VIERGES EN MAJESTE
__________


Aux temps romans Marie va être reconnue comme médiatrice privilégiée entre le Ciel et la Terre. De nombreuses statues vénérables, tant en pierre qu'en bois, manifestent la louange des croyants cette époque qui disent leur gratitude à la Mère de Dieu, avocate du genre humain.


Sculptures du grand portail nord, XIIIe siècle, église Saint-Pierre et Saint Paul, Grand Brassac, Dordogne.

Au-dessus du portail nord de l'église, dans un arc, cinq statues représentant le Christ entre St Jean et la Vierge et plus bas St Pierre et St Paul.
L'Eglise multipliant les dévotions à la Vierge ce n'est plus seulement une sainte comme une autre. C'est la " nouvelle Eve " qui met fin au péché originel en mettant au monde le Christ. Les auteurs médiévaux ont chanté Marie qui changeait en Ave le nom d'Eva.
L'iconographie romane nous montre que Marie est étroitement liée, d'une part, aux scènes de la vie du Christ comme on l'a vu précédemment et, de l'autre, à une dévotion spécifique à la mère du Sauveur. Si un thème est largement représenté dans l'art roman c'est celui de la Vierge à l'Enfant. Hiératique, assise sur une cathèdre, en majesté, la tête droite, le regard lointain, fixant un Ailleurs, elle tient sur son genou gauche l'Enfant à tête d'homme qui bénit et tient le Livre. Ces vierges en majesté figurent le mystère de l'Incarnation et tendent à dépasser les seules réalités terrestres. Elles ont la position de Sedes Sapientiae, c’est-à-dire qu’elles siègent en « Trônes de la Sagesse. » Marie proposée comme modèle de perfection spirituelle fera figure de " Reine des Cieux ". Pour l'homme médiéval ces statues de pierre ou en bois polychrome veulent exprimer l'indicible.

Regards de Vierges de pierre

Assise sur son trône en majesté la très hiératique et frontale vierge romane, la tête droite, le regard fixe tient sur ses genoux l'Enfant qui bénit. La statue de la vierge en majesté donne à percevoir le mystère de l'Incarnation et à trouver l'invisible par le truchement des formes exprimant l'état idéal spirituel d'une âme pure et en paix. Elle fait face aux fidèles dans une immobile verticalité dont émane une paix intérieure fruit d'une relation au monde d'en haut.


Sculptures du grand portail nord, XIIIe siècle, église Saint-Pierre et Saint Paul, Grand Brassac, Dordogne.


Dans cette Adoration des Mages Marie exulte en comprenant que Dieu a porté son regard sur son humble servante.



La Vierge et l'Enfant dont les regards sont tournés vers l'Ailleurs ; cette statue présentée au Musée du Louvre provient probablement de Crespières, Yvelines.



Ancien retable de l'église de Carrères-sur-Seine, Yvelines. Musée du Louvre.
Vierge en majesté au visage et au regard singulièrement dur.



© Jacques Martin
La Chapelle de Perse, Espalion, Aveyron offre une multiple représentation de la Vierge. Une sur le coin supérieur gauche de la façade dans la scène de l'Adoration des Rois Mages apportant leurs présents.




© Jacques Martin
Les regards différents de la mère et de l'Enfant.


© Culture et patrimoine Espalion

Au-dessus d'une petite porte s'observe une autre Vierge aux yeux globuleux. Sous une arcature la vierge tient classiquement l'Enfant sur ses genoux.




© EmDee
Eglise de Saint-Aventin, Haute-Garonne.

Cette Vierge en Majesté tient classiquement le Christ Enfant sur son genou droit mais a la particularité de fouler aux pieds les puissances des ténèbres sous forme d'animaux fantastiques. Sur l'arcature, au-dessus de sa tête, une inscription latine est gravée : « Chose digne d’admiration, la Mère de Dieu est toute puissante ». Le regard de l'Enfant est bien vers l'Ailleurs.


Regards de Vierges en bois
En plus de ces vierges en pierre il est difficile de ne pas évoquer brièvement les Vierges en majesté réalisées en bois. Instruments de l'ineffable ces Vierges présentent des caractéristiques semblables. Façonnées en bois polychrome, elle sont drapées de la tête aux pieds, rigides, hiératiques, le regard fixe. Ces vierges, qu'elles ouvrent grands leurs yeux perçants ou qu'elles baissent paisiblement les paupières, paraissent, à leur manière, avoir un rapport avec l'Ailleurs. La vierge en majesté est proposée comme modèle de perfection spirituelle au fidèle médiéval. Elle se doit d'être le plus possible mère du Seigneur tout dans son rôle dans la question du Salut, et le moins possible Eve d'où pas de douceur du regard ni de lèvres pulpeuses; en bref rien qui puisse donner prise à la moindre concupiscence.
Dans des régions comme l'Auvergne nombre de villages avaient ainsi leur Notre-Dame que l'on venait vénérer des contrées alentour.






Notre-Dame d'Orcival, Puy-de-Dôme.

Regard fixe empreint de gravité laissant affleurer l'infini ; l'Enfant comme toujours à la période romane est figuré sous les traits d'un adulte.




Le regard de la Vierge du Mont-Cornadore, Saint-Nectaire, Puy-de-Dôme.


Mont-Cornadore : Paupières baissées, le regard intérieur s'impose.



© Mme Dulac. ND de Saint-Gervazy, Puy-de-Dôme.
Vierge en majesté à la stylisation extrême des traits et de l'allure ; aucune polychromie. Elle manifeste une sérénité venant de l'au-delà de ce monde.


Aux traits épurés traduisant une tension verticale ND de Gervazy apparaît impénétrable, passée à l'ineffable.



© Mme Dulac.
Notre-Dame de Vauclair, commune de Molompize, Cantal.

Dans son dépouillement chez elle c'est le regard perçant qui frappe l'observateur. Il peut paraître difficilement soutenable à qui l'observe avec insistance. Les yeux en amande, semblent orientés différemment. Chez l'Enfant c'est la tenue d'un livre ouvert qui est le caractère différenciant.



Plan rapproché sur l'expression particulière de N.D. de Vauclair.


Notre-Dame de Saulzet-le-Froid, Puy-de-Dôme.

Par rapport à ses sœurs auvergnates célèbres des édifices majeurs cette majesté d'un village de montagne mérite malgré tout de ne pas être ignorée.


Notre-Dame de Saulzet-le-Froid, Puy-de-Dôme.
Elle se caractérise par la gravité de son visage au nez fort et droit et par son regard laissant percer le tréfonds de l'âme.


Notre-Dame d'Heume-l'Eglise, Puy-de-Dôme

Comme la précédente, cette vierge en majesté également en altitude, possède un visage allongé aux lèvres fines et serrées. Son regard semple plonger au-delà du visible.


_
© Mme Dulac. Notre-Dame de Roches-Charles-la-Mayrand, Puy-de-Dôme.

Les traits incontestablement populaires de cette statue la rendent très attachante. Avec ses mains ouvertes la Vierge offre son fils à l'humanité ; parallèlement, l'Enfant tourne ses mains vers le ciel. La différence dans les regards se remarque.


Un type, de multiples variations : hiératisme, frontalité, regard fixant un Ailleurs ; cependant ces vierges possèdent des traits nobles ou de paysanne.
Ces vierges, simples servantes de la foi des populations rurales d'Auvergne, touchent de près les croyants et rendent tangible, accessible ce qui ne peut se dire.

_________________________