Images romanes des élus
L’iconographie du Jugement dernier a plus retenu l’intérêt des commanditaires et des artistes par ses figurations des souffrances post-mortem que par ses représentations paradisiaques. Autant les visions infernales des scènes diaboliques offrant aux fidèles une évocation potentielle terrifiante, et par là-même édifiante de leur avenir, génèrent un profond émoi, autant les perspectives paradisiaques plus sereines des processions d’élus jouissant de la vision béatifique n’ont pas le côté spectaculaire des premières. Sans doute est-il plus édifiant et plus facile de réaliser des images de l'enfer localisé sous la terre susceptibles d'inspirer de bons comportements par la crainte du châtiment que de suggérer l'état de béatitude céleste.
☞La sculpture des tympans Au-dessus du portail de grandes cathédrales ou basiliques un tympan sculpté fournit un bon exemple de la manière dont les hommes du Moyen Âge se représentent le Jugement Dernier.
✏︎Corps glorieux sur la façade de Sainte-Foy, Conques, Aveyron.
Ce tympan peut être considéré comme l'une des œuvres majeures de la sculpture du XIIe siècle par ses dimensions, sa structure, la richesse de sa décoration sculptée laquelle possède encore des traces de polychromie.
A la droite du Christ sont figurées les âmes des élus !
La Parousie, en tant que retour du Christ à la fin des temps, signifiera le passage du temps de la foi au temps de la rencontre face à face avec le Sauveur. Puisqu'il était tentant d'exprimer l'invisible par le visible le maître de Conques a voulu fixer dans la pierre l'instant dramatique où le Christ prononcera les paroles du chapitre 25 versets 31,46 de l'évangile de Matthieu.
"Quand le Fils de l'homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire. Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs : il placera les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche."
Cette affirmation du "jugement dernier", à l'occasion du retour du Christ, de sa "parousie" fascinait les premiers chrétiens qui attendaient la fin du monde très prochainement. L’horizon du chrétien c’est la contemplation de Dieu. Lors du Jugement dernier les élus ( les brebis ) et les réprouvés ( les boucs ) seront séparés. Les premiers jouissant dans leur corps glorieux de la béatitude céleste tandis que les seconds seront tourmentés dans leur corps et dans leur âme. Si cela peut surprendre fortement aujourd'hui, à l’époque médiévale, hommes et femmes vivaient avec ce bruit de fond permanent.
Trônant dans une mandorle le Christ de Conques est à la fois " juge et roi " comme le proclame l'inscription de son nimbe crucifère.
Tout s'ordonne autour de la figure centrale du Christ vers lequel le regard se trouve irrésistiblement attiré. À sa droite, les demeures paradisiaques, à sa gauche, l'image inversée du paradis en tant que lieu de confusion et non pas de sérénité, lieu de supplices et non pas jardin de délices.
Le Christ figure pivotale de l'ordonnancement de cette magnifique composition scénique.
La logique générale de la composition repose sur les petites banderoles que deux anges déroulent de part et d'autre de la tête du Seigneur : « Alors il dira à ceux qui seront à sa droite : venez les bénis de mon Père, possédez le royaume préparé pour vous. Ensuite il dira à ceux qui seront à sa gauche : éloignez-vous de moi, maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable... Et ils s'en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes à la vie éternelle. »
Le Christ trône dans une gloire en amande parsemée d'étoiles, parmi les nuées représentées par cinq rangées de petits festons.
Par ses deux gestes contrastés : de sa main droite levée il bénit et accueille les élus et de son bras gauche baissé pour désigner le chemin de l’enfer aux réprouvés.
Le Christ paraît « entouré de tous ses anges ». À sa gauche, l'ange thuriféraire balance un encensoir finement ouvragé, un autre présente le Livre de Vie, grand ouvert sur lequel on peut lire : SIGNATUR LIBER VITE « Le livre de vie est scellé ».
De plus on observe la présence de deux anges-chevaliers, armés soit d'une lance à gonfanon, soit d'une épée et d'un bouclier portant l'inscription EXIBUNT ANGELI ET SEPARA[BUNT MALOS DE MEDIO IUSTORUM], « les anges sortiront pour séparer les méchants du milieu des justes » et ont reçu pour mission de contenir la foule grouillante des démons et des réprouvés aux frontières de l'enfer.
Aux pieds du Christ, émergeant d'un nuage, deux créatures célestes portent des flambeaux puisqu'il est dit, au jour du Jugement dernier : « La lune s'obscurcira, le soleil ne brillera plus ».
☞ Le registre supérieur correspond au Ciel symbolisé par la présence des anges ; c'est l'au-delà céleste après le jugement.
Au-dessus de la traverse de la croix sont représentés deux astres personnifiés : le soleil et la lune.
Des anges soutiennent la croix ayant à la main les instruments de la Passion : clou et fer de lance.…
Le registre inférieur comporte une sculpture séparant à l'aide d'une cloison deux univers : à gauche, le Paradis, à droite, l'Enfer. Un ange accueille les Justes au Ciel. Une âme qui vient d'être sauvée se détache de la cloison. La porte du Paradis, arrondie et bien ornée, s'ouvre pour les justes tandis que celle de l'Enfer, carrée et sobre, se ferme devant les réprouvés. Dans l’encadrement de la porte de l’enfer un Léviathan apparaît prêt à dévorer tous les damnés qu’un être diabolique armé d'un pilon dirige vers sa gueule béante. Complétant les images fortes de type contre-modèle du tympan le propos moralisateur est sans ambiguïté :
" Ô pêcheurs, si vous ne changez pas vos mœurs, apprenez qu'un jugement redoutable vous attend ".
Un ange guide vers la Jérusalem céleste les élus L'entrée du paradis est symbolisée par la porte de la Jérusalem céleste arrondie et aux belles pentures. Des anges accueillent les élus vêtus.
Deux registres sont à considérer :
♦️Eglise en marche vers le Salut et procession de personnages vers la droite du Christ : niveau médian du tympan.
La Vierge et saint Pierre accompagnent quelques personnages importants non nimbés vers le juge suprême.
Dadon, le fondateur, le premier ermite, les suit. Vient ensuite un moine précédé d'un abbé tenant sa crosse. L'abbé prend la main d'un roi que suit une femme. Le roi a une attitude craintive : Charlemagne et sa sœur Berthe que des liens incestueux unissaient ont beaucoup à se faire pardonner. Ils sont suivis de personnages portant des présents, rappelant la générosité royale envers l'église. Le maître tailleur de Conques a osé faire ainsi figurer des personnages marquants de l'histoire de l'abbaye.
La Vierge avance les mains jointes vers le Seigneur. en compagnie de saint Pierre tenant les clés du paradis.
Peut-être Oldoric l'abbé de Conques ( 1030-1065 ) tenant une grande crosse qui décida de la reconstruction de l'église. Charlemagne tient en main un sceptre fleurdelisé
Au-dessus du cortège des anges présentent des phylactères où sont inscrits les noms de quatre vertus ; Foi, Charité, Constance, Humilité.
Autres personnages nimbés en postures différentes.
♦️ Le peuple des élus dans la Jérusalem céleste
Au centre de la Jérusalem céleste avec ses tours crénelées, ses colonnes et ses arcades, siège Abraham tenant dans ses bras deux enfants. Il est encadré de personnages groupés par paire sous chaque arcade : les vierges sages et leurs lampes, les martyrs et leurs palmes, les prophètes et le rouleau de parchemin, enfin les apôtres et le livre.
L'alignement monotone de ces élus traduit l'ordre et la sérénité qui règnent dans le paradis.
Le paradis est représenté par la Jérusalem céleste sous forme d'arcades sous lesquelles prennent place les élus.
Dans la Jérusalem céleste règnent l'ordre et la sérénité paradisiaques.
Au centre, siège Abraham tenant dans ses bras deux enfants.
Des personnages groupés par paire sous chaque arcade : à gauche d'Abraham, les prophètes un rouleau de parchemin à la main .
À sa gauche, des prophètes portent des rouleaux de parchemins à la main et les apôtres.
A droite d'Abraham, les martyrs et leurs palmes, les vierges sages avec leurs lampes, les saintes femmes tenant lampe et livre ouvert.
✏︎ Corps glorieux sur la façade de la cathédrale Saint Lazare, Autun, Saône-et-Loire.
Tympan du Jugement dernier. Cathédrale Saint-Lazare, Autun, Saône-et-Loire.
Au centre du tympan, la figure lumineuse du Christ en majesté dans sa mandorle. A sa droite le Ciel, la Jérusalem Céleste, la Vierge, le Soleil (le Nouveau Testament); à sa gauche, la pesée des âmes, l'Enfer, les prophètes Enoch et Elie, la Lune (l'Ancien Testament). Voici venu le moment de la Parousie: la seconde venue du Christ dans sa gloire à la fin des temps et le Jugement dernier :"Quand le Fils de l'homme viendra dans sa gloire, escorté de tous les anges, alors il prendra place sur son trône de gloire. Devant lui seront rassemblées toutes les nations, et il séparera les gens les uns des autres, tout comme le berger sépare les brebis des chèvres." (Evangile selon Saint Matthieu, 25, 31- 32)
Sur le linteau du bas, on discerne la procession des défunts : à la droite du Christ, les élus, qui vont au paradis, droits et confiants ; à sa gauche, les damnés, tordus de douleur.
Le Christ revenu à la fin des temps accueille, mains et bras ouverts, l'humanité entière couronnant les mérites et infligeant la peine pour les vices.
Au-dessous, à droite du Christ, un œil avisé peut reconnaître quelques apôtres et Saint Pierre conduisant un élu au paradis.
Des apôtres, les yeux tournés vers le Christ ; saint Pierre tourne le dos au petit groupe pour conduire un juste au Paradis.
Détail du tympan. La Jérusalem céleste représentée par des arcades.
Ces images de fin des temps sont réalisées en référence à des comportements de la vie courante. Ainsi la représentation des corps des justes - nus ou habillés - se fait en recourant aux types du saint, du pèlerin. Parmi les bons on observe un pèlerin de Jérusalem et un jacquet avec la fameuse coquille sur son havresac.
✏︎ Corps glorieux sur la façade de Saint-Trophime d'Arles, Bouches-du-Rhône.
Saint-Trophime, Arles, Bouches-du-Rhône.
Un ange présente à Abraham, Isaac et Jacob l'âme des élus sous la forme d'un petit enfant.
Saint-Trophime, Arles, Bouches-du-Rhône.
A droite du Christ, les élus forment une procession: prélats portant une mitre et un voile sur les mains, prêtres, deux femmes voilées (religieuses?), hommes, femmes de toute condition.
Notons que le discours des clercs autour du thème de la nudité, de la honte et du péché d'ordre sexuel a si fortement imprégné les mentalités que les tailleurs de pierre, malgré les textes théologiques, ne se sont pas résolus à ne pas habiller les justes.
Dans la cohorte des justes on note des prélats portant une mitre et un voile sur les mains, des prêtres, des hommes et des femmes de toute condition. Notons que le discours des clercs autour du thème de la nudité, de la honte et du péché d'ordre sexuel a si fortement imprégné les mentalités que les tailleurs de pierre, malgré les textes théologiques, ne se sont pas résolus à ne pas habiller les justes.
✏︎Le même type de représentations se retrouve de l'autre côté des Pyrénées.
Tympan et linteau du Jugement dernier, église Santa Maria la Real, Sanguesa, Navarre, Espagne.
Tympan et linteau du Jugement dernier, église Santa Maria la Real, Sanguesa, Navarre, Espagne.
Le Christ en majesté assis lève le bras droit en un geste bénissant ou exprimant l'acte de juger; il est entouré de quatre anges sonnant de la trompette. Enfin bienheureux et réprouvés composent les deux registres flanquant la composition centrale.
La Vierge et les Apôtres sont figurés sous de petits arcs en plein cintre.
☞La sculpture des chapiteaux n'est pas en reste, à en juger par la sélection de jugements derniers ci-dessous.
Chapiteau de la Tour Gauzlin, abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret.
A l'angle de la face latérale droite, le livre de vie est présenté au Christ. "Iahvé dit à Moïse: Celui qui a péché contre moi, c'est lui que j'effacerai de mon livre" (Exode XXXII, 32). A côté, le Christ reçoit les élus dans la Jérusalem céleste. "Et j'ai vu la ville sainte, la nouvelle Jérusalem, descendre du ciel, d'auprès de Dieu, prête comme une épouse parée pour son mari. Et j'ai entendu une grande voix dire depuis le trône: Voici la demeure de Dieu avec les hommes" (Apocalypse. XXI, 2-3). En-dessous, les damnés. "Mais les lâches, les rénégats, les dépravés, les assassins, les impurs, les sorciers, les idolâtres, tous les hommes de mensonge, leur part se trouve dans l'ardent étang de feu et de soufre: c'est la seconde mort" (Apoc. XXI, 8). Leur bouche est close car seuls les élus ont la joie d'acclamer Dieu et de chanter ses louanges (Cf. Psaume LXIII, 6 et 12).
A droite, le Christ reçoit les élus dans la Jérusalem céleste. "Et j'ai vu la ville sainte, la nouvelle Jérusalem, descendre du ciel, d'auprès de Dieu, prête comme une épouse parée pour son mari. Et j'ai entendu une grande voix dire depuis le trône: Voici la demeure de Dieu avec les hommes" (Apoc. XXI, 2-3)
En-dessous, les damnés séparés du Christ par une muraille émergent de l'étang de feu. "Mais les lâches, les rénégats, les dépravés, les assassins, les impurs, les sorciers, les idolâtres, tous les hommes de mensonge, leur part se trouve dans l'ardent étang de feu et de soufre: c'est la seconde mort" (Apoc. XXI, 8).
Chapiteau de la Tour Gauzlin, abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret.
Bras levés, des élus se présentent au Christ qui les juge. Les livres des œuvres de chacun d'eux se trouvent sur la mandorle, de part et d'autre de la tête du Christ.
"Et j'ai vu les morts, grands et petits, se tenir devant le trône et on a ouvert des livres. On a aussi ouvert un autre livre, celui de la vie. Et on a jugé les morts selon leurs oeuvres d'après ce qui a été écrit dans les livres" (Apocalypse. XX, 12). "Le tribunal s'assit et les livres furent ouverts" (Daniel, VII 10). La scène se poursuit sur la face centrale, malheureusement très endommagée.
Abbaye aux Dames, Saintes, Charente-Maritime.
Une belle pesée des âmes ).
Eglise de Saint-Révérien, Nièvre.
Scène du Jugement dernier. Le paradis : la Jérusalem céleste surplombe une arcade ( avec l'inscription PARADISIUS ) sous laquelle trois personnages sont debout.
Au sommet de l'arc le Christ avec son nimbe crucifère donne sa bénédiction à l'âme qui parvient jusqu'à lui.
Notre-Dame-du-Port, Clermont-Ferrand, Puy-de-Dôme.
Des anges tiennent ouvertes les portes de portes de la Jérusalem céleste retrouvée grâce à l'Agneau, nouvel Adam.
Eglise de Saint Nectaire, Puy-de-Dôme.
Les élus tenant leur palme acclament Dieu et chantent ses louanges.
Abbaye de Marcilhac-sur-Celé, Lot.
Vestiges de la salle capitulaire. Le chapiteau voisin extérieur peut évoquer des élus agenouillés recevant la couronne de gloire du Roi du ciel.
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