Découvrir par l'image
le patrimoine roman
Des sites d'initiation du regard
1. Déclinaisons régionales
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Le temps des villes introduit des écarts marqués par rapport au temps de l'Eglise et de la terre qui est d'abord celui de la liturgie et qui impose ses repères à tous. Faut-il rappeler qu'on parle plus volontiers du jour de la saint Jean que le 24 juin. Le temps agricole concerne l'immense majorité de la population de l'époque médiévale : le temps cyclique des rythmes de vie liés à la nature, aux saisons. Un signe manifeste en est la multiplication des figures iconographiques des travaux des mois. Le développement des horloges mécaniques marque l'apparition d'un temps unifié mesurable et bref lié aux modalités de la vie urbaine et à l'émergence du salariat. Il faut ajouter que l'homme roman, sa vie en société, ses croyances et ses actes ne peuvent être pleinement saisis sans la considération de l'au-delà. Ainsi que le rappelle un spécialiste " l'au-delà ordonne la vision médiévale du monde ; il est un modèle parfait, en fonction duquel on juge l'ici-bas, et dont l'enjeu est la manière de régir la société des hommes " ( Jérôme Baschet, La civilisation féodale, 2009, p. 530 ). Faire son salut fait partie intégrante de la perspective existentielle de l'homme médiéval. L'opposition du bien et du mal est fondamentale dans le christianisme de l'âge roman. Les péchés doivent être dénoncés et les vertus pratiquées. L'attente du Jugement Dernier reste un bruit de fond sans cesse rappelé à l'homme médiéval par les représentations sculptées aux portails des édifices.

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Les sites, ici référencés, constituent des invitations à la découverte tant de monuments romans inscrits au patrimoine mondial de l'Unesco que d'abbayes, chapelles, églises au charme discret édifiés hors des sentiers battus. Ils témoignent de la diversité des sujets représentés et de la créativité figurative des artistes médiévaux de différentes régions. Le temps des pierres romanes montre comment le patrimoine religieux du temps dispense une leçon au peuple chrétien sous forme d'un grand livre d'images de pierre évoquant les scènes bibliques et la vie des saints, le paradis et l'enfer, la lancinante question du bien et du mal tout autant que les passions humaines. En effet, les exigences de la vie quotidienne, les travaux des mois associés aux signes du zodiaque, le cadre de vie, les animaux, la danse et l'amour sont aussi bien abordés.

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Au-delà des strictes considérations techniques, c'est dans la conception même de l'art que s'opposent les hommes du XXIe siècle et ceux du Moyen Age. On sait que l'art est un type d'activité humaine faisant appel à certaines facultés sensorielles, esthétiques et intellectuelles. L'architecture, la sculpture, la peinture et la musique sont ainsi autant de modes d'expression de la beauté. A la limite, l'art pour l'art porte en lui sa propre justification. En ce cas l'art devient une sorte de langage en soi.D’une façon générale, on peut penser que l'art dévoile le tréfonds de l'homme avec ses interrogations et ses réponses dans sa recherche du bonheur, de sa quête de lui-même et du divin. Ce que la mémoire des pierres relate de l'homme, recevable ou critiquable dans un autre contexte spatio-temporel, reste une manière de dire l'homme à l'homme. Elle exprime comment une partie de l'humanité s'est un temps définie avec ses problèmes, sa façon de voir et ses tentatives de se perfectionner elle-même ainsi que le monde dans lequel elle se situait. Dans cette perspective, la mémoire des pierres permet ainsi de saisir le passé sans souci de prosélytisme. De nos jours, seule demeure la beauté de la pierre métamorphosée par la main de l'homme. Architecture, sculpture, peinture - qui ont plus ou moins bien résisté à l'épreuve du temps - s'offrent alors en elles-mêmes et pour elles-mêmes au regard des hommes sensibles à une certaine forme de beauté. Ceux d'aujourd'hui, admirateurs des vieilles pierres, pensent les sortir de la chape de silence qui pèse sur elles en les réhabilitant pour le plus grand plaisir du visiteur qui sait être attentif à ce qui l'entoure.

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En 2005, une exposition au Musée du Louvre ( 9 mars-6 juin ) a ainsi entrepris de célébrer " la France romane ". Danielle Gaborit-Chopin et Jean-René Gaborit, commissaires de l'exposition, mettent en avant l'éclectisme des artistes de l'époque qui proposent des solutions différentes pouvant " aboutir à un chef-d'oeuvre comme à une impasse ". Il est vrai que les styles des sculpteurs et leurs talents diffèrent entre eux de même que la nature de la pierre n’est pas la même selon les provinces. Toutefois des images frustes peuvent présenter, en termes de signification, un intérêt aussi grand que d’autres dues à un imagier plus talentueux. Livres de pierre, histoire humaine, voix de lumière ? Portant la marque du temps, ces belles pierres romanes ne nous conduisent-elles pas au-delà du temps ?

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