Des croix et des calvaires de la Vienne
Des croix et des calvaires de la Vienne
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Des croix et des calvaires de la Vienne

Un petit patrimoine cultuel rural,
mémoire en images d'un art populaire




Font partie du petit patrimoine tous les éléments des sites bâtis et du paysage, modestes dans leur aspect et leurs dimensions, qui conservent cependant une valeur historique et culturelle parce qu'ils demeurent des témoignages du temps passé et d’un espace donné.
Croix et calvaires abondent encore au cœur des campagnes. Les croix ne sont pas, en Poitou, aussi célèbres que les remarquables calvaires monumentaux de Bretagne, mais la richesse de cette dernière ne doit pas laisser ignorer pour autant ces éléments du petit patrimoine religieux et historique des autres régions.

Ces humbles édifices témoignent de la piété des populations rurales d'autrefois. La croix est d'abord un instrument d'évangélisation les autorités ecclésiastiques espèrent éveiller les âmes frustes à son mystère.
On les observe tant au centre des places et des cimetières qu'aux carrefours ou en pleins champs. Plus largement érigées au bord des chemins les croix nous rappellent comment travaux agricoles et vie chrétienne étaient alors dans une certaine mesure liés.
Par leur rôle de poteau indicateur, ces petits édifices servaient aussi de repères dans le cadre d'un voyage, à une époque ou ceux-ci étaient une aventure ; elles jalonnent les itinéraires de pèlerinage. Erigées aussi près de lieux parfois entourés de mystères, où se réunissaient, croyait-on, sorciers et démons pour le sabbat, les croix de pierre servaient à conjurer le mauvais sort et les effets maléfiques.
Par leur présence et leur signification les croix sont un élément majeur de la vie d'autrefois dans une société où la religion est omniprésente elles invitent chacun à la piété. Toutes ces marques anciennes ne sont pas seulement des témoignages de la foi des populations locales, elles sont aussi souvent liées à l’histoire, à la vie quotidienne, à l’existence vécue de nos aïeux.

La modernité et la lente déchristianisation signent leur déclin au point de ne plus apparaître que comme les témoins inutiles d'un monde ancien. Déplacées ou détruites beaucoup sont victimes des nécessités de l'aménagement du territoire ; c'est à peine si on regarde encore ces images de pierre ou de métal aux abords des villages. Il arrive même de nos jours que des procès soient intentés contre certaines mairies pour demander leur suppression sur des grilles d'entrée de cimetières…

Vous avez dit croix ou calvaire ?
* Le mot croix vient du latin crux. C’est un instrument de torture, composé de deux  pièces de bois, sur lequel on suppliciait les condamnés à mort.
Pour les chrétiens la croix rappelle la crucifixion du Christ. Les
croix latines comportent une traverse plus proche du sommet que du pied; ce sont les croix de l'Evangile. Elles sont à l'origine du plan de nos églises.
Schématiquement : le " stipes"( poteau, fût, hampe ) est coiffé du " patibulum " ( ou croisillon ) et inséré dans un socle.

* Les croix de mission et les croix de chemin


Les  croix appelées croix de mission sont les plus connues. Lors d'une mission paroissiale - temps forts de la vie chrétienne - l’Eglise confiait à certains religieux le soin de raviver la foi par la prédication dans les lieux où elle était en déclin afin d'insuffler un nouvel élan spirituel et de restaurer la pratique religieuse.
Il arrivait qu’à la fin de cette mission, on élevât une croix souvent en bois.



Témoins d'un passé caractérisé par une grande ferveur religieuse les croix de chemin nombreuses se situent souvent à la croisée des routes. La plupart des croix se trouvent aux carrefours, endroits qui de tout temps, ont été entourés de mystères; dans les croyances anciennes, on pensait que diables et sorciers se retrouvaient là pour célébrer leurs sabbats. Il fallait se concilier avec ces mauvais génies afin de conjurer leurs effets maléfiques. C'est pourquoi on élevait aux carrefours des statues, des autels, voire des croix...L'érection d'une croix pouvait aussi servir à matérialiser un chemin ou les limites de la paroisse, indiquant hameaux et lieux-dits alentours. La coutume d'en ériger remonte aux débuts de l'évangélisation et a perduré jusque dans les années cinquante.

Elles peuvent être d'initiative collective (souvenir d'un événement marquant, ou acte à l'initiative de la paroisse : halte privilégiée de procession pour certaines fêtes patronales locales ,…) ou acte de piété privée ( commémoration d'un disparu, …). Les rogations sont des prières en processions  accomplies par la communauté chrétienne, tous les ans, les trois jours précédant l’Ascension ( Du latin “rogatio” action de demander). Le territoire de la commune était ainsi traversé en s'arrêtant à chaque croix pour bénir vignes et cultures. Les fidèles demandaient ainsi par des prières un temps favorable à l’agriculture et imploraient la protection divine contre les calamités naturelles : risques d'orages, de grêles ou de sécheresse et épidémies.    
     


* Les calvaires

Le mot “calvaire” vient du latin “calvarium", traduction de l’araméen “Golgotha”, voulant dire : lieu du crâne; appellation de la colline sur laquelle Jésus fut crucifié. Ainsi, le calvaire est un monument qui commémore la crucifixion sur le Golgotha.
Tout monument qui représente au moins trois personnages présents au Golgotha : le mauvais larron et le bon larron qui ont été crucifiés avec Jésus Christ sera donc un calvaire.


Plus généralement un monument avec une statue du Christ, sur une petite butte, souvent remplacée par un socle comportant des marches à l'avant, pouvant porter une ou plusieurs croix avec des personnages qui rappellent la Passion (Jean et la Vierge au lieu des larrons et divers personnages …) contribue à justifier le terme de calvaire.
Il arrive même fréquemment que la dénomination de calvaire soit moins stricte : les personnages autres que le Christ font défaut n'ayant jamais été présents.

L'appellation calvaire est ainsi employée plus largement pour désigner la représentation du Christ sur une croix érigée sur un petit tertre ou plateforme rappelant la scène du Golgotha.


* Les croix de cimetière

Le rapport entre les morts et les vivants se modifie durant tout le haut Moyen Âge. A partir du IXe siècle, rompant avec l’exclusion antique des défunts hors les murs de la cité, le Moyen Âge va faire cohabiter les vivants et les morts sous l’autorité de l’Eglise.
L’espace cémétérial devient progressivement indissociable de l’église. Les morts étaient inhumés à la fois dans l’église, contre ses murs et alentour. Pendant des siècles église et cimetière demeurèrent des lieux contigus, complémentaires et indissociables. Il est difficile à l’homme contemporain, selon notre sensibilité d’aujourd’hui, de saisir les odeurs, les émanations, en un mot l’insalubrité occasionnées par ce remue-ménage.


Dès le deuxième tiers du XVIIIe siècle l’état de chose séculaire de phénomènes observés dans les tombeaux ( bruits, émanations pestilentielles ) est à nouveau dénoncé, non plus comme des manifestations du diable mais des phénomènes naturels et néanmoins fâcheux auxquels il faut remédier. L’idée finira par s’imposer que si l’on faisait « une fosse à chaque mort et ce dernier ne sentira plus rien ». Cet argument initial de salubrité et d’hygiène publiques revêtira par la suite une dimension de dignité et de piété. Une « Déclaration du roi concernant les inhumations » sur la prise en compte hygiéniste des cimetières est édictée en 1776. Mais c'était le décret du 12 juin 1804 (ou 23 prairial an XII), prit par Napoléon I er qui devait assurer, à quelques modifications près jusqu’à nos jours, la réglementation des cimetières et des funérailles. Il confirmait notamment l’interdiction d’enterrer dans les églises et dans les villes.
Les cimetières, naguère autour des églises, sont aujourd'hui à la périphérie des agglomérations ; chacun a sa croix dressée au croisement des médiatrices du quadrilatère formé par les murs; ( évidemment avant les agrandissements survenant au cours du temps). Ces croix sont en général récentes et ne remontent guère au-delà du XIXe siècle.


* Les croix hosannières et les lanternes des morts
Les lanternes des morts sont des édifices funéraires en forme de petite tour surmontée d’un pavillon ajouré dans lequel, le soir, on hissait une lampe allumée. Le cylindre, surmonté d'une croix, est creux afin de pouvoir hisser la lampe jusqu'au sommet ; ce dernier dispose de plusieurs ouvertures afin de permettre le rayonnement de la lumière. Du point de vue symbolique on peut la comparer à un relais entre la lumière terrestre éclairant la vie et la gloire céleste et lumineuse succédant à la mort.
De forme un peu similaire, la
croix hosannière repose sur un soubassement. Le fût de la colonne est plein et surmonté d’une croix, mais n'est pas doté d'un système d'éclairage. Elle est parfois munie d’une tablette pour permettre la célébration d'offices.

Le nom d'hosannière semble provenir de l'hosanne, buis sacré qui, dans certaines régions (Poitou/Charentes) était déposé sur la croix.

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    * L'art des croix présente une grande diversité 
Les croix peuvent être
- pattées (extrémités plus larges qu'au centre), 
-
voire « aiguisées » : les extrémités des poutres sont pointues pour rappeler les clous de la crucifixion,
- ou encore
pommelées définies par des boules de forme ronde,

- potencées avec un Tau ( T ) au bout de chaque branche,
- tréflées avec une feuille de trèfle aux extrémités de chacun des trois bras,
- enhendées lorsque chaque branche comporte trois pointes non rentrées,
- fleurdelysées lorsque la traverse est parée de motifs ressemblant aux lys,

- festonnées lorsque la traverse présente un type de dentelure où la découpe des dents saillantes sont arrondies.

Les matériaux utilisés pour leur fabrication sont multiples : bois, pierre, ciment , fer forgé, fonte. Ces monuments sont conçus avec habileté le plus souvent par des artisans locaux ; le Christ n'est pas toujours représenté. En plus de leur matériau c'est par leur style et leur ornementation qu'elles se différencient.

- En
bois les croix peuvent être plantées directement dans le sol ou sur un socle.
-L'homme taille la pierre selon son inspiration et ses capacités alors que les croix en béton armé seront des poutres toutes simples.


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- Les croix en fer forgé étaient réalisées par le forgeron du village et le maréchal-ferrant selon leur inspiration et leur talent. Leur style et leur décor varient. Leur ornementation pouvait varier selon l'inspiration de l’artisan et les styles locaux ou régionaux en usage Les croix de fer forgé peuvent être très simples ou constituer de véritables œuvres d'art populaire.
Le fer sera de plus en plus remplacé par la fonte ; celles-ci sont souvent ornées de volutes et de rinceaux.


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Bref rappel de la petite histoire des croix

Ce qui est certain est que l'histoire des croix n'est pas linéaire. ce n'est qu'à la fin du MA qu'ils foisonnent en tous lieux du territoire au élans mystiques de l'an mil ou du XIX e répondent les saccages des guerres de religion et de la révolution

Aux premiers siècles de l'ère chrétienne la croix pose question. Cet instrument de supplice réservé aux voleurs et aux criminels peut-il être choisi comme emblème ? Le crucifiement provient probablement de Perse et d’Inde.  Cette mise à mort effrayante nécessite un pieu vertical planté dans le sol appelé « stipes » et une poutre horizontale, appelée « patibulum ». Le condamné devait, avant d’être fixé sur la croix,  porter le patibulum jusqu’au lieu du supplice. La mort était lente et par asphyxie car la position des bras écartés empêche de respirer correctement. Exposés sur un gibet avec le motif du châtiment ils étaient l’objet d’insultes et de sévices de la part de la foule.
La représentation du crucifiement serait, pense-t-on, faire offense au Seigneur ; il est préférable de l'évoquer par des symboles tels l'agneau, la colombe ou le poisson…
C’est à partir du IVème siècle que la croix qui représente la crucifixion de Jésus, devient le symbole  principal du christianisme, après que l’empereur Constantin,  ait interdit  le supplice du crucifiement en 312 dans son édit de Milan.  Après la découverte de la Vraie croix sur le mont Golgotha par Sainte Hélène, mère de Constantin, la croix devint alors objet d'adoration et des croix seront dans les siècles suivants édifiées près des lieux de culte.
Les premières croix sont sans représentation du Christ crucifié, image trop infamante et symbole d'humiliation pour les premiers chrétiens. Elles comportent l’inscription « INRI » qui signifie  « Jésus de Nazareth, Roi des Juifs » comme l’a affirmé Pilate. Le concile de Clermont en 1095 promulgue le caractère protecteur de la croix.
A partir du XIème siècle, des croix seront érigées à l’entrée des villages, aux croisées des chemins et sur les places, dans les cimetières comme pour rappeler à l’homme du Moyen Age la présence de Dieu et la persistance de sa protection. La croix prend alors une importance grandissante, dans la vie des communautés chrétiennes.
La Réforme et la Révolution verront la destruction de beaucoup de croix. Le calme revient avec la signature du Concordat et la Restauration surtout voit les missions retrouver leur dynamisme et l'érection de nombreuses croix.
La déchristianisation s'est traduite par la disparition des manifestations pieuses telles les rogations et les processions auprès des croix.
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Au départ de ce site, partez à la découverte de centaines de croix et de calvaires qui se dressent encore dans de nombreuses communes de la Vienne. Indépendamment de croix citées dans les documents d'archives qui ont disparu le recensement des croix encore visibles est encore loin d'être exhaustif…

Afin d'en faciliter l'éventuelle redécouverte sur le terrain le département a été divisé en grandes aires : communautés de communes auxquelles a été ajouté un regroupement des communes d'agglomération urbaine de Poitiers et la communauté d'agglomération du Grand Châtellerault.



Crédit : Roland45 https://commons.wikimedia.org/wiki/File:86-Vienne-intercos-2019.png
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