☞ Le charroi, l'entreposage
et la commercialisation du sel
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La récolte annuelle terminée, le sel n'est pas écoulé immédiatement, tant s'en faut. La spéculation parfois, la mévente souvent, impliquent le stockage du produit pendant plusieurs années.
♦️Le coloï ou rentrée de la récolte de sel.
La saison terminée le temps du coloï est le moment où l’on doit rentrer le sel pour le mettre à l’abri .
Il s'agit du transport annuel du sel vers les entrepôts des négociants, les bateaux exportant historiquement la précieuse denrée, les grosses réserves amassées au fil des ans de façon individuelle ou coopérative.
Lorsque le mesureur criait "Au coloï au coloï " les coloyeurs se précipitaient vers le marais indiqué.
Le terme " coloï " provient du fait du portage au col des sacs de sel. Le coloyeur était celui qui œuvrait au transport du sel du marais aux salorges des négociants ou aux bateaux.
Nicolas Garnier, Lettre aux Amis, n°185, Mars 2017.
♦️Autrefois le sel était transporté du mulon à la salorge.
- La saison finie, le sel était entreposé dans quelques grands tesseliers à ciel ouvert ou transporté vers des espaces abrités dans des bâtiments en dur, les salorges.
- Le sel mis en sac était chargé sur des charrettes tirées par des ânes ou des chevaux et transporté à la salorge ( grenier à sel ) où il est protégé. Il y demeure à l’abri des intempéries jusqu’à la commercialisation.
Un des magasins à sel en bois édifié sur la rive sud du port de Noirmoutier, dans le quartier du Boucaut. Les parois obliques de la salorge font office de contrefort afin de s'opposer au poids des tonnes de sel accumulées.
☞ La commercialisation d'antan vers les marchés étrangers.
* L’histoire des salines de Beauvoir-sur-Mer et de la baie de Bourgneuf en général est un élément fondamentale de l’histoire locale du fait que la baie, aux XVème et XVIème siècles avait acquis une renommée internationale grâce à l’exportation de sel.
En effet, cette période représente l’âge d’or du sel dans la baie de Bourgneuf. Des bateaux de pays nordiques comme la Hollande, ou encore de pays comme l’Angleterre ou l’Allemagne. Principale zone d'exportation de sel à destination des pays du Nord et d'approvisionnement, par la Loire et ses affluents, des provinces du royaume de France, la Baie constituait, à la fin du Moyen Âge, l'un des ensembles portuaires les plus fréquentés de toute la côte atlantique.
Elle se présentait comme une nébuleuse hiérarchisée de zones de mouillage, de ports d'accostage et de ports d'étier "rappelle Jean-Luc Sarrazin dans son ouvrage sur les ports de la Baie au Moyen Âge. Le mot « Baie » était devenue synonyme de sel nous rappelle l'auteur.( Le Sel de la Baie, PU Rennes, 2006 ).
L'île de Noirmoutier avec ses ports d'étier faisait partie de ce système.
Tout au long du XIXe siècle le port de Noirmoutier, quoique déserté par les gros navires étrangers ( envasement du chenal ), connaissait encore une intense activité rappelle Yves Soulet ( Lettre aux Amis, n°142, été 2006 ). C'est par la mer que les productions de l'île ( sel surtout, mais aussi blé et soude ) étaient exportées et que sont importés les matériaux de construction et certains produits de consommation.
✏︎ L'expédition par mer de " l'or blanc " était jadis un mode opératoire ordinaire pour les marais alimentés par des chenaux navigables.
La ronde des chevaux était incessante entre les salines et l'endroit où les bateaux avaient été échoués à marée basse.
Du point de vue de l'histoire du sel insulaire un tableau de Théodore de Kolly constitue " un document unique et exceptionnel par sa qualité " souligne Nicolas Garnier dans une récente livraison de la Lettre aux Amis ( n° 185, Mars 2017 ).
Il s'agit d'une représentation d'un chargement de la précieuse denrée dans l'étier de l'Arceau.
Au-delà du chargement proprement dit le tableau permet de découvrir différentes scènes : la récolte du sel jusqu'à la mise en sac et le coloyage en passant par le portage au panier et le moncelage ( le mulon était appelé jadis monceau ) ; la cité avec le château et l'église figurent même à l'arrière-plan.
Théodore de Kolly. Peinture sur papier, avant 1828. Mis en dépôt au Musée des Arts et Traditions de la Guérinière par l'AAIN. Nicolas Garnier.
Théodore de Kolly, détail du tableau : le recadrage du cliché permet de visualiser le portage des sacs " à la planche" à bord du bateau, le mesurage et le chargement à bord sous la surveillance du visiteur des douanes. Jusqu ' à la suppression de I'impôts sur le sel les contrôles douaniers intervenaient au moment de l'embarquement.
" Ce qui sert à la manutention sur le dos des mules et au portage à l’épaule pour déplacer le sel du marais jusqu’à la cale du vaisseau, entendons le sac, est ensuite vidé sans ménagement dans la cale des navires et pelleté à la va-vite, tassé, pour faire le maximum de place. Il n’y a pas d’exemple connu où le sel de la Baie aurait voyagé en sac ou en tonneau. Enfin il ne faut pas oublier que les mesures servent seulement au mesurage : on n’embarque pas le sel dans son muid, on charge un muid de sel. Bien entendu les mesures étaient locales et répondaient à des usages" ( Jean-Claude Hocquet, 2006, PU Rennes, p. 405-408 )
Ce port d’échouage, par lequel s’exportait autrefois le sel de Noirmoutier, s’abrite dans l’Etier du Moulin, étroit canal qui pénètre la côte Nord Est de l’île pour alimenter certains marais salants.
Chargement du sel vers 1910 sur les quais du port de Noirmoutier. Les charrettes sont encore pleines de sacs ( Collection Marie-Thérèse Devineau ).AAIN, n° 125, 2002
Pesée du sel avant le chargement. Un recadrage de la photo précédente permet de mettre en évidence la balance à trépied du mesureur.
✏︎Le passé recomposé : Le 15 août 2004, " quai Cassard ", une reconstitution fut effectuée de scènes d'antan d'un chargement partiellement à l'ancienne de sacs de sel.
La gabare les " Deux frères " naviguant autrefois en Dordogne, se prête au jeu d'une illustration des rapports commerciaux qu'entretenait Noirmoutier avec l'Europe du Nord au XIXe siècle.
Les bateaux livraient fers, bois de construction, salaisons, goudrons, produits nordiques ou méridionaux. Les frets de retour étaient assurés essentiellement par le sel.
A noter la balance à trépied qui était utilisée par le mesureur ( homme de confiance de l'acheteur ) pour peser les sacs de sel.
Au milieu des spectateurs anonymes, pour lesquels cette reconstitution avait été organisée, les images du passé défilaient dans la mémoire des plus anciens noirmoutrins présents…
Merci à l'Association La Chaloupe et à la Coopérative de sel, aux organisateurs et aux participants bénévoles pour certains en costumes d'époque.
Pour que cette évocation, à l'initiative de La Chaloupe, soit complète il suffit d'imaginer les propos des sauniers, les petites histoires des coloyeurs et les exclamations des mesureurs… !
Que reste-il aujourd'hui de toute cette activité, de ce commerce international ? … ce quai du " bout du monde " avec ses bittes d'amarrage en est peut-être encore un témoin ?
♦️Aujourd'hui la Coopérative des Producteurs de Sel met à la disposition de ses adhérents un site pour entreposer le gros sel ainsi que des espaces de conditionnement et de valorisation.
Site de la Coopérative des Producteurs de Sel ( Août 2017 ).
Vivre 12 sur 12 ( 2005).
Avant que les tracteurs ne les remplacent, chevaux et charrettes sillonnaient les charrauds ( mauvais chemins de terre ) pour assurer le transport du sel en fin d'été.
Modernité oblige, la récolte du sel sur les marais et son acheminement à la Coopérative sont maintenant effectués par des tracteurs et remorques.
Vivre 12 sur 12, 15 septembre 2015.
Affaîtage mécanisé de la barge de la coopérative de sel. Le temps du " coloi".
" Barge " - énorme " monceau "- de plusieurs milliers de tonnes de la Coopérative de sel.
Avant le Coloï 2017 cette montagne de sel est le résultat accumulé du travail de plus de cent-vingt sauniers-coopérateurs et le produit de 3000 œillets répartis sur le territoire de l’île de Noirmoutier.
Pour marquer la fin de la saison et l’intense période de production, les sauniers ont décidé de renouer avec la traditionnelle fête du Coloï, l’occasion de partager un verre et d’échanger expériences et informations sur le sel. Une fête ouverte à tous.
☞ La commercialisation s’effectue aujourd'hui, également, par la vente directe.
Les sauniers indépendants disposent à leur guise de leur production et peuvent préférer l'écouler directement.
* L'entreposage se fait sur de grands tesseliers à l'endroit même où les récoltes quotidiennes ont été transportées. Ce n'est finalement que la perpétuation du vieux système de stockage en plein air d'antan.
L'acheminement du sel pouvait aussi se faire vers un énorme "monceau d'amas " à ciel ouvert : une barge de sel d'antan. ( Collection Marie-Thérèse Devineau ).AAIN, n° 125, 2002
De nos jours, les gros amas de sel sont soit laissés à l'air libre, soit couverts de bâches de matière plastique .
* Le développement de la vente directe sur les marais proches des voies de circulation, avec une offre diversifiée et de qualité ( fleur et gros sel, salicorne ), semble l'été augmenter la demande chez les visiteurs de l' île.
* Certains vendent sur les marchés ou disposent d'un local de vente en ville.
D'autres enfin n'hésitent pas à s'exposer sur la Toile et ouvrent une boutique de vente en ligne.
Le renouveau de la profession saunière s’accompagne d’une prise de conscience des différents produits du marais salant qui permet à certains exploitants de pouvoir vivre de leur travail. Certains sauniers n'hésitent pas à diversifier leur offre en présentant à côté du gros sel et de la fleur au naturel, une gamme aromatisée diversifiée.