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Les croix de l'île de Noirmoutier
Les croix de l'île de Noirmoutier
  • © 2022 joël jalladeau Courriel 0

Les croix de l'île de Noirmoutier



UN PETIT PATRIMOINE CULTUEL LOCAL

Mémoire d'un art populaire en images
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Font partie du petit patrimoine tous les éléments des sites bâtis et du paysage, modestes dans leur aspect et leurs dimensions, qui conservent cependant une valeur historique et culturelle parce qu'ils demeurent des témoignages du temps passé et d’un espace donné.
Le petit patrimoine religieux de Vendée va de la simple croix blanche sur le mur d'une grange, en passant par une croix de mission, un calvaire ou un oratoire.

Croix et calvaires s'observent encore au cœur des villages. Les croix ne sont pas, dans l'île de Noirmoutier, aussi célèbres que les remarquables calvaires monumentaux de Bretagne avec leurs multiples scènes sculptées, mais la richesse de cette dernière ne doit pas laisser ignorer pour autant les éléments du petit patrimoine religieux et historique des autres régions.

Ces humbles édifices témoignent de la piété des populations rurales d'autrefois. La croix est d'abord un instrument d'évangélisation ; les autorités ecclésiastiques espèrent éveiller les âmes frustes à son mystère.
On les observe tant au centre des places et des cimetières qu'aux carrefours ou en pleins champs. Plus largement érigées au bord des chemins les croix nous rappellent comment travaux des champs et vie chrétienne étaient alors dans une certaine mesure liés.
Par leur rôle de poteau indicateur, ces petits édifices servaient aussi de repères dans le cadre d'un voyage, à une époque ou ceux-ci étaient une aventure. Erigées aussi près de lieux parfois entourés de mystères, où se réunissaient, croyait-on, sorciers et démons pour le sabbat, les croix de pierre servaient à conjurer le mauvais sort et les effets maléfiques.

Par leur présence et leur signification les croix sont un élément majeur de la vie d'autrefois dans une société où la religion est omniprésente ; elles invitent chacun à la piété. Toutes ces marques anciennes ne sont pas seulement des témoignages de la foi des populations locales, elles sont aussi souvent liées à l’histoire, à la vie quotidienne, à l’existence vécue de nos aïeux.

La modernité et la lente déchristianisation signent leur déclin au point de ne plus apparaître que comme les témoins inutiles d'un monde ancien. Déplacées ou détruites beaucoup sont victimes des nécessités de l'aménagement du territoire ; c'est à peine si on regarde encore ces images de pierre ou de métal aux abords des villages. Il arrive même de nos jours que des procès soient intentés contre certaines mairies pour demander leur suppression sur des grilles d'entrée de cimetières…



Vous avez dit croix ou calvaire ?
* Le mot croix vient du latin crux. C’est un instrument de torture, composé de deux  pièces de bois, sur lequel on suppliciait les condamnés à mort.
Pour les chrétiens la croix rappelle la crucifixion du Christ. Les
croix latines comportent une traverse plus proche du sommet que du pied; ce sont les croix de l'Evangile. Elles sont à l'origine du plan de nos églises.

Schématiquement : le " stipes"( poteau, fût, hampe ) est coiffé du " patibulum " ( ou croisillon ) et inséré dans un socle.



* Les croix de mission et les croix de chemin

 - Les croix de mission
Les  croix appelées croix de mission sont les plus connues. Une telle croix est un monument parfois élevé en souvenir d'une mission : elles furent nombreuses à être érigées après la tourmente révolutionnaire, où il fallut, pour les représentants de l'Église catholique romaine, restaurer la pratique religieuse, mais beaucoup d'autres datent du XIXe siècle ou du XXe siècle.
D'une façon générale une mission paroissiale est une retraite spirituelle dans la vie courante adaptée aux communautés locales. Lors d'une mission paroissiale - temps forts de la vie chrétienne - l’Eglise confiait à certains religieux le soin de raviver la foi par la prédication dans les lieux où elle était en déclin afin d'insuffler un nouvel élan spirituel et de restaurer la pratique religieuse.
Durant plusieurs jours, elle consiste en une série d’exercices spirituels ( processions, adoration du Saint-Sacrement, récitations du chapelet, confessions, messes, etc) ponctués de prêches et conférences religieuses données par un groupe de prédicateurs venus de l’extérieur et se terminant par une grande célébration eucharistique. Il arrivait qu’à la fin de cette mission, on élevât une croix souvent en bois; la date de cette mission y figure souvent.
Pour l'île précisément, Lydia Gaborit-Commard rappelle que " les missions étaient fréquentes, tous les quatre ans…et prenaient dans l'île une grande importance. Il arrivait qu’à la fin de cette mission, on élevât une croix souvent en bois. Certaines cérémonies religieuses duraient toute une semaine, ponctuées de longues processions accompagnant l'établissement d'un Christ et d'un nouveau calvaire dans l'une ou l'autre commune. J'ai moi-même le souvenir de parcours couverts de pétales de fleurs, sur lesquels déambulait le long cortège de fidèles ". ( L'île de Noirmoutier. Paroles de conteurs, Editions de L'Etrave, 2005, p. 134 ).


- Témoins d'un passé caractérisé par une grande ferveur religieuse les croix de chemin nombreuses se situent souvent à la croisée des routes. La plupart des croix se trouvent aux carrefours, endroits qui de tout temps, ont été entourés de mystères; dans les croyances anciennes, on pensait que diables et sorciers se retrouvaient là pour célébrer leurs sabbats. Il fallait se concilier avec ces mauvais génies afin de conjurer leurs effets maléfiques. C'est pourquoi on élevait aux carrefours des statues, des autels, voire des croix...L'érection d'une croix pouvait aussi servir à matérialiser un chemin ou les limites de la paroisse, indiquant hameaux et lieux-dits alentours. La coutume d'en ériger remonte aux débuts de l'évangélisation et a perduré jusque dans les années cinquante.

Elles peuvent être d'initiative collective (souvenir d'un événement marquant, ou acte à l'initiative de la paroisse : halte privilégiée de procession pour certaines fêtes patronales locales ,…) ou acte de piété privée ( commémoration d'un disparu, …).
Les
rogations sont des prières en processions  accomplies par la communauté chrétienne, tous les ans, les trois jours précédant l’Ascension ( Du latin “rogatio” action de demander). Le territoire de la commune était ainsi traversé en s'arrêtant à chaque croix pour bénir vignes et cultures. Les fidèles demandaient ainsi par des prières un temps favorable à l’agriculture et imploraient la protection divine contre les calamités naturelles : risques d'orages, de grêles ou de sécheresse et épidémies.   

* Les calvaires
Le mot “calvaire” vient du latin “calvarium", traduction de l’araméen “Golgotha”, voulant dire : lieu du crâne; appellation de la colline sur laquelle Jésus fut crucifié. Ainsi, le calvaire est un monument qui commémore la crucifixion sur le Golgotha. Tout monument qui représente au moins trois personnages présents au Golgotha : mauvais larron et du bon larron qui ont été crucifiés avec Jésus Christ sera donc, à coup sûr, un calvaire.
Plus généralement un monument avec une statue du Christ, sur une petite butte, souvent remplacée par un socle comportant des marches à l'avant, pouvant porter une ou plusieurs croix avec des personnages qui rappellent la Passion (Jean et la Vierge au lieu des larrons et divers personnages …) contribue à justifier le terme de calvaire. Le Grand Calvaire du Père de Montfort à Saint-Laurent sur Sèvre ( Vendée ) entre dans cette catégorie.


Crédit photo : saintlaurentsursevre.fr

Souvent, comme ici dans l'île, la dénomination de calvaire est moins stricte : les personnages autres que le Christ font défaut n'ayant jamais été présents ou ayant été vandalisés comme ils l'ont été sur une croix à l'Epine.
L'appellation calvaire est ainsi employée plus largement pour désigner la représentation du Christ sur une croix érigée sur un petit tertre ou plateforme rappelant la scène du Golgotha.

    * L'art des croix présente une grande diversité 
Les croix peuvent être
- pattées (extrémités plus larges qu'au centre), voire « aiguisées » : les extrémités des poutres sont pointues pour rappeler les clous de la crucifixion, ou encore pommelées définies par des boules de forme ronde.

- potencées avec un Tau ( T ) au bout de chaque branche,
- tréflées avec une feuilles de trèfle aux extrémités de chacun des trois bras,
- enhendées lorsque chaque branche comporte trois pointes non rentrées.

Les matériaux utilisés pour leur fabrication sont multiples : bois, pierre, ciment, fer forgé, fonte. Ces monuments sont conçus avec habileté le plus souvent par des artisans locaux ; le Christ n'est pas toujours représenté. En plus de leur matériau c'est par leur style et leur ornementation qu'elles se différencient.

- En bois les croix peuvent être plantées directement dans le sol ou sur un socle.

- L'homme taille la pierre selon son inspiration et ses capacités alors que les croix en béton armé seront des poutres toutes simples.

- Les croix en fer forgé étaient réalisées par le forgeron du village et le maréchal-ferrant selon leur inspiration et leur talent. Leur style et leur décor varient ; le fer sera de plus en plus remplacé par la fonte.


Bref rappel de la petite histoire générale des croix

Ce qui est certain est que l'histoire des croix n'est pas linéaire. Ce n'est qu'à la fin du Moyen Age que ces édifices foisonnent en tous lieux du territoire ; aux élans mystiques de l'an mil ou du XIX e répondent les saccages des Guerres de Religion et de la Révolution.

Aux premiers siècles de l'ère chrétienne la croix pose question. Cet instrument de supplice réservé aux voleurs et aux criminels peut-il être choisi comme emblème ?
Le crucifiement provient probablement de Perse et d’Inde.  Cette mise à mort effrayante nécessite un pieu vertical planté dans le sol appelé « stipes » et une poutre horizontale, appelée « patibulum ». Le condamné devait, avant d’être fixé sur la croix,  porter le patibulum jusqu’au lieu du supplice. La mort était lente par asphyxie car la position des bras écartés empêche de respirer correctement. Exposés sur un gibet avec le motif du châtiment ils étaient l’objet d’insultes et de sévices de la part de la foule.
La représentation du crucifiement serait, pense-t-on, faire offense au Seigneur ; il est préférable de l'évoquer par des symboles tels l'agneau, la colombe ou le poisson…

C’est à partir du IVe siècle que la croix qui représente la crucifixion de Jésus, devient le symbole  principal du christianisme, après que l’empereur Constantin,  ait interdit  le supplice du crucifiement en 312 dans son édit de Milan.  Après la découverte de la Vraie Croix sur le mont Golgotha par Sainte Hélène, mère de Constantin, la croix devint alors objet d'adoration et des croix seront dans les siècles suivants édifiées près des lieux de culte.
Les premières croix sont sans représentation du Christ crucifié, image trop infamante et symbole d'humiliation pour les premiers chrétiens. Elles comportent l’inscription « INRI » qui signifie  « Jésus de Nazareth, Roi des Juifs » comme l’a affirmé Pilate. Le concile de Clermont en 1095 promulgue le caractère protecteur de la croix.
A partir du XIe siècle, des croix seront érigées à l’entrée des villages, aux croisées des chemins et sur les places, dans les cimetières comme pour rappeler à l’homme du Moyen Age la présence de Dieu et la persistance de sa protection. La croix prend alors une importance grandissante, dans la vie des communautés chrétiennes.

La Réforme et la Révolution verront la destruction de beaucoup de croix.
Le calme revient avec la signature du Concordat et la Restauration surtout voit les missions retrouver leur dynamisme et l'érection de nombreuses croix.
La déchristianisation s'est traduite par la disparition des manifestations pieuses telles les rogations et les processions auprès des croix.


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Historiquement l'île de Noirmoutier a affiché sa foi par ses calvaires et croix ( blanche, rouge, voire verte …) qui, du coup, servent aujourd'hui à identifier lieux-dits et quartiers. Ces petits monuments s'élevaient dans le cimetière, sur les places ou à la croisée de chemins ; aujourd'hui, souvent ignorés, ils donnaient l'occasion de nombreuses cérémonies religieuses lors de leur mise en place ou lors de grandes fêtes.
Toutes les croix dressées dans l'île n'ont pas survécu aux périodes troubles de l'Histoire.
Si la paroisse de Noirmoutier peut s'honorer de disposer encore
de quelques croix du XVIIe siècle d'autres de cette époque ont disparu ( croix Malladrie, de Banzeau, des Cinq Chemins ), rappelle Claude BOUHIER, L A, N° 188, Décembre 2017, p.17.
Les croix et calvaires encore présents sur l'île sont le signe d'un petit patrimoine local qui mérite d'être à nouveau relevé en enrichissant, lorsque cela était possible, les clichés actuels par des reproductions de cartes postales anciennes dues à la connaissance intime qu'ont de l'île certains auteurs. Qu'ils trouvent ici l'expression de nos remerciements.

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