant un vivant et un mort souvent nu ou un squelette se tiennent par la main en un mouvement d'ensemble évoquant une danse.
Deux peintures murales montrent tout autant que de longs développements le fléau de la peste à l'époque médiévale.
Fresque du XIVe siècle. Nef de l'égllse abbatiale de Lavaudieu, Haute-Loire.
La Mort Noire, allégorie personnifiant la peste, s'avance, les yeux bandés, décochant des flèches sur tous les personnages de toutes conditions qui l'entourent.
Peinture murale de la deuxième moitié du XVe siècle de la nef de l'église abbatiale de la Chaise-Dieu, Haute-Loire.
Le prince et le cardinal : les plus grands ouvrent le bal...
... ils sont suivis par l'amoureux, l'avocat et le ménestrel. Puis viennent le clerc théologien et le laboureur... La danse macabre se veut le symbole de l’égalité des hommes devant la mort quelle que soit leur condition.
L’épidémie de peste menaça la France pendant trois siècles après "la mort noire"- ou pandémie de peste bubonique du XIVe - avec des périodes d'interruption et de fortes reprises.
La peste se manifeste à Poitiers par quelques poussées en 1552, 1603 et une violente épidémie au cours de la période 1583-87 ; la plus terrifiante manifestation aura lieu au cours des années 1628-1632, 1638 étant marquée par une forte résurgence.
Si médecins et chirurgiens étaient capables de diagnostiquer le mal, ils ne pouvaient en déterminer l'origine. En conséquence, les efforts des magistrats municipaux tendaient à limiter la contagion et à cette fin fut mis en place un "personnel de peste". Aux XVIIe et XVIIIe siècles certains agents de la santé publique portent un masque en forme de long bec blanc recourbé rempli d'épices et d'herbes aromatiques aux propriétés désinfectantes qui imprégnaient une éponge portée devant la bouche ; ce masque était censé leur assurer une protection contre l'air putride et les effets de la contagion. Ces médecins de la peste recourent à une baguette pour examiner les malades et pratiquent des saignées.
Charles de Lorme, médecin de Louis XIII relate, en 1619, dans les termes suivants ce costume protecteur : « le nez long d'un demi pied (16 cm) en forme de bec, rempli de parfums n'a que deux trous, un de chaque côté à l'endroit des ouvertures du nez naturel ; mais cela peut suffire pour la respiration et pour porter avec l'air qu'on respire l'impression des drogues renfermées plus avant le bec. Sous le manteau, on porte des bottines, faites de maroquin (cuir de bouc et de chèvre) du levant, des culottes de peau unie qui s'attachent aux dites bottines et une chemisette de peau unie, dont on renferme le bas dans les culottes, le chapeau et les gants sont aussi de même peau... des bésicles sur les yeux ».
Masques au bec de canard et tenue vestimentaire de"docteurs de la peste",
© msieurpatrick
Longtemps la médecine fut bien impuissante face à l'expansion de la peste, comme face aux autres maladies d'ailleurs. Lorsque la présence de la maladie était confirmée l'isolement était encore un des moyens de lutte le plus courant contre l'épidémie. Afin d’empêcher la peste de se propager la pratique était de contenir le mal où il était tant au niveau de l’individu, de la rue que du quartier. La municipalité isolait la ville par l’instauration du contrôle des portes afin d’interdire l’accès aux mendiants et marchands venant des zones contaminées, et limitait le trafic des marchandises. Parallèlement, on recourait à l’isolement des maisons et des quartiers infestés.
La peste atteint son paroxysme en 1631, année terrible où famine et peste mêlés cumulent leurs ravages. Près de dix mille personnes périssent. Devant l’hallucinant spectacle d’une cité où toutes les maisons, boutiques et ateliers artisanaux étaient fermés, où l'activité la plus apparente consistait dans les allées et venues des tombereaux de cadavres, de personnels de santé vêtus comme des fantômes, les populations étaient saisies d’une peur telle que la première réaction, quand elle était encore possible, était d’obéir au vieil adage "cito, longe, tarde" (pars vite, vas loin, reviens tard)... La fuite apparut ainsi longtemps le seul réel remède. Les gens de Poitiers qui en avaient la possibilité se retiraient à vingt ou trente kilomètres du centre urbain alors qu’affluaient mendiants et vagabonds.
Si les malades riches avaient la possibilité de partir tant que durait l’épidémie, les malades peu aisés et les pauvres n’avaient le choix qu’entre deux solutions. La première consistait à rester enfermés quarante jours chez eux avec des cadenas aux portes et aux fenêtres de leurs maisons ; un tel isolement, désigné sous le nom de « serrade » ou quarantaine, étant parfois ressenti comme une injuste séquestration, l’enfermement du malade dans une maison augmentant le risque pour ses occupants encore indemnes. L’autre possibilité était d’aller à l’hôpital. Cela permettait de regrouper tous les malades ou tous ceux qui étaient atteints dans un même endroit.
Après les mesures classiques d’isolement des personnes dans leurs maisons, après la mise en place des officiers de santé, la mise en œuvre des mesures de désinfection des maisons après la séparation des malades dans les hôpitaux, il apparut ainsi rapidement indispensable aux municipalités d'édifier des hôpitaux spécialisés, hors les murs. Leur construction devait s’opérer si possible à proximité des cours d’eau pour notamment permettre le blanchissage des linges et assurer, pensait-on, l’évacuation des germes. A Poitiers, la volonté d’isoler les malades conduisit à la création, à partir de 1520, de « sanitats destinés aux pestiférés » ( Robert Favreau ). Alors qu’au XVe siècle il n’y avait pas de bâtiment affecté à cet usage, grâce au maire de Poitiers François Fumée, on pu construire, pour les pestiférés qui encombraient le centre urbain décimé par ce fléau, un établissement hospitalier spécifique hors de l’enceinte de la ville, sur l’autre rive du Clain.
L’Hôpital des Pestiférés, encore dénommé Hôtel-Dieu des Pestiférés ( sanitat) ou Hôpital de Saint-Roch traversera les siècles sous l’appellation d’Hôpital des Champs, du nom du lieu de son édification. Le bâtiment construit à une cinquantaine de mètres du Clain, comportait en 1616 soixante-deux lits, deux-cent cinquante en 1638 bien que la capacité de l’établissement soit limitée à quatre-vingt depuis 1628.
Dès le mois de mai 1631 ce sont plus de quatre cents malades qui seront hébergés à l’Hôpital des Champs sans compter ceux que l’on « cadenaque » chez eux et les miséreux qui s’entassent dans les grottes et huttes des faubourgs ( Robert Favreau ).
C’est en tant qu’ ensemble pour mettre à l’écart du centre urbain les pestiférés et les convalescents qu’il faut voir l’Hôpital des Champs et son complément la maison de la Barre ; cette dernière étant destinée à permettre aux rescapés de « prendre l’air, se purger et fortifier ».
** PERIODISATION DES MODES D'OCCUPATION DE LA MAISON DE LA BARRE.
Le logis de la Barre, à l’origine métairie agricole, ne sert de maison de convalescence pour les pestiférés que de la fin du XVIe siècle jusqu’aux dernières épidémies importantes qui frappent la région au cours de la première moitié du XVIIe, puis redevient par la suite un bâtiment à vocation agricole avec différents métayers. C’est dire, avec le recul du temps, que l'on peut parler d'affectation évolutive du logis de la Barre en fonction des poussées ou rémissions, résurgences ou pauses des épidémies de peste.
1° L'affectation pour laquelle la Barre est restée dans la mémoire collective : l’accueil des pestiférés à la sortie de l'hôpital des Champs lorsqu'ils étaient reconnus " n'estre plus en peine ".
Dès 1606 l’achat d’une maison destinée aux convalescents est envisagée.
Six ans plus tard, un homme charitable, l’échevin Gilles Tillier se propose de participer, en donnant 1 200 livres de sa poche, à l’acquisition du logis de la Barre, appelé aussi Beauregard, qui sera rétrocédé à la ville.
En février 1613 la maison de la Barre est achetée par la commune de Poitiers à Daniel Bounyot marchand boucher. L’acte notarié précise que le domaine sis au village de Lessard en la paroisse de Busserolles est une acquisition « nécessaire pour loger, retirer et héberger ceux qui auraient été frappés de contagion après leur santé recouverte ». MP : casier 55 Archives avant 1789
Alors que l’Hôpital des Pestiférés se trouvait près de la rivière, le lieu de convalescence est situé sur un escarpement rocheux à quelques kilomètres de là dans un site venté.
La carte Cassini met bien en évidence la situation du logis de la Barre sur le coteau dominant le Clain par rapport à celle de l’Hôpital des Champs dans la vallée.
- En 1638, la maison aurait été aménagée de façon à abriter une cinquantaine de lits à trois places…
D'après Le Picton n° 43, p. 29.
Signalons en passant que pour faire face à la virulence de l’épidémie les responsables municipaux durent en 1630 pour recevoir les malades utiliser la borderie de feu monsieur Vincent ou Vincenderie car la maison de la Barre, occupée par tous ceux qui ont fui leurs maisons contaminées, était saturée.
Il n’est pas sans intérêt de rappeler une ordonnance contre l’épidémie de peste en date du 30 août 1638 faisant interdiction « tant a ceux qui sont l’lhospital qua la Vincendrie dentrer en ville ny frequenter aucune personne sans permission de monsieur le maire sur peine de punition corporelle et estre harcquebusez » ( Andrault J.P., p. 744).
2° En dehors des poussées pestilentielles la propriété de la Barre retrouve sa vocation agricole initiale. Les municipalités de Poitiers louent le domaine en tant que métairie ( 1613, XVIIIe siècle ).
- En attendant de recevoir des convalescents la métairie est affermée dès le printemps 1613 pour 69 livres et deux charretées de paille de seigle. La location devant cesser dès que la peste ferait son apparition.
- De même, au XVIIIe siècle, quelques extraits d’actes notariés recueillis auprès des archives départementales de la Vienne témoignent de la circulation du domaine entre de multiples métayers. (MP : casier 55 Archives avant 1789 et ADV : 4 E 24/139).
23 mai 1733, ferme par l’Hôpital des Pestiférés à Pierre Bastard laboureur et Marie Chamet sa femme de la maison et métairie de la Barre, « sçavoir la maison et metairie de la Barre deppendant dudit hopital des pestiferés dont les bastiments consistent en deux chambres basses, deux chambres hautes un grenier, deux grandes granges, etable á boeufs, toits, cours coursives entrées issües ; et generallement tout ce qui en deppend de laditte metairie soit terres labourables et non labourables, que autres appartenances et depp(endan)ces ».
Le 9 juillet 1740. ferme par l’Hôpital des Pestiférés à Claude Laverrée laboureur et Marie Sabourin sa femme de la maison et métairie de La Barre.
Le 22 janvier 1751 ferme par l’Hôpital des Pestiférés à Jean Guillot laboureur et Jacquette Thibaute sa femme des bâtiments et des terres de la Barre à Buxerolles.
3° Les ressources faisant défaut pour entretenir l'ensemble du domaine, en 1721, les responsables municipaux décident la destruction d'une partie des constructions. Au cours des décennies il apparaît que la maintenance du patrimoine immobilier restera la préoccupation majeure des municipalités.
C’est ainsi qu’en 1817, selon le cadastre, Jean Péronnet en aurait été le propriétaire.
Au XXe siècle la maison de la Barre, devenue à usage d'habitation, fera l'objet de plusieurs changements d’acquéreurs.
Monsieur et Madame François Hardouin Duparc en sont depuis 1968 les actuels propriétaires.
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