LE PARADIS SUR TERRE

Parmi les thèmes mythologiques qui peuplent l’imaginaire humain le paradis terrestre - encore appelé jardin d’Eden ou jardin des délices - occupe une place importante.
Avant que ne soit reconnu son caractère métaphorique, le jardin d’Eden a, pendant des siècles, été considéré, tant par l’ensemble des populations que par les meilleurs esprits, comme un espace géographiquement localisé bien que son exacte situation ne soit pas connue. C’était prendre à la lettre le récit biblique de la création du monde et de l’humanité.
Comme les Saintes Ecritures ne disent pas que le jardin des délices a disparu, sa géo-localisation a été patiemment recherchée tant par les érudits que par les grands voyageurs. La croyance en sa localisation du côté de l’Orient provenait des fleuves dénommés Pishôn et Gihôn ( longtemps pris pour le Gange et le Nil ) ainsi que du Tigre de l' Euphrate.
D'autre part,
le paradis terrestre se présentait sous la forme d'un jardin puisque dans les temps anciens le bonheur avait été associé à un jardin. Le mot paradis, d’origine perse ( pari daiza ), repris en hébreu (pardès) et en grec (paradeisos), signifie un verger entouré de murs et correspond au jardin décrit dans la Genèse.
Il faudra attendre la « nouvelle astronomie », l’époque des Lumières et divers cheminements intellectuels pour que soit progressivement remise en cause, au cours des XVI-XVIIe siècles, la croyance en l’existence maintenue du jardin des délices sur la Terre.



Le jardin des délices : un détour très évocateur.

Tout au long du Moyen-Âge les plus grands peintres ont représenté le jardin d’Eden comme un lieu de nature extraordinaire où les lois de la jungle n’avaient pas cours puisque les animaux les plus divers, aux allures paisibles, s’y côtoyaient. Leurs oeuvres plus enveloppantes aident à bien saisir l’atmosphère générale du temps et par suite contribuent à mieux appréhender les réalisations proprement romanes dans la pierre, par nature plus circonscrites.

Bien que postérieur à l’époque romane le tryptique du jardin des délices de Jérôme Bosch peint aux environs de 1503-1504 présente l’avantage de traduire visuellement par sa mise en scène, ses personnages, sa végétation étrange et ses couleurs l’abondance et la sérénité dans laquelle le genre humain pouvait jouir de tout en vivant en harmonie avec les animaux.

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Détail du tryptique du jardin des délices peint, vers 1505-1510, par Jérôme Bosch, musée du Prado, Madrid, Espagne.

Le volet de gauche du tryptique évoque le jardin des délices : le Créateur habillé appelle Adam et Eve, nus, à la vie. Une atmosphère de paix se dégage de cette sereine composition agreste peuplée d’une girafe et d’un éléphant blancs encadrant une fontaine de vie rose à l’étrange architecture. D'autres animaux s'abreuvent sans crainte dans une mare aux eaux bleues. A gauche de la composition scénique, un curieux arbre pourrait évoquer l’arbre de la connaissance.

Le paradis à l'époque romane.

Base documentaire.
C'est au début du livre de la Genèse que l'évocation paradisiaque apparaît sous les traits du jardin en Eden.

" L'Éternel Dieu forma l'homme de la poussière de la terre, il souffla dans ses narines un souffle de vie et l'homme devint un être vivant.
Puis l'Éternel Dieu planta un jardin en Éden, du côté de l'orient, et il y mit l'homme qu'il avait formé.
 L'Éternel Dieu fit pousser du sol des arbres de toute espèce, agréables à voir et bons à manger, et l'arbre de la vie au milieu du jardin, et l'arbre de la connaissance du bien et du mal.
 Un fleuve sortait d'Éden pour arroser le jardin, et de là il se divisait en quatre bras.
 Le nom du premier est Pischon; c'est celui qui entoure tout le pays de Havila, où se trouve l'or.
 L'or de ce pays est pur; on y trouve aussi le bdellium et la pierre d'onyx.
 Le nom du second fleuve est Guihon; c'est celui qui entoure tout le pays de Cusch.
 Le nom du troisième est Hiddékel; c'est celui qui coule à l'orient de l'Assyrie. Le quatrième fleuve, c'est l'Euphrate.
 L'Éternel Dieu prit l'homme, et le plaça dans le jardin d'Éden pour le cultiver et pour le garder.
 L'Éternel Dieu donna cet ordre à l'homme: Tu pourras manger de tous les arbres du jardin;
 mais tu ne mangeras pas de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras."

Genèse chapitre 2, versets 7-17


Comment les maîtres tailleurs de pierre et les peintres des XI-XIIe siècles représentèrent-ils le paradis sur terre sur la base de ces textes fondateurs ?

C’est surtout par les figurations d’Adam et Eve - avant et après la faute - que les artistes romans évoquèrent le jardin des délices.
Rappelons que pour le Moyen Age chrétien le genre humain est une création divine. Le récit de la Genèse est un récit de foi mettant en scène les relations de Dieu et du genre humain. Adam est tiré de la glèbe «  pour cultiver le sol » ; il nomme les animaux. L’homme étant inachevé, Dieu lui donne une compagne. Adam et Eve étaient nus au jardin d'Eden. Ils pouvaient manger de tous les fruits sauf le fruit défendu de l'arbre de la connaissance.

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Ancienne église d'Ål au nord-ouest d'Oslo, Musée de l'Université d'Oslo.

L’action se noue lorsque le serpent entre en scène. Il fait miroiter au genre humain la possibilité d’être «  comme des dieux ». La longue histoire du mal commence. La faute est commise : Adam et Eve mangent le fruit défendu. La relation est brisée entre les êtres et entre le genre humain et Dieu. La volonté de puissance, le péché de curiosité et d’orgueil précipitent Adam et Eve hors du Paradis.

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Chapiteau du choeur, église Sainte-Radegonde, Poitiers, Vienne.

Les artistes à l’époque romane évoqueront, souvent sur les façades, les chapiteaux, ou les peintures murales, la luxuriance paradisiaque par la richesse des feuillages et l’abondance des fruits.
En revanche,
la Chute et l’éviction du paradis seront manifestées par des arbres secs ayant perdu leurs feuillages et dépourvus de fruits.

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Chapiteau du faux-triforium. Eglise abbatiale de Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret.
Le Christ en croix entouré de Marie sa mère et de l'apôtre Jean sur la face cachée du chapiteau.
Ce qui nous importe particulièrement ici c'est la présence de deux médaillons de part et d'autre de la tête de Jésus crucifié :
Adam à gauche et Eve à droite manifestent la plénitude du salut, la rédemption, le pardon du péché..


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