Musique, musiciens et danseurs

dans l’iconographie romane

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Le chant communautaire des offices religieux, expression de la foi, réunit les hommes dans la louange divine. Si l'on excepte les représentations de Vieillards de l'Apocalypse jouant de leurs instruments et les nombreuses galeries d'anges musiciens, c'est essentiellement de la musique et de la danse profanes dont témoigne la mémoire des pierres romanes.

Toutefois force est de constater que la danse a toujours posé problème aux instances religieuses - papes et évêques - tout au long du Moyen Âge. On avait beau répéter qu’elle était d’origine païenne, la danse a été passionnément aimée par le peuple, au grand désespoir des moralistes qui la détestaient. « Mais malgré les défenses et les anathèmes, Satan conquérait toujours à ses œuvres d’ardents dévots » n’hésitait pas à écrire Edmond Faral ( 1916, 2010, p. 90 ).

La musique religieuse.
Des instruments de musique accompagnent fréquemment certains personnages, comme David, les Vieillards de l'Apocalypse ou les anges.

✏︎ David, ordonnateur de la musique céleste.

David est représenté non seulement dans son affrontement avec Goliath mais aussi en musicien symbolisant par son son statut l’ordre du monde.
L’iconographie de David, assis sur un trône, reconnaissable à sa harpe ou à sa lyre, et entouré de musiciens, de danseurs, voire de jongleurs n’est pas rare.
L’image de David jouant de la harpe rappelle qu’il a composé les psaumes et qu’il chantait devant l’Arche les louanges de Dieu et l’espoir d’un Sauveur.
En accordant sa harpe, le roi David organise harmonieusement le monde sous la loi du Christ. Il fournit ainsi un modèle de roi chrétien d’autant plus prompt à louanger le Seigneur qu’il est élu par lui pour exercer sur terre son magistère.
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La vocation de David jouant de la musique et un ange.
Façade de Saint-Gilles-du-Gard, Gard.

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Chapiteau dit de David et de ses musiciens ; ici face ouest :évocation d’ Eman Cum Rota.
Cloître de l’abbaye Saint-Pierre de Moissac, Tarn-et-Garonne.



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David en compagnie de ses fidèles musiciens.

© Photothèque Musée des Augustins, Toulouse, photo : Daniel Martin Salle romane ME 102


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Il est parfois seul, comme ici, accordant sa harpe, assis sur un petit tabouret.
© Photothèque Musée des Augustins, Toulouse, photo : Daniel Martin Salle romane ME 80

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C’est entre deux lions que David, le roi musicien, joue d'un instrument de musique sur la façade de l’église de Genouillé, Vienne.


Les Vieillards de l’Apocalypse.


Les Vieillards de l'Apocalypse sont représentés couronnés et barbus, généralement assis et de face. Ils tiennent dans une main un instrument de musique (le plus souvent une vièle) et, dans l’autre, une coupe à parfum.

abba dames Les Vieillards de l'Apocalypse porteurs d’une harpe-psaltérion tiennent soit un sceptres, soit une coupe de parfum.
Façade de l’abbaye aux Dames, Saintes, Charente-Maritime.

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Vieillards à longue barbe jouant de divers instruments.
Façade de l’église d’Avy, Charente-Maritime.

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Gros plan sur trois Vieillards de l'Apocalypse tenant une coupe d’une main et leur instrument à cordes de l’autre.
Tympan, abbatiale de Moissac, Tarn-et-Garonne.

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Un chapiteau situé sous le tympan, de la cathédrale d'Autun, Saône-et-Loire, comporte également une représentation des Vieillards de l’Apocalypse.

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Vieillard de l’Apocalypse avec coupe et cithare.
Crédit photo : Eduard van Boxtel.
Eglise Notre-Dame de l’Assomption, Anzy-le-Duc, Saône-et-Loire.

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Deux des six Vieillards de l’Apocalypse représentés debout tenant un même instrument de musique sur le portail
de l’ancienne église Notre-Dame-de-la-Couldre, Parthenay, Deux-Sèvres.

Les sculpteurs ont aussi représenté les divers modes de la musique grégorienne.
Ainsi, un chapiteau de la cathédrale d’Autun illustre le quatrième ton par trois personnages, vêtus jusqu’aux genoux de robes moulantes. Le personnage au centre de la composition porte une longue pièce de bois munie de clochettes dont les marteaux sont agités par deux autres hommes à demi‐courbés.
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Cathédrale d’Autun, Saône-et-Loire.

✏︎ Les Anges musiciens.

En plus des anges qui soufflaient dans les trompettes du Jugement dernier les sculpteurs réalisèrent de nombreuses galeries d'anges musiciens jouant d'instruments les plus variés.

** Les anges, transmetteurs des révélations divines tiennent souvent une trompe ou un olifant, particulièrement dans les compositions scéniques liées à l’Apocalypse.



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Ange sonnant de la trompette lors de la résurrection des morts.
Cathédrale Saint-Lazare, Autun, Saône-et-Loire.

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Ange sonnant de l'olifant lors du retour du Christ à la fin des temps.
Abbatiale de Beaulieu-sur-Dordogne, Corrèze.


** Les anges chanteurs et musiciens symbolisent la perfection de l’ordre du monde céleste.

La façade de l’église Saint-Nicolas de Civray, Vienne, possède ainsi une belle représentation d’anges musiciens jouant d’une grande diversité d’instruments qui constitue une magnifique évocation des joies paradisiaques.

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Archivolte des anges musiciens accompagnés de leurs divers instruments : les deux du centre semblent jouer du tympanon et peut-être du tambourin ?


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Ange jouant d’une vièle à roue.

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Ange jouant de l’olifant.

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Ange jouant de la flûte à bec.

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Ange jouant du frestel et de la clochette.

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Ange jouant de la viole à trois cordes.


La musique et la danse profanes.

Les musiciens étaient nombreux tant aux fêtes de l’Eglise qu’aux mariages. On répartissait les instruments « selon le tumulte qu’ils faisaient et on mettait à l’écart les plus retentissants. On entendait dans les rues la mélodie des vielles, des psaltérions, des harpes, des gigues, des cithares ; et on entendait, venu de loin, des champs où on les avait relégués, le tapage des cymbales, des macaires, des douçaines, des grosses caisses, des cors sarrasins »( E. Faral, p.90 ).

✏︎ Les musiciens et leurs instruments.
L’imagerie romane comporte de nombreuses représentations de musiciens et de leurs instruments.
Les instruments de musique réunis ici, donnent à imaginer ce que pouvait être le son dans sa couleur proprement médiévale. Elle comprend à la fois des instruments à corde, des instruments à vent et à percussion.
reverien-pict0014 Personnages debout, barbus et couronnés tenant leurs instruments à cordes. Eglise de Saint-Révérien, Nièvre.

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A gauche, un personnage joue de la harpe d’une main tandis que de l’autre il tient un cornet, le second joue d’une grande vielle à quatre cordes, le troisième joue d’une flûte droite à six trous, quant au quatrième il joue de la flûte de pan pendant qu’à ses côtés une danseuse virevolte comme on peut l’observer sur le dernier cliché ci-après.

Eglise de Bourbon-l’Archambault, Allier.

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Gros plan sur le personnage jouant de la harpe d’une main et tenant un cornet de l’autre, tandis que le second joue d’une grande vielle à quatre cordes.
Eglise de Bourbon-l’Archambault, Allier.

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Le troisième musicien joue d’une flûte droite à six trous, quant au quatrième il joue de la flûte de pan pendant qu’à ses côtés une danseuse virevolte. Eglise de Bourbon-l’Archambault, Allier.



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Joueurs de rote-psaltérion.
Eglise saint-Hilaire, Melle, Deux-Sèvres.

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Interprétation nivernaise de l'instrumentiste à cordes.
Eglise de Saint-Pierre-le-Moutier, Nièvre.

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Le joueur de harpe est fréquemment figuré dans les modillons ornant les corniches des toitures en de nombreuses provinces romanes.

Eglise de Varaize, Charente-Maritime.

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Un joueur de harpe. Les traits sont frustes, mais l'ensemble sympathique dans sa gaucherie.
Ancienne église priorale Saint-Martin, Brux, Vienne.


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Même thème mais exécution plus soignée. Le harpiste, tout à son jeu, tire le maximum des fines cordes de son instrument.
Eglise Saint - Léger de la Martinière, Deux-Sèvres.

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Un joueur de harpe : variante aux doigts soignés.
Eglise Saint - Pierre, Melle, Deux-Sèvres.

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Variante du joueur de harpe.
Eglise de Champagnolles, Charente-Maritime.

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Joueur de vièle à archet. La décoration est remarquable.
Eglise de Marnay, Vienne.

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Un joueur de vièle à archet.
Eglise Saint-Nicolas de Maillezais, Vendée.

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Une joueuse de vièle à archet.
Eglise Saint - Hilaire, Melle, Deux-Sèvres.

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Le musicien est le plus beau des modillons
de l’église de Lavernhe, canton de Sévirac le Château, Aveyron.


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Autre variante aveyronnaise du joueur de vièle à archet.
Eglise d’Estables, Aveyron.


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Musiciens soufflant dans une corne.
Eglise d’Oyré, Vienne.

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Un joueur de trompe.

Eglise Saint-Pierre de la Tour, Aulnay-de-Saintonge, Charente-Maritime.

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Variante.
Eglise de Marignac, Charente-Maritime.

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Belle variante saintongeaise du joueur de cor à l'intérieur de la chapelle attenante à la nef.
Eglise Saint-Quentin, Chermignac, Charente -Maritime.

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Les sonneurs de trompes. Avec leurs bras et les épaules semblant partir de la tête les personnages gonflent leurs joues, avec deux trompes sortant de la bouche.

Eglise de Rieux-Minervois, Aude.

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" Le petit joueur de pipeau ".
Eglise Sainte-Eulalie, Secondigny, Deux-Sèvres.

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Joueur de chalumeau. Eglise du prieuré, Saint-Gaultier, Indre.

✏︎La danse profane.
La danse est un fait social et semble être depuis toujours une composante intégrante de la vie.
Diverses représentations de musiciens, debout ou assis, manifestent ainsi l'importance des activités d'ordre musical dans la société des XI-XIIe siècles.
** La question des rapports entre l’Église et la danse.

* Musique et danse demeurent des activités pouvant induire des attitudes déplacées, indécentes ; à ce titre, la danse comme la jonglerie n’accéderont jamais à la dignité aux yeux de l’Eglise médiévale qui condamne les contorsions et les gesticulations corporelles dans lesquelles elle voit des manifestations de désordre, de trouble et de vanité. En bref, ces prouesses sont purement physiques et non spirituelles. Dans la pensée médiévale la musique profane risque de mener à la luxure.         
Pour les moralistes la danse constitue une passion redoutable. « Etienne de Bourbon essaie de montrer que les jeunes filles qui s’adonnent à la danse pèchent contre les sept sacrements, notamment contre l’ordre, en imitant les processions des prêtres et contre le mariage, en répétant des refrains qui invitent la femme mariée à trouver un ami. » ( Jean Verdon, La vie quotidienne au Moyen Age, éditions Perrin, 2015, p.336).
Toutefois ces condamnations ne semblent toutefois n’avoir eu guère d’effet…

* Face à la danse, ferme dans ses positions de principe à condamner la danse, l’Eglise institutionnalisée peut toutefois difficilement oublier que les textes religieux eux-mêmes offrent des témoignages de la danse.
Dans cette perspective,
elle apparaît comme un instrument de louange divine.

A cet égard il suffit de rappeler la danse de David près de l'arche
( 2 Samuel 6, 12-23 )
« L’Arche de l’Alliance ( contenant les Tables de la Loi ) fait son entrée à Jérusalem dans la joie, la danse de David célébrant l’Eternel de tous ses membres dans le plus simple appareil.
« On vint dire au roi David : « Le Seigneur a béni la maison de Oved-Édom et tout ce qui lui appartient à cause de l’arche de Dieu. » David partit alors et fit monter l’arche de Dieu de la maison de Oved-Édom à la Cité de David, dans la joie. Or donc, lorsque les porteurs de l’arche du Seigneur eurent fait six pas, il offrit en sacrifice un taureau et un veau gras.
David tournoyait de toutes ses forces devant le Seigneur – David était ceint d’un éphod de lin. David et toute la maison d’Israël faisaient monter l’arche du Seigneur parmi les ovations et au son du cor. »


Malgré le bon exemple de David dansant autour de l’Arche d’Alliance, dans la sculpture romane la danse est le plus souvent perçue de façon négative.
Le Festin d'Hérode, ce bref épisode présent dans les évangiles de Marc et de Matthieu, a fasciné de nombreux artistes depuis le Moyen Âge.
L’histoire de l’arrestation du prophète qui avait baptisé le Christ, de
la danse de Salomé et de la décapitation de saint Jean-Baptiste ont  retenu l’attention des commanditaires et des imagiers.

Mère de Salomé, belle sœur puis épouse d’Hérode, c’est à son instigation que Jean est arrêté.

Car Jean avait dénoncé l’union entre Hérodiade, mère de Sqlomé, et Hérode : « Il ne t’est pas permis de garder la femme de ton frère». Aussi, Hérodiade le haïssait et voulait le faire mourir, mais elle ne le pouvait pas, car Hérode craignait Jean, sachant que c’était un homme juste et saint, et il le protégeait. Quand il l’avait entendu, il restait fort perplexe; cependant il l’écoutait volontiers. 2La fille de cette Hérodiade vint exécuter une danse et elle plut à Hérode et à ses convives.

Charmé, par la danse de la jeune fille, ce dernier s’engagea alors à donner à la belle tout ce qu’elle souhaitait et même « la moitié de son royaume ». Poussée par sa mère, la jeune fille réclama la tête du Précurseur sur un plat.

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Le festin d’Hérode portant couronne ; à ses côtés sa femme Hérodiade ; les convives à table ; tous regardent Salomé exécutant sa danse.
Crédit photo : romanes.com
Abbaye_Saint_Martin_d’Ainey, Lyon.

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Plan rapproché sur Salomé dansant.
Crédit photo : romanes.com
Abbaye_Saint_Martin_d’_Ainey, Lyon.



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La danse de Salomé. L’artiste la représente le corps cambré et offert de façon suggestive. Le roi Hérode séduit, se frise la moustache. A l’instigation de sa mère Salomé demande à Hérode la tête du saint.
Ce fameux
chapiteau de la Sauve Majeure, Gironde relate comment Salomé en séduisant le roi Hérode par une danse lascive obtint la tête de saint Jean Baptiste.

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Hérode caresse de sa main gauche, le menton de Salomé en train d’exécuter sa danse.
©Photothèque Musée des Augustins, Toulouse, photo : Daniel Martin. Salle romane ME 31


** La danse et les danseurs dans l’imagerie romane sculptée.
Dans la société médiévale marquée par l’ordre et malgré les efforts répétés de l’Eglise pour interdire les danses, l’homme médiéval n’a jamais cessé de danser.
C’est bien évidemment lors des grands rassemblements, comme les fêtes populaires licencieuses (fêtes de fous et surtout carnavals) que se succèdent dans les rues danses « folles » et bal.
En dehors de ces réjouissances, les occasions de danser ne manquent pas. Les poètes ne chantent‐ils pas volontiers les danses de de mai. Suivent au mois de juin celles de la Saint‐Jean d’été entre autres.

A suivre Catherine Ingrassia, « les danses de groupe semblent aussi récurrentes que les danses en solistes ; on peut rapidement identifier les caroles et les tresques ; les danses paysannes sont assez gesticulantes et deviendront rapidement des hautes danses où l’on saute, par opposition aux basses danses, généralement danses de cour où l’élégance et la chorégraphie intellectualisée priment. La danse de couple ne semble apparaître en tant que telle qu’au XIIIe et surtout au XIVe siècle et les deux danseurs ne se tiennent pas les mains avant le XIVe siècle. » (Compte rendu du séminaire du 11 octobre 2012)
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Danseurs les bras levés accompagnés de musiciens.
Eglise Saint-symphorien de Broue, Charente-Maritime.

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Petits personnages deux à deux : les uns jouent de la musique, les autres dansent.
Anciene église abbatiale Saint-Martin, Nieul-les-Saintes.

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A Pont-l’Abbé-d’Arnoult, Charente-Maritime, larcature droite de la façade offre une belle composition scénique de danseurs.


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Danse de femmes qui se tiennent par la main, de face, autrement dit le dos tourné au centre. En réalisant cette œuvre le sculpteur a-il pensé à la carole, danse spontanée en forme de ronde ou de farandole, chaîne ouverte ou fermée; danse ou marche solennelle que l’on exécute lors des fêtes populaires, mais aussi aristocratiques, et qui est accompagnée de chansons à refrain. Jean Verdon note que « la seule différence entre une procession religieuse et la carole, c’est l’esprit, car les chansons de carole sont des chansons d’amour » ( 2007, p.44 ).
Chapiteau extérieur de l’église Saint‐Nicolas de Maillezais, Vendée.

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Au second niveau de l'arcade supérieure droite jouxtant les quatre statues représentant les quatre évangélistes une statue-colonne figure une danseuse joliment vêtue, à l’allure provocante, la tête sur le côté et les mains sur les hanches. Est-on en présence d’une illustration des plaisirs profanes face à l’ensemble des anges musiciens sur la voussure de l’arcade nord représentant la musique céleste ?
Façade de l’église Saint-Nicolas de Civray, Vienne.

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Un être énigmatique présente le fruit de la tentation à un couple de danseurs.
Abbatiale de Fleury, Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret.

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Plan rapproché sur le couple de danseurs.

Abbatiale de Fleury, Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret .


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A gauche d’un masque barbu ( clef de voûte ) un personnage à cloche-pied/danseur est accompagné d’un musicien.
Eglise Notre-Dame et Saint-Junien,Lusignan, Vienne.


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Un joueur de cornemuse et un couple : l’homme porte un bonnet pointu et la femme a une large coiffe ainsi qu’une robe bien serrée à la taille. Eglise de Vouvant, Vendée .

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Danseur accompagné de musiciens jouant d'un instrument à cordes et d'une flûte à bec.
Chapiteau de l’église Saint-Sulpice d’Oyré, Vienne.


L’âne à la lyre et les autres animaux musiciens.
Dans l'art roman, ce ne sont pas seulement les hommes qui jouent de la musique, mais aussi les animaux. L’âne tenant une lyre est fréquemment figuré tant sur des chapiteaux que sur des modillons.
** L’âne à la lyre ou jouant de la harpe ou du psalterion.

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Ane à la lyre, archivolte du portail sud, Eglise Saint-Pierre-de-la Tour, Aulnay-de-Saintonge, Charente-Maritime.

Lorsqu’on parle d’âne musicien on pense d’abord au fameux « l’âne qui vielle » de la cathédrale de Chartres ; en réalité, cet animal tient une lyre. Ce thème de l’âne musicien, évoquant couramment l’ignorance d’un lourdaud prétentieux, est fréquent dans le bestiaire roman.
Il joue le plus souvent de la rote ou harpe-psaltérion et, dans quelques cas, de la vièle ou de la cithare. Ce thème de l’âne musicien était déjà représenté à Ur en Mésopotamie, 3 000 ans avant notre ère. Une fable de Phèdre, écrite au 1er siècle de notre ère, en donna une version. 
" L'âne, voyant une lyre abandonnée par terre dans une prairie, s'approcha et essaya les cordes avec son sabot, elles résonnèrent dès qu'il les toucha : " joli instrument parbleu, mais c'est mal tombé dit l'âne, car je ne sais pas en jouer. Si quelqu'un de plus savant l'avait trouvé, il eût charmé les oreilles par de divines mélodies ".
Reprise par Boèce au VI e siècle, l’histoire se modifie et prend un sens chrétien. Un âne, dans une prairie, voit une lyre abandonnée par terre et essaye d’en jouer de ses sabots. Il reconnaît son ignorance et estime qu’un plus savant que lui pourrait mieux en jouer. Boèce y voit le symbole de l'ignorance devant la philosophie.
L’âne caressant de ses sabots les cordes de son instrument c’est d’abord une scène drôlatique. Cependant ce thème n’est pas un pur amusement d’imagier, un sens peut lui être implicitement associé. On peut dire, ensuite, que la musique, sacrée ou profane, est une activité propre à l’être humain. Dans la mesure où l’on fait jouer un instrumentiste animalier le pas est franchi entre le genre humain et le monde animal.
Dans la pensée chrétienne l’animal musicien symbolise l’ignorance prétentieuse et la paresse spirituelle au lieu et place de la recherche zélée du Tout Autre.
Dans les termes de
Madeleine Zeller l’âne musicien « est l’emblème de l’homme charnel, qui ne peut pas comprendre ce qui vient de l’Esprit de Dieu, contrairement à l’homme spirituel qui est animé par le désir de l’Esprit ». Une relation étroite unit la propension aux plaisirs de la chair et la paresse spirituelle.
En bref, la discordance voulue entre l’instrumentiste animalier et la musique sacrée traduit une opposition frappante de type parodique entre la nature animalière des musiciens et la musique sacrée que les instruments à corde ou à vent doivent produire.
Le sujet de l’âne à la lyre ou de l’animal musicien invite, sur le mode de l’humour, le chrétien à maîtriser ses comportements et l’exhorte à suivre la voie étroite permettant de progresser sur « l ’échelle du Salut » en vue de la cité céleste.
À Saint-Pierre-de-la-Tour d’Aulnay, à quelques claveaux de l’âne à la rote, se trouve d’ailleurs un âne tenant un livre à l’envers.

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Composition dite de «  l’âne au lutrin ». En fait, les animaux représentés sont difficilement identifiables. On pourrait peut-être voir un bouc ou un bélier en aube et chasuble chantant devant un missel que lui tient un autre animal ( âne, loup ? ).

L’âne musicien serait ici l’emblème de l’homme charnel, par opposition à l’homme spirituel, et de l’ignorance. Il rappelle au chrétien le caractère sacré de la musique et l'invite à maîtriser ses comportements, à renoncer aux plaisirs de la chair et à la paresse spirituelle.

** En fait, il existe plusieurs variantes de l’âne à la lyre tant au niveau des instruments de musique qu'à celui des animaux interprètes.

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« Ane à la lyre » ; en fait. il s’agit d’un être hybride au pelage proche de celui du bouc et aux oreilles courtes...
Eglise de Saint-Nectaire, Puy-de-Dôme. parize-pict0190
Animal musicien : âne ou porc selon les caractéristiques privilégiées....assis et pinçant les cordes d’une harpe.
Crypte de l'église de Saint-Parizé-le-Chatel, Nièvre.

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Chapiteau des animaux musiciens : un âne jouant de la harpe.
Crédit photo : Mossot. Portail de l’église Saint-Julien , Meillers, Allier.

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Il n’y a pas que les chapiteaux qui comportent de telles représentations d’animaux musiciens. Il en est de même dans le petit monde joyeux des modillons. Ici un âne joue de harpe. Eglise Sainte-Jeanne de France, Lignieres, Cher.

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Modillon de l’église Saint-Porchaire, Poitiers, Vienne.

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Ancien prieuré à côté de l'église Saint-Julien, Drevant,Cher.



** Autres animaux musiciens, autres instruments de musique.
La lyre est l’instrument usuellement représentée dans la sculpture romane pour évoquer le concept de l ‘âne musicien ; cependant, on trouve également dans les représentations sculptées que nous avons pu observer jusqu’ici flûte, frestel ou autre...
De même, les animaux musiciens ne sont pas toujours des ânes mais on trouve également des protagonistes tels des béliers, des singes, voire un chien…
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Farandole d’animaux musiciens : bouc, âne, créature hybride âne-bouc.
Eglise prieurale Notre-Dame de Cunault, Maine-et-Loire.

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Singe jouant d'un instrument à cordes.
Crypte de l'église de Saint-Parizé-le-Chatel, Nièvre.

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Chapiteau des animaux musiciens : un lion jouant de la viole
Crédit photo : Mossot. Portail de l’église Saint-Julien , Meillers, Allier.

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Un singe musicien, créature ambiguë de par sa ressemblance avec l’être humain..
Chapelle Notre-Dame de Chateau-Larcher, Vienne.

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Ane jouant du frestel.
Eglise de Marnay, Vienne.

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Un autre âne musicien.
Eglise Saint-Jean-Baptiste, La Villedieu-du-Clain, Vienne .

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Animaux jouant du frestel et du chalumeau double.
Ancienne collégiale saint-Ours, Loches, Indre-et-Loire.

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Plus original : un âne jouant de l'orgue.
Ancienne abbatiale de Murbach, Haut-Rhin.

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Et même un chien jouant d'un instrument à cordes.
Ancienne abbatiale de Murbach, Haut-Rhin.

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