III- De « l’égalité relative » des défunts…
ou l’art funéraire, miroir social
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En allant aujourd’hui dans un cimetière on se rend compte d’un seul coup d’œil de la date de la sépulture.
Les monuments construits depuis le milieu du XXe siècle reflètent la standardisation de notre époque.
Mais, si vous observez les sépultures du XIX ème siècle, c’est la différenciation qui frappe le visiteur. Bien sûr, il y a des styles mais nombre de ces monuments funéraires sont des œuvres artistiques.
C’est depuis le XVIIIe siècle que la manière de concevoir l’art funéraire a profondément changé ; sur les instances de la Faculté, les autorités publiques décident de déplacer les cimetières à l’extérieur des villes, de les entourer de murs, d’interdire le creusage de puits à proximité pour des raisons de salubrité publique. De lieu placé au centre de la communauté des vivants, le plus souvent autour des églises, le cimetière à la périphérie est désormais devenu un lieu à part, de visite aux morts.
Le monument qui était autrefois l’exception, va devenir la norme. Mais si l’égalité entre les morts est a priori la règle, les différenciations sociales pourtant vont franchir les portes du cimetière.
La sépulture va cesser d’être une simple borne funéraire rappelant aux vivants le souvenir d’un défunt ; elle devient un véritable monument d’architecture voire d’art pour certaines.
Le XIXe siècle voit apparaître des caveaux destinés à montrer l’aisance de la famille qui les bâtit. Miroir social, le monument funéraire se doit de refléter la position sociale, la notoriété, la culture du défunt et de sa famille. L’art funéraire va prendre une ampleur inconnue jusque là.
☞L’ancien cimetière de Buxerolles, comme les autres en France, comporte une grande variété de petits monuments de pierre qui révèle la richesse de l’art funéraire au XIXè et au début du XXè siècles.
Dans son « traité d’architecture théorique et pratique » Georges Tubeuf place sous le vocable de tombeaux « tous les monuments, de quelque forme qu’ils soient, qui sont destinés à recevoir le corps d’un défunt et qui sont élevés à sa mémoire ; c’est un terme générique sous lequel on range pierres tombales, chapelles funéraires, cippes, hypogées, sépulcres, tumuli, mausolées." ( 1925, chapitre VIII, p.310 ).
Quels éléments de cette typologie funéraire rencontrons nous dans le cimetière de notre commune ?
✏︎Pierres tombales
La pierre tombale constitue l’élément de base nécessaire à la fermeture du caveau. C’est une dalle souvent en pierre d’un seul morceau portant au moins une pente pour que l’eau ne puisse pas y séjourner. La dalle c’est la sépulture première ; elle est parvenue jusqu’à nous dans sa simplicité.
La dalle peut-être à deux pentes, elle peut être revêtue d’une croix posée à plat et de faible relief. Des inscriptions sont gravées au pied de la croix. La sévérité du style n’est atténuée que par l’épitaphe rappelant les qualités et les vertus du défunt.
Tombes à chevalets ainsi dénommées car les dalles monolithiques reposent à leurs deux extrémités sur des supports, ici des pierres rectangulaires d’une grande sobriété.
Parfois cette dalle peut être protégée par une balustrade de fer ou de fonte...
… ou même en plus par un abri en tôle dont voici l'unique exemplaire.
Pierres tombales avec entourage en fer
Aux quatre coins de la balustrade s’élève une flamme métallique qui évoque la vie. Elle peut aussi suggérer le souvenir vivace et la transmission, c'est pourquoi une flamme perpétuelle brûle au-dessus de la tombe du soldat inconnu.
La flamme peut aussi représenter la pensée qui permet d'orienter la marche dans les ténèbres. Elle se retrouve dès lors sur la tombe de libres penseurs qui assimile les ténèbres aux dogmes et à l’obscurantisme.
Les bornes et la chaîne qui les relie circonscrivent l'espace sacré de la sépulture et le sépare du domaine profane. Quatre bornes ( deux sont dégradées ) surmontées d’une flamme structurent cette sépulture.
Les quatre éléments peuvent suggérer les points cardinaux et donc, l'universalité du Christianisme. Elles peuvent aussi symboliser les quatre Évangélistes.
La chaîne représente la vie. Si un maillon est brisé, elle symbolise la mort.
Panneau indiquant une tombe en déshérence
✏︎ Colonnes et cippes
♦️L'arbre met en relation la terre et le ciel. Avec ses transformations saisonnières il évoque la vie : naissance, croissance et mort.
Lorsque le tronc est étêté, c’est la mort précoce d’une jeune fille ou d’un jeune homme qui est symbolisée. En d’autres termes c’est l’arbre de vie dont la croissance serait abruptement interrompue qui est évoquée.
♦️La colonne, seule ou posée sur une dalle, est quelquefois brisée. Elle est pouvait être parfois coiffée d’une urne funéraire ou du buste du défunt.
Ici la colonne seule est tronquée. Ainsi brisée elle évoque le plus souvent la mort prématurée d'un jeune homme en pleine force de l'âge.
Cette forme de monument est plus rarement employée pour la sépulture prématurée d'une jeune femme ; en effet, la colonne évoque aussi le phallus et l'érection.
Certaines tombes sont surmontées de la colonne brisée avec le chapiteau reposant volontairement auprès du socle.
♦️Deux beaux types de cippes, ces petits monuments dressés quadrangulaires. Les plus soignés sont ornés de couronnes mortuaires.
✏︎Les stèles forment l’immense majorité des monuments funéraires construits .
La stèle au chevet, désigne une pierre sculptée, placée verticalement à la tête de la sépulture. Il existe une importante diversité de formes et d’aspects de stèles. La plus simple est une pierre rectangulaire dressée et les plus ouvragées constituent des édicules des plus richement ornés, chargés de médaillons, de couronnes, d’éléments symboliques ou purement décoratifs.
Ce beau monument en calcaire comporte une riche couronne mortuaire symbolisant l'éternité par le cercle qu'elle épouse.
De sensiblement de la même époque cet autre spécimen de stèle est remarquable par sa décoration .
Elle comporte un médaillon faisant sans doute référence à la dévotion envers le Sacré-Cœur.
La pierre tombale avec stèle au chevet.
A la tête des dalles prend place une pierre verticale, découpée, ornée et portant des inscriptions ou des emblèmes.
On conçoit la diversité de formes et d’aspect que l’on peut obtenir par ce moyen, depuis la simple pierre rectangulaire dressée jusqu’aux édicules bien plus importants chargés de médaillons, d’ornements symboliques.
Le cimetière comporte ainsi de nombreux exemples de ce type de construction où la dalle et la stèle se rejoignent pour former un seul monument.
La pierre tombale prend un peu plus d’importance en hauteur à tel point que ce tombeau affecte presque la forme du sarcophage.
Il comprend une dalle inclinée portant en avant les inscriptions alors qu’en arrière une croix couronne cet ensemble massif d’une simplicité rustique prêt à défier le temps. Une jardinière est même incorporée au monument
♦️Lorsque les possibilités financières existent, architectes, constructeurs et sculpteurs ont pu laisser libre cours à leur imagination.
Ce présent petit édifice en est un remarquable exemple.
L’affirmation de l’originalité dans la construction est patente.
✏︎La chapelle funéraire, tombeau et lieu de culte
Jusqu’alors individuel, le monument devient familial avec la chapelle miniaturisée, aux dimensions normales d’une concession perpétuelle. Ce petit édifice familial, est conçu comme une petite maison funéraire dans laquelle l’intimité des morts est protégée de la curiosité du public.
Les deux chapelles existant dans notre cimetière sont du même type, de mêmes tailles, de mêmes matériaux et ornements.
La chapelle est le plus grand volume construit au cimetière de Buxerolles ; c’est une construction de plan rectangulaire surmontée d'un toit composé de deux rampants en pierre.
Ce petit édicule placé au-dessus du caveau qu’est la chapelle funéraire abrite un petit autel, sorte de table accostée au mur du fond recouverte d’une nappe. Les plaques et inscriptions sont à l’intérieur ainsi que les porte-couronnes.
Sa façade, est couronnée par un fronton triangulaire que surmonte une petite croix en pierre. Sur ce fronton est inscrit : Famille X.
Deux élévations disposent chacune d’une fenêtre avec un vitrail.
La façade dispose d’une porte vitrée.
Des vitraux à décors géométriques apportent une touche artistique supplémentaire ; en plus, l’effigie du premier défunt propriétaire à Lessart décédé en 1916 figure sur l’un d’eux.
Monument passé de mode au grand dam des constructeurs, la chapelle garde aujourd’hui quelques adeptes tel ce marbrier de La Roche,-sur-Yon qui, bien sûr, prêche pour sa chapelle ou plutôt pour ses chapelles.
II ne cache pas qu'il s'agit d'un marché de niche mais professionnellement c'est un régal professionnel à chaque fois car ce sont de véritables créations. « À l'époque, on voulait laisser une trace de son passage sur terre. Aujourd'hui, ceux qui en auraient les moyens ont peur que cela fasse prétentieux », déplore le marbrier.
✏︎Des sépultures particulières, non par leur type funéraire mais par les défunts qui y sont inhumés, doivent être évoquées.
♦️Au cimetière de Buxerolles pas de carrés réservés aux enfants ou aux militaires disparus mais leurs tombes éparses se rencontrent partout avec certaines caractéristiques propres.
Sur les sépultures anciennes comme sur les contemporaines la présence d’ angelots signifie qu’ici reposent de trop courtes vies qui n’ont jamais pu atteindre l’automne de leur existence.
♦️A la Toussaint des membres du Bleuet de France ont fleuri les tombes des jeunes hommes de 20 ans tombés au champ d’honneur comme ils ont fleuri leurs camarades de combat des autres guerres.
Depuis plus de 80 ans, le Bleuet de France est le symbole national de Mémoire et de Solidarité, envers les anciens combattants, les victimes de guerre, les veuves et les orphelins.
Pourquoi cette fleur sauvage qu’est le Bleuet a-t-elle été choisie pour incarner le symbole national du Souvenir ?
L’appellation Bleuet serait un héritage des tranchées, un souvenir de ces jeunes nouveaux soldats de la classe 15 - nés en 1895- fraîchement arrivés sur le champ de bataille dans leurs uniformes bleu horizon et baptisés « bleuets » par leurs aînés Poilus.
Ces jeunes recrues qui, pour des milliers d’entre eux n’ont jamais eu vingt ans, avaient été surnommés ainsi par leurs aînés Poilus qui avaient porté le désastreux pantalon rouge garance encore en usage au tout début de la « Grande Guerre. »
Selon une autre interprétation l’origine de cette appellation serait simplement que cette fleur des champs a continué à pousser malgré l’horreur des tranchées sur les champs de bataille.
☞La standardisation de l’art funéraire au XXè siècle.
L’inspiration architecturale et artistique si foisonnante au XIXè semble pour l’essentiel se tarir au XXè siècle. Ce n’est pas que les constructeurs feraient défaut mais, au-delà des contingences économiques et financières, le fait est révélateur des valeurs sociales dominantes de l’époque tout autant que des choix des familles obligées de faire face par obligation au décès de leur proche.
Avec le développement de la société industrielle, le cimetière prend sa forme actuelle avec l’organisation en divisions, carrés et rangées.
Très minéralisé le cimetière traditionnel comporte peu de végétation. Il ne propose que des rangées de tombes serrées, séparées par des allées de circulation en graviers.
Les alignements de tombes impersonnelles et le recours croissant à l’incinération ne présentent plus le même intérêt artistique possédé par certaines sépultures de l’âge d’or de l’art funéraire qu’a été le XIXe siècle. Les tombeaux le plus souvent d’une affligeante banalité sont construits en série dans le matériau le plus économique et le plus résistant, c’est-à-dire le granit, poli de préférence pour faciliter le nettoyage.
On est loin des formes variées et harmonieuses que pouvaient avoir certains monuments anciens de pierre calcaire.
L’art funéraire est aujourd’hui fortement standardisé par rapport à celui du XIXe siècle malgré les offres commerciales de personnalisation de monument funéraire permettant d’affiner son style et de renforcer la signification que les familles souhaitent lui donner. Le type de monument le plus courant est la dalle surmontée d’une stèle.
La stèle reste l’instrument du message : nom, titres, fonctions et parfois épitaphes peuvent y figurer.
Aujourd’hui, la plupart ne comportent que des inscriptions ; toutefois certaines sont ornées de gravures, directement ciselées sur la stèle si elle a été réalisée dans le même matériau ou sur des plaques thématiques ; quelques-unes ont des objets parfois inattendus posés sur la dalle.
Le columbarium où sont placées les urnes cinéraires et le Jardin du Souvenir
tous deux aménagés dans une partie du cimetière
Pour les familles qui ont fait le choix de la crémation deux choix principaux s’offrent à elles :
* la dispersion des cendres au Jardin du Souvenir, espace collectif et anonyme ;
* la conservation des cendres dans une urne. Le dépôt de l’urne peut être effectué dans une construction collective hors-sol appelée le columbarium.
Le columbarium ( dérivé du latin columba, niche de pigeon ) est composé de niches individuelles destinées à accueillir une ou plusieurs urnes ( maximum quatre ). Sa porte est ornée d'une plaque sur laquelle sont gravés le nom et prénom du défunt ainsi que ses dates de naissance et de décès.
A noter qu'à l'instar d'une pierre tombale, le columbarium suppose l'acquisition d'une concession funéraire de durée également variable auprès de la mairie.
Le columbarium, monument unique de type multiconcessionnel, ne doit pas être confondu avec les concessions cinéraires individuelles ; celles-ci sont des carrés de terrain ou peut être implanté un « cavurne », sorte de caveau spécifique en béton qui peut accueillir plusieurs urnes, et sur lequel peut être érigé un petit monument.
Dans tous les cas, sous une forme ou sous une autre - inhumation ou crémation-, l’évocation de l’être aimé et disparu persiste.
L’expression « le temps passe le souvenir reste » demeure sans doute commun à tous les choix funéraires.
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NB. Les photos ont été prises généralement sous un certain angle ou ont fait l'objet de recadrages voire de floutages délibérés afin de respecter la liberté et l'intimité des familles.
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