De prime abord la découverte de créatures étranges - telles les sirènes - dans un édifice religieux roman n'est pas sans déconcerter le visiteur non averti.
Lorsqu'il ne s'agit pas de représenter directement des scènes figuratives religieuses, l'artiste n'avait pas d'autres moyens que de recourir à des symboles pour favoriser le développement spirituel.
Depuis la mythologie grecque les sirènes qui séduisaient les marins par leurs chants et les entraînaient vers la mort ont fasciné l'imaginaire des hommes. La sculpture romane les représente aussi bien avec un corps d'oiseau selon la tradition grecque qu'avec un corps de poisson selon les mythes germaniques.
Les dames oiseaux et les femmes poissons sculptées dans la pierre ont sans aucun doute une dimension symbolique. Mais peut-on décrypter de façon univoque le sens plénier de ces créatures monstrueuses si nombreuses aux murs des églises romanes ?
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Sirènes romanes
http://jalladeauj.fr/sirenes/index.html
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Voussure du portail méridional de Saint-Pierre-de-la Tour, Aulnay-de-Saintonge ( Charente-Maritime).
☞Les sirènes : deux représentations d'un corps hybride monstrueux.
Le terme de "sirène" suggère une continuité depuis l'Antiquité jusqu'aux temps médiévaux, alors que les représentations sculptées montrent des changements dans les évocations d'une même figure mythique, survivance de deux traditions différentes. L'hybride des airs, véhiculée par les écrits, émane de la mythologie antique. L'hybride marine, a des ancêtres barbares. Elles ne fusionnent véritablement au sein de la pensée chrétienne qu'au VIIIe siècle dans un manuscrit d'origine anglo-saxonne, le Liber Monstrorum.
La monstruosité des sirènes, qu'elles soient aériennes ou marines, repose essentiellement sur l'existence de corps hybrides associant des formes humaines et animales.
Dans tous les cas les sirènes sont des monstres dont la partie supérieure est humaine et la partie inférieure animale. Inégalement réparties selon les régions, elles sont répandues en grand nombre dans l'imagerie romane, témoignant de l'importance donnée au message qu'elles véhiculent.
☞ De la nature symbolique des sirènes
Dans cette longue histoire la sirène n'a pas seulement subi des métamorphoses physiques qui l'ont fait passer du monde aérien au liquide, mais elle a changé de valeur.
Si dans l'Antiquité la sirène était une créature possédant une certaine ambivalence, le Moyen Âge l'a soumise à une vigoureuse moralisation et à des interprétations qui lui ont attribué une coloration franchement négative.
Avant le christianisme, elle revêt une connotation souvent positive sous la forme d’une sirène oiseau. La sirène funéraire avatar de l'oiseau Bâ égyptien à tête humaine, auxiliaire dévoué du mort et figure de l'âme individuelle - est investie d'un rôle bienveillant auprès des défunts. En revanche, dès les premiers textes chrétiens, puis dans les représentations des temps médiévaux elle devient une figure négative, associée aux démons.
Par suite, n'est-il pas permis de penser que l'hybridation des sirènes associant une forme humaine ( en haut ) et une forme animale ( en bas ) pourrait être sous-tendue par cette même opposition du Haut et du Bas, opposition de la part spirituelle de l'homme et de sa part plus charnelle ? Dans cette perspective la figure de la sirène évoquerait la dramatique erreur de l'homme charnel oublieux de sa dimension spirituelle. Pour l'homme roman le monde est marqué par le péché et la vie sur terre est une lutte constante contre la tentation et les oeuvres de Satan.
L' image de la sirène devait rappeler la nécessité du combat spirituel que le fidèle devait mener contre la tentation et les forces adverses. Le péril encouru par l'homme roman - invité à pratiquer la vertu - est naturellement d'ordre spirituel : la figure hybride est l'image physique de ce démon intérieur qu'est le vice.
En résistant aux appels des sirènes, le fidèle affirme sa détermination dans son combat spirituel.
Le nombre de sirènes observables sur les voussures, les frises et les chapiteaux montre que les maîtres-tailleurs de l'âge roman ont su adapter l'héritage antique à leurs mises en scène sculptées.
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