A DISTANCE DE L'ESPACE SPIRITUEL ROMAN
Autres regards imagés et dogmatiques
L’enquête sur le paradis et sur les formes que ses représentations ont pu prendre chez les artistes du Moyen Age débouche naturellement sur la question : après la disparition de la croyance en l’existence de l’empyrée, quelle conception reste-il aujourd’hui du paradis ?
Jadis c’était la société qui donnait sens à la vie des peuples alors que l'homme occidental actuel tend à mener sa vie dans une société sans lien institutionnel obligé avec le monde d'en haut. Pour la plupart des hommes de ce temps l’existence va comme elle va ; les affaires ordinaires de la vie suffisent à les accaparer. Alors les interrogations de nature existentielle ne font pas la une des médias.
Et pourtant a-t-on jamais autant qu’à notre époque rêvé de paradis ? Le mot « paradis » et ses termes associés font partie du vocabulaire courant. Le terme est utilisé par analogie pour désigner les places situées en hauteur dans les théâtres. Les catalogues des agences de tourisme proposent des destinations de rêve - paradisiaques - sous d’autres latitudes en vantant les trois S, « sea, sun and sex ». Ne parle-t-on pas, de la même façon, des paradis fiscaux, lieux de blanchiment des revenus mal acquis et de fiscalisation avantageuse pour les capitaux étrangers. Enfin, pour évoquer les sensations procurées par les drogues on parle couramment de paradis artificiels.
Ces différentes acceptions montrent que le terme de paradis continue à faire recette dans le langage contemporain. Mettant sous ce mot des espérances bien différentes, ces diverses formulations profanes nous emmènent fort loin des sens originels du vocable paradis ; peut-être faut-il voir dans l’utilisation de ces expressions une manière de nier un présent difficile pour beaucoup autant qu’un futur perçu comme incertain, voire menaçant...?
Si l’on revient au plus près de notre sujet une dernière interrogation peut être formulée en guise de prolongement à notre étude : après la désacralisation progressive du ciel depuis quelques quatre siècles quel lien peut être encore établi entre l’art à sujet religieux et le paradis ?
1° Sécularisation des sociétés et laïcisation du ciel
Le mouvement de sécularisation constitue une tendance forte des sociétés occidentales entrées dans un processus de distanciation / différenciation par rapport au domaine religieux. Le concept de sécularisation est une catégorie clé d'appréhension et d'interprétation de nos sociétés. C'est le principe même qui a régi et régit encore l'évolution des sociétés modernes.
La sécularisation des sociétés peut être définie tout à la fois comme le rétrécissement rationnel du champ social de la religion et comme mouvement d'individualisation des options religieuses.
A travers le projet d'une rationalité généralisée à tous les champs de la connaissance se manifeste la proclamation de l'autonomie de l'homme et de sa raison tant dans la détermination de ses entreprises que dans l'élaboration des significations qui confèrent un sens à sa vie et à ses expériences.
L'opposition apparaît ici clairement avec les sociétés du passé vivant sous l'emprise d'institutions et de normes structurantes et contraignantes mais qui donnaient un sens plénier à l'existence des populations. Les sociétés se sont historiquement laïcisées en se séparant graduellement de l'univers religieux et en se libérant des puissances imaginaires et aliénantes.
Dans les sociétés contemporaines de l’Occident, il n'est plus reconnu à aucune conception philosophique ou religieuse le monopole du sens ; c'est là, répétons le, une différence essentielle avec les temps médiévaux.
C’est dans cette perspective qu’il convient de replacer la disparition du poids des images dans l’évocation artistique du paradis chrétien.
Comme on l’a dit d’entrée, la cosmographie antique christianisée et couronnée par l’empyrée, aux si belles évocations poétiques et imagées, paraissait en accord avec les connaissances de l’époque. Les anciennes conceptions astronomiques, avec notre terre au centre du monde que surplombait l’empyrée s’effondra en à peine deux siècles.
La connaissance astronomique, depuis les travaux pionniers de Copernic, Galilée, Kepler, Newton - pour ne citer que ceux-là - s’est approfondie au cours des siècles jusqu’à nos jours ; les profonds changements de la sensibilité dans le monde occidental depuis le XVIIIe siècle manifestent une révolution dans les mentalités qui n’a pu qu’induire une modification radicale de la formulation des fins dernières.
La science et la technologie modernes ont achevé le bouleversement de la vision médiévale du monde. Il suffit de rappeler comment, depuis la seconde moitié du XXe siècle surtout, l’exploration de l’espace céleste et interplanétaire a imprimé sa marque à notre temps. Le premier cosmonaute russe Youri Gagarine, à l’issue du premier vol spatial habité, du 12 avril 1961 déclarait avoir été émerveillé par la beauté du ciel étoilé, mais qu’il n’y avait pas rencontré Dieu...
En bref, la culture scientifique, l’observation astronomique et l’évolution des mentalités modifièrent le regard que les hommes portaient sur le ciel ; ce dernier tendait à perdre son mystère ; en découla une profonde révision conceptuelle : le ciel devient un champ de prospection comme un autre livré aux astro-physiciens : il n’échappe plus aux lois scientifiques. Le paradis n’y était pas ; il ne pouvait plus être situé en haut de la verticale cosmique ; il n’y a plus de place pour l’empyrée puisqu’il n’y a ni haut ni bas dans l’Univers.
L’au-delà n’est plus situé dans le ciel ; en conséquence que devenait le séjour éternel des élus ?
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