Civray 057d
Eglise Saint-Nicolas, Civray, Vienne.

Cool Text Le combat des Vertus et des Vices _                          da 130533215285071
Une mise en scène de la foi médiévale
____________________

De belles jeunes femmes pourvues d’armes terrassent de petits monstres sur certaines façades romanes du Poitou et de la Saintonge.
Ces figures ne peuvent être que des représentations allégoriques de la condition humaine. Elles veulent évoquer la réalité la plus intime du croyant engagé en permanence dans une lutte intérieure entre le bien et le mal.
En d’autres termes, c’est le combat des Vertus et des Vices qu’évoquent ces parlantes images offertes aux fidèles afin qu’il n’oublient pas que la vie humaine est une lutte de tous les instants.

Vous avez dit vertu ?
Pour les Anciens la vertu est d’abord l’excellente d’une disposition ou d’une capacité à agir dans quelque domaine que ce soit. Le mot vertu a d'abord signifié force d'âme, courage physique et moral. Le terme a le plus souvent une résonance morale.

Célébrer la vertu c’est affirmer la souveraineté de l’âme dans le composé humain. L’Église ajoutera les vertus surnaturelles aux vertus naturelles et fera de la victoire des vertus sur les vices la condition de l’accès à la sainteté.

Si la vertu a si peu d’importance aujourd’hui, c’est à cause de la critique dont elle a été historiquement l'objet et à cause du matérialisme ambiant. Ainsi, le terme vertu apparaît-il démodé.
A l’époque médiévale où nous nous situons c’est bien d’ordre moral dont il s’agit.
Emile Mâle rappelle ainsi que, pour le Moyen Âge, « la vertu…est la fin suprême du monde » (1948, p. 201 ).

Sur la base de cette assertion on évoquera d’abord l’échelle mystique proposée au fidèle chrétien avant de découvrir comment les auteurs d’enluminures et les sculpteurs essayèrent de donner une forme concrète à ce combat des vertus et des vices.


L’échelle mystique ou la foi médiévale représentée comme la lutte du bien et du mal.

hortusoberlin
Hortus deliciarum, Herrade de Landsberg, XIIe siècle ©oberlin

* Honorius d’Autun, reprenant saint Jean Climaque, se représente la Vertu comme une échelle dont la base s’appuie sur la terre et dont le sommet rejoint le ciel. Il énonce ainsi une quinzaine de vertus correspondant aux divers échelons de l’échelle.
* Le miniaturiste qui illustra
l’Hortus deliciarum essaya de donner une représentation plastique de la foi médiévale. L’échelle signifie l’ascension des vertus et le religieux exercice de la sainteté, qui permettent d’obtenir la couronne de la vie éternelle. Cette échelle, beaucoup s’appliquent à la gravir, mais blessés par les flèches que lancent les diables, ils abandonnent, séduits et tirés vers le bas par les vices qui sont restés sur la terre. Il s’agit par cette évocation d’amener les fidèles à une vie exemplaire.
Sur les divers échelons on rencontre notamment les personnes attirées par les parures, les belles demeures, les chevaux et les boucliers. Une femme se tourne vers un jeune clerc qui lui fait miroiter de l’argent.
Un religieux non insensible aux corbeilles d’or, un ermite, négligeant la prière, chute sur terre des hauteurs où il était parvenu. La présence d’un lit symbolise sans aucun doute la paresse.
En revanche, une femme qui a essayé de mener une vie exemplaire, s’élève, protégée par les anges, vers la couronne qui l’attend au sommet de l’échelle.

Le salut est difficile à gagner car l’existence humaine est pavée de tentations qui mènent l’homme à sa perdition. Le diable cherche à faire chuter l'homme. Le combat des Vertus et des Vices, très fréquent dans les églises de Saintonge, illustre la lutte que doit mener l'homme pour ne pas pécher.
Sur la base de cette foi médiévale ce sont d'autres mises en scène des Vertus et des Vices de l’âge roman qui retiendront ici notre attention.
Des combats des Vertus et des Vices dans la littérature.
✏︎ Des auteurs chrétiens de l'occident latin, tel Tertullien, ont développé l’idée selon laquelle le christianisme avait moins apporté la paix que la guerre au sein de l’âme. Les deux hommes qui sont en nous combattent, l’âme devient un véritable champ de bataille.

Ainsi Tertullien, dans un passage de son ouvrage Sur les spectacles : « Voulez-vous des combats et des luttes? le christianisme vous en offre en grand nombre. Regardez! Ici l'impureté est renversée par la chasteté; là, la perfidie est immolée par la foi ; ailleurs, la cruauté est comme meurtrie par la miséricorde; plus loin l'insolence est voilée par la modestie. Tels sont nos combats et nos couronnes ».

✏︎ De ce constat naît le thème de la psychomachie, bataille intérieure des vices et des vertus. Dans un poème intitulé Psychomachia, le poète Aurèle Prudence relate le combat que se livrent les vertus et les vices.
Cette « bataille dans l'âme » qu’est la psychomachie est un poème épique qui raconte l'histoire, d'une bataille acharnée entre l’armée des vertus et celle des vices. De brefs extraits permettront d’en apprécier la saveur de la mise en scène du bien en nous contre le mal.
« La Foi la première, avec une généreuse imprudence, s’élance dans la plaine. Elle dédaigne de se couvrir d’une cuirasse et d’un bouclier, et s’avance, la poitrine nue, au-devant de son ennemie, la vieille Idolâtrie. La lutte est courte : toute blessée qu’elle est, la Foi renverse et lui met fièrement le pied sur la tête. »
De la même façon, on verrait dans le texte de Prudence comment la
Luxure menace la Chasteté d'une torche fumeuse, mais celle-ci lui tranche la gorge d'un coup d'épée. La Luxure est engloutie dans un bourbier et souille la pureté de l’air en exhalant son âme.
Pendant ce temps, la Patience triomphe sans coup férir de la Colère: elle reste impassible sous les assauts de la Colère qui, de rage impuissante, finit par retourner son arme contre elle-même.  »
L’affrontement de cette vertu et de ce vice a inspiré maints illustrateurs.1000-asti-cotcleof11
Sereine la Patience triomphe de la Colère armée d’un glaive.
London, Bristish Library MS Cotton Cleopatra C. VIII, Canterbury, Christ Church
f11 Ohlgren, Thomas H., ed. Anglo-Saxon Textual Illustration. (Kalamazoo, Mich. : Medieval Institute Publications, Western Michigan University 1992.)

Dans cet autre manuscrit la Patience impassible attend de pied ferme les assauts de la Colère qui, de rage impuissante, finit par retourner son javelot contre elle-même.

vertu_7418525676700623daa_image_0_7c
© http://agora.qc.ca/dossiers/Vertu

vertu_676700623daa_definition_0_10dc
© http://agora.qc.ca/dossiers/Vertu
Enluminures, Bibliothèque municipale de Lyon, Auteur: Prudence, Livre: Psychomachia, Cote:Ms P.A. 22, f. 7v

Comme il n’est pas possible de rapporter ici tous ces combats singuliers tels que les dépeints Prudence on rappellera seulement ici les couples ennemis de ces combats :
Combats des vertus contre les vices : couples adversaires.
La psychomachie met en scène le combat entre les figures allégoriques féminines des vertus et des vices qui sont leur contraire:
- La Foi contre l'Idolâtrie
- La Chasteté contre la Luxure
- La Patience contre la Colère
- L'Humilité et l’Espérance contre l’Orgueil et la Tromperie
- La Sobriété, la Tempérance contre la Luxure, la Débauche
- La Charité contre l’Avarice
- La Concorde contre la Discorde.



Pendant des siècles, les miniaturistes essayèrent de représenter les diverses phases de l’affrontement entre l’armée des Vertus et celle des Vices d’une manière qui nous surprendrait aujourd’hui, à l’instar de ces illustrations de l’Intempérance.

bnf
Reims (?), fin du IXe siècle. BnF, Manuscrits, Latin 8085 fol. 61v

Ces diverses saynètes montrent Intempérance festoyant, Intempérance ivre partant à la guerre, Intempérance dans son char, Intempérance séduisant les vertus, Intempérance maîtresse des cœurs.

* C’est dans l’Hortus deliciarum, manuscrit fameux de l’abbesse Herrade de Landsberg, que les vertus présentent les pièces d’armement du XIIe siècle.

hortus c
Le combat de la Luxure et de la Tempérance.. © scmha

hortus a
L’Orgueil et sa suite.© scmha
L’Orgueil, caracolant sur un fougueux destrier, les cheveux relevés en forme de tour, caracole fièrement devant le front de l’armée ennemie des vertus impassibles .

Le combat se termine toujours par l’extermination des vices mais, à n’en pas douter, la montée vers la sainteté sera un dur combat.

Des combats des Vertus et des Vices dans la sculpture.
La force de l’écriture de Prudence est telle que sept siècles plus tard, les imagiers de l’âge roman prendront à leur tour ce thème de la lutte des Vertus et des Vices, mais en l’adaptant.

Sculpter dans la pierre le texte de Prudence riche en péripéties d’aussi près que le faisaient les miniaturistes était malaisé. Aussi, représentèrent-ils les combats singuliers entre les Vertus et les Vices associés de manière uniforme.

ozillacPICT0056nnn
Eglise de Fontaines d’OZillac, Charente-Maritime.

En bref, ils figurèrent le dénouement du drame en sculptant toutes les Vertus, sous forme de vierges accoutrées comme des guerriers, armées de pied en cap, triomphant des Vices représentés sous forme de petits monstres à leurs pieds.
La victoire des Vertus sur les Vices n’est figurée que pour signaler la ligne de partage entre ce qui est bien et ce qui ne l’est pas, en bref, la voie à suivre, qui sera le plus souvent difficilement suivie.


PICT0092aulnay

Eglise Saint-Pierre de la Tour, Aulnay-de-Saintonge.
Voussure sculptée du Combat des Vertus et des Vices,
détail montrant la victoire d'Humilitas (Humilité) terrassant Superbia (Orgueil)
 et de Largitas (Charité) terrassant Avaricia (Avarice).


** Les scènes de combat des Vertus et des Vices sont représentées plus particulièrement sur les voussures des portails et sur diverses arcatures de plusieurs églises de Saintonge et du Poitou.

** Même à l’époque médiévale les hommes et les modes franchissent les frontières des provinces. Des échos du thème poitevin/saintongeais du combat des Vertus et des Vices seront perçus non seulement aux zones de contact de ces provinces mais aussi dans certains foyers éloignés.

_____________________