DANS LES PAS DE SAINT-JACQUES LE MAJEUR
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Vous avez dit PAS DE SAINT-JACQUES ?

Ce nom évoque aujourd’hui pour nombre d’habitants de Buxerolles avant tout un quartier, une zone d'activités, une grande surface commerciale et peut-être surtout les salles obscures d’un complexe cinématographique... Mais c’est aussi, à deux pas du site économique, un lieu aujourd’hui fort discret qui fut pourtant très fréquenté toute l’année jusqu’au début du XIXe siècle : la Croix de Saint-Jacques.

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A l’époque médiévale, les pèlerins se rendant à Saint-Jacques de Compostelle s’arrêtaient à Buxerolles pour se recueillir au « Pas de Saint-Jacques ». Allant en Galice les pèlerins vouaient un culte à un étrange rocher qui porterait les empreintes du pied et du bâton de marche de Jacques le Majeur. La légende veut que l’apôtre aurait laissé ces traces lors d’un voyage...

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JACQUES LE MAJEUR dont la fête est commémorée le 25 juillet.
L’apôtre, en tenue de jacquet, portant des coquilles sur sa pèlerine, a perdu son bourdon.
Statue du XVIIe siècle, église du bourg dédiée à Saint-Jacques le Mineur et à Saint-Philippe.


Ce site du « Pas de Saint-Jacques » est, en effet, mentionné dès le Moyen Age comme un but d’étape sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. « Iste Pergravit Roman Jacobumque Pictavis » peut-on lire dans l'épitaphe en vers latins de Pierre Soubrebost, chanoine de Limoges, mort en 1384 rapporte Monseigneur Xavier Barbier de Montault dans son étude sur les environs de Poitiers publiée en 1872.

Buxerolles sur le chemin de Tours
Sans carte, bien évidemment, le pèlerin d’hier suivait les vieux chemins jalonnés de bornes milliaires romaines et divers repères tels les amas de pierres jalonnant certaines parties du parcours. Par le bouche à oreille, il aurait retenu les conseils et les mises en garde du moine poitevin Aimery Picaud dans son supposé « Guide du pèlerin ».

Le Guide du pèlerin de Saint Jacques de Compostelle, chapitre VII (traduit du Codex Calixtinus) offre des descriptions plus ou moins flatteuses des régions et de leurs habitants qui méritent d’être rapportées :
« Par la route des ports de Cize après la Touraine on traverse le Poitou, fertile, superbe et plein de toutes félicités. Les Poitevins sont des athlètes, bons combattants, habiles à la guerre, au maniement de l'arc, des flèches et des lances, courageux sur le front de bataille, très rapides à la course, soigneux dans leur façon de se vêtir, élégants, spirituels, très libéraux et larges dans l'hospitalité. Ensuite on trouve le pays saintongeais ; puis après avoir traversé l'estuaire de la Garonne, on arrive dans le Bordelais où le vin est excellent, le poisson abondant, mais le langage rude.
Les Saintongeais ont la réputation d'un parler rude, mais celui des Bordelais l'est davantage. Puis, il faut traverser en trois journées épuisantes de marche les Landes bordelaises. C'est un pays désolé, sans pain, ni vin, ni viande, ni poisson, ni eau, ni sources. Les villages sont rares dans cette plaine sablonneuse qui abonde cependant en miel, millet, panic et cochons....
Les Gascons sont légers en paroles, bavards, moqueurs, libidineux, ivrognes, gourmands, mal vêtus, négligés, pourtant ils sont aguerris au combat et remarquables par leur hospitalité envers les pauvres. Assis autour du feu, ils ont l'habitude de manger sans table et de boire tous au même gobelet. Ils mangent beaucoup, boivent sec et sont mal vêtus ; ils n'ont pas honte de coucher tous ensemble sur une mince litière de paille pourrie, les serviteurs avec le maître et la maîtresse...
Puis, aux alentours des ports de Cize se trouve le pays basque, dont la grande ville, Bayonne, est située au bord de la mer vers le nord. Ce pays dont la langue est barbare, est boisé, montueux, pauvre en pain, vin et aliments de toutes sortes, mais on y trouve en consolation des pommes, du cidre et du lait. Dans ce pays, il y a des péagers abominables, à savoir auprès des ports de Cize, dans le village appelé Ostabat, à Saint-Jean et Saint-Michel-Pied-de-Port. Ils méritent l'enfer. Venant au devant des pèlerins avec deux ou trois bâtons, ils extorquent de force un tribut injuste. Et si quelque voyageur refuse de payer, ils le frappent à coups de bâton et lui arrachent la taxe en l'insultant et en le fouillant jusque dans sa culotte.
Ce sont des gens féroces et la terre qu'ils habitent est féroce aussi par ses forêts et son aspect sauvage. La férocité de leurs visages et les grognements de leur langue barbare épouvantent le cœur de ceux qui les voient. Bien qu'ils ne doivent légalement exiger tribut que des marchands, ils ponctionnent injustement les pèlerins et tous les voyageurs ».


Présenté sous des traits péjoratifs le paysan du sud-ouest de la France - et du nord de l'Espagne - se voit affublé de tous les vices et défauts : laideur, méchanceté, inculture, luxure, perversité, férocité, barbarie, s'adonnant aux plaisirs du boire et du manger...
Ces observations peu amènes sont effectuées par référence aux populations rencontrées au cours de son voyage ; pourtant dans son propre Poitou ne pourrait-on pas trouver des populations possédant certaines caractéristiques analogues ? N’y a-t-il pas partialité un peu lourde ?
En tout cas, les écrits d'
Aimery Picaud, clerc de Parthenay-le-Vieux, au XIIe siècle sont fort révélateurs des images stéréotypées que les hommes d'Eglise se font des populations rurales.


Le Pays des Buis se situe, en effet, sur le passage d'une très importante voie romaine, la via Turonensis reliant Rotamagus ( ROUEN ) à Burdigala ( BORDEAUX ) par Caesarodunum ( TOURS ), Limonum ( POITIERS ) et Mediolanum Santonum ( SAINTES ).

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A l’époque médiévale, les pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle empruntaient cette voie de communication pour se rendre en Galice. On peut observer qu’elle se scinde en deux dans notre commune.

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Au Moyen-Age, les pèlerins se rendant à Saint-Jacques de Compostelle empruntaient la voie romaine telle qu’on peut encore la suivre avant d’arriver à Buxerolles, par exemple comme ici à partir de Fontaine.

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Les itinéraires tracés sur le panneau évoquent les trois routes parallèles parcourant la région : la voie principale, la plus traditionnelle, passe par Poitiers, Melle et Saintes.
La photo montre une partie du chemin sur cette ancienne voie romaine empruntée par les pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle : ici entre Fontaine et Bonnillet.
Une voie affluente, venant d’Anjou, la rejoint après avoir traversé Parthenay et Niort.
Enfin, une voie secondaire, plus à l’est, dessert Montmorillon puis Angoulême avant de continuer son trajet en Dordogne.



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La joie du chemin s’exprime par cette chanson compostellane :
« Tous les matins nous faisons le même chemin
Tous les matins nous allons plus loin
Jour après jour la route nous appelle
C’est la voie de Compostelle. »

Cette via turonensis débouche sur la Vallée des Buis. Le Pas de Saint-Jacques et l’ancienne église de Buxerolles ne sont plus qu’à quelques centaines de mètres.



Un site légendaire : au pied du calvaire une curieuse trace dans un rocher

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Le but de l’étape buxerolloise du pèlerinage : le lieu-dit Pas de Saint-Jacques.
Arrivés à ce calvaire les pèlerins pouvaient se recueillir sur une singulière empreinte, encore visible actuellement.
Cette croix fut très fréquentée toute l'année jusqu'au début du XIXe siècle ; une période de ralentissement s’ensuivit ; de nos jours un jacquet peut de temps en temps être vu de nouveau en ce lieu.
Avant la belle croix en bois qui s’offre au regard aujourd’hui, il y eut bien d’autres croix. Ainsi, le 31 juillet 1870, la « très vieille croix » a été remplacée par une croix en chêne « mesurant trois mètres de hauteur » et « portée processionnellement depuis la cour du presbytère jusqu’au lieu d’érection ». Tombée en 1955, la croix avait été remontée en béton, et l'ancienne statue du Christ, alors brisée, avait été ressoudée et remontée.

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La croix est fixée dans un socle carré à deux niveaux, en moellons.
Au pied de ce calvaire, côté nord, se trouve un gros bloc calcaire aux formes naturelles fort singulières que les pèlerins n’hésiteront pas à transformer en objet de culte.
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Il s'agit d'un rocher présentant deux marques encore visibles aujourd’hui : l'une des cavités qu'on y observe serait, selon une très ancienne tradition populaire, l'empreinte du pied de saint Jacques, tandis qu'une autre aurait été formée par l'extrémité de son bâton.
A l’époque médiévale l'eau de pluie recueillie dans ces cavités était considérée comme miraculeuse.


Le cimetière lieu de « repos éternel » et... de nourritures terrestres !!!
Les pèlerins, après s'être arrêtés au Pas de Saint-Jacques, pouvaient, selon la tradition, se reposer à quelques centaines de mètres de là, dans le cimetière jouxtant autrefois l'église.
Là, le seigneur de Buxerolles leur fournissait des subsistances, et notamment des
fouaces, les gâteaux populaires du Poitou.

On sait que François Rabelais, au XVIè siècle, a immortalisé dans son " Gargantua " la fouace considérée comme « viande céleste », lorsque « consommée avec raisins, pineaux, fiers, muscadeaux... »

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La place aujourd'hui située devant l'église du bourg, à l'ouest, occupe l'emplacement de l'ancien cimetière qui se situait là jusqu'en 1873.
De ce lieu les pèlerins rejoignaient Poitiers afin de vénérer saint Hilaire et sainte Radegonde dans les églises qui leur sont dédiées et prier Marie à Notre-Dame-la-Grande avant de poursuivre leur route vers Melle, Aulnay et Saintes ...

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