Une image de la béatitude : le giron d'Abraham
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Dans les représentations iconographiques médiévales, Abraham représente le paradis : le patriarche accueille les justes dans un linge qu'il tient entre ses bras écartés.

Version 3
Vue d'ensemble du voûtain côté ouest.

  • Tout de bleu vêtu se détachant sur un fond rouge Abraham trônant en majesté nimbé reçoit dans son giron les élus : image du paradis ; des petits personnage aux corps nus et aux postures variées, L'artiste, un brin malicieux, a même représenté deux petits êtres soutenant le nimbe du patriarche juchés sur ses épaules.


Version 3 (1)

Dans une sorte de grande pièce d'étoffe Abraham accueille les âmes des justes figurés la tête couronnée.
Cette scène est une représentation iconographique classique que l'on trouve partout ailleurs tant dans l'art roman qu'à la période gothique ainsi qu'en témoignent les deux exemples ci-après.

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A gauche, Abraham reçoit dans son giron l'âme d'un élu. Abbaye Saint-Pierre, Moissac, Tarn-et-Garonne.
A droite, Abraham accueille dans son sein les âmes des élus ; le patriarche trône sous un dais symbolisant la Jérusalem céleste. Tympan central de la cathédrale gothique de Bourges, Cher.



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A la gauche d'Abraham est représenté le groupe des réprouvés, personnages sans auréole, comme l'atteste l'inscription " nescio vos "- je ne vous connais pas-


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Parmi ces figures, les experts émettent l'hypothèse, pour la femme se détachant au premier plan, d'une représentation d'une vierge folle tenant une lampe renversée.

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Les sculptures du portail central de la façade occidentale de la cathédrale Saint-Pierre et Saint-Paul comportent une scène analogue figurant les damnés.


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De l'autre côté devaient figurer les élus dont on ne perçoit plus que le haut de leurs auréoles.

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La façade présente une cohorte d'élus de toutes conditions.

Corps nus versus corps vêtus

dans les scènes de Jugement dernier *************

A l'époque médiévale, les rapports à la nudité apparaissent notoirement ambigus parce qu'une dimension érotique n'était pas forcément associée au corps nu. La nudité, loin d'évoquer la sexualité, la licence, est aussi le symbole de la pureté par la figuration de l'âme sous les apparences d'un enfant ou de l'innocence première sous les traits d'Adam et Eve avant la faute originelle ; dans l'imagerie des Jugements derniers les condamnés aux tourments infernaux seront représentés jetés nus dans la bouche béante du Léviathan. Ainsi au Moyen Âge, la nudité oscille le plus souvent entre le rappel de l'innocence d'avant le péché originel et la luxure.
L’horizon du chrétien c’est la contemplation de Dieu. Lors du Jugement dernier les élus ( les brebis ) et les réprouvés ( les boucs ) seront séparés. Les premiers jouissant dans leur corps glorieux de la béatitude céleste tandis que les seconds seront tourmentés dans leur corps et dans leur âme. A l’époque médiévale, hommes et femmes vivaient avec ce bruit de fond permanent. Par ailleurs, sachant que le corps, vecteur de la faute originelle et des vices est aussi le corps des vertus et du salut, les corps des justes et des réprouvés doivent-ils être représentés nus ou habillés ? Telle était la question que se posaient les théologiens médiévaux.
Le grand questionnement de l'
évêque Honorius d' Autun au XIIIe siècle en est un bon témoignage : " les saints seront-ils habillés ou nus ? "
La solution la plus purement théologique est celle de la nudité puisque, après le Jugement dernier le péché originel sera effacé pour les élus. Cette thèse est fortement soutenue par saint Augustin au motif de l'innocence retrouvée et de la totale absence de honte. Le vêtement étant un effet de la Chute, comme on l'a vu plus haut, il n'est pas utile de le montrer.
Pour d'autres, en revanche, la nudité est moins affaire de théologie que de pudeur et de sensibilité.
Les deux positions méthodologiques sont soutenues et soutenables.

Les divers ateliers de sculpture et de peinture ont témoigné dans leurs œuvres, à leur façon et avec leur style propre, de ces interrogations et de ces positions.
Les justes seront le plus fréquemment représentés habillés lors de leur accession à la béatitude céleste, le vêtement figurant en quelque sorte leur corps glorieux.
Les
réprouvés conserveront, en revanche, le plus souvent, dans les tourments infernaux l'état de nudité qu'ils avaient à la sortie du tombeau. Regardons néanmoins les choix effectués par les sculpteurs de notre cathédrale SainPierre et Saint-Paul…
Le discours des clercs autour du thème de la nudité, de la honte et du péché d'ordre sexuel a si fortement imprégné les mentalités que les artistes, malgré les textes théologiques, ne se sont pas résolus à ne pas habiller les justes. En revanche, lorsque les anges sonnent de la trompette les corps ressuscités sortent de leurs tombes soit nus ( à Bourges, Poitiers ) ou vêtus ( Paris, Strasbourg ). Ces quelques éléments de statuaire montrent à la fois les parentés et les différences d'un édifice à l'autre dans la manière de représenter le même thème. De même, les différences de composition entre roman, gothique et transition entre le roman et le gothique peuvent apparaître à divers niveaux : harmonie plus ou moins grande de la composition, attitudes figées ou en mouvement, visages impassibles ou plus expressifs, stylisation des habits et de leurs plis...
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