Monastères en Bas-Poitou et Pays Charentais
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Cela peut sembler curieux au premier abord de d'intéresser au réfectoire dans l'art roman. Et pourtant deux évènements marquent son actualité.
1° En mai 2013 un repas dans les conditions de vie des moines du Moyen Âge était organisé à l'abbaye de Saint-Savin, Vienne. Une cinquantaine de personnes ont participé à cette expérience. Si l'ordre et la nature des plats ont surpris les convives cette expérience a priori surprenante les a au final pleinement satisfaits.
2° Si l'on met de côté cet aspect anecdotique Pascale Brudy, du point de vue scientifique, observe que les travaux récents " offrent un nouveau regard sur les lieux réguliers propres à la vie quotidienne des moines et des chanoines aux Xe-XIIe siècles" ( 2011 p. 123 ).
Autrement dit si la recherche a longtemps - et à juste titre- privilégié l'église - il semble que l'on assiste à un mouvement général tendant à sortir de l'ombre ce corps de bâtiment longtemps ignoré qu'est le réfectoire.
En invitant comme toujours à voir les travaux des spécialistes nous essaierons de présenter de façon imagée cette autre face du bâti qu'est le réfectoire en s'appuyant sur les monastères du Bas-Poitou et des Pays Charentais.
Ce corps de bâtiment a beaucoup souffert du passage du temps car à la différence de l'église qui a pu servir au culte paroissial le réfectoire lorsqu'il a été désaffecté a pu paraître inutile ou en tout cas a été réutilisé à des activités agricoles bien éloignées de sa finalité initiale.
☞Le réfectoire dans la configuration architecturale monastique
Si on peut penser que chaque monastère a son plan propre, il est possible cependant de définir un plan type. En effet l'ensemble du monastère est organisé autour d'un espace ouvert vers le ciel : le cloître. , Les différentes fonctions monastiques s'organisent autour de ce dernier. La vie du moine est centrée sur l'"œuvre de Dieu" à laquelle, saint Benoît le père des moines d'Occident dit que " rien ne doit être préféré "; mais l'Opus Dei ne se limite pas à la liturgie ; il y a unité entre vie quotidienne et liturgie. La vie communautaire de prière et de travail tire de la liturgie son unité et ses formes.
Un des plus anciens documents qui nous restent sur les réfectoires des monastères médiévaux est certainement le plan manuscrit de l’abbaye de Saint-Gall.
Ce schéma d’architecture a été adapté et adopté pour la plupart des monastères et couvents bâtis, jusqu’aux derniers cloîtres édifiés. Les qualités fonctionnelles et sa flexibilité ont permis à ce schéma d'architecture d'être adopté par la plupart des maisons religieuses.
L’église est l’édifice dominant et, sauf en cas de contraintes imposées par le relief du site elle est orientée est-ouest. Sur son flanc Sud trois corps de bâtiments cernent le cloître ceint par des galeries couvertes. C’est l’univers des moines profès, leur lieu de vie et de travail. Leur dortoir est situé au-dessus de la salle capitulaire (lieu où se réunit quotidiennement la communauté religieuse pour y débattre des affaires courantes) et l’accès au chœur de l’église doit être aisé. Les espaces de travail sont normalement disposés au Sud de la salle capitulaire.
* La vue aérienne de l'ancienne abbaye de la Grainetière à Saint-Prouant, près des Herbiers, enVendée en donne une bonne illustration.
Abbaye de la Grainetière, Les Herbiers, Vensée
©Les beaux vestiges du passé de l’abbaye de la Grainetière vus du ciel.
Crédit photo : Francis LEROY http://www.imag-in-air.com
© Gilles Bresson, 2005. Abbaye de la Grainetière, Les Herbiers, Vendée
Ces dispositions générales se retrouvent dans toutes les grandes abbayes ainsi qu'on peut l'observer sur ces abbayes du pays charentais.
** Ainsi à l'abbaye des chanoines réguliers de Sablonceaux, Charente-Maritime.
L’église longeait l’une des ailes du cloître, et le réfectoire était généralement situé à l’opposé de l’église.
** Il en est de même au prieuré Saint-Jean l'Evangéliste de Trizay, Charente-Maritime.
Les vestiges de l'église peuvent être observés depuis l'auvent s'appuyant sur l'élévation du réfectoire: l'aile entre les deux abrite notamment la salle capitulaire.
☞Le repas monastique se dévoile
A l'intérieur des monastères et abbayes, les jours, les nuits se succèdent toujours de la même façon : prières, offices, méditation, travail, repas, repos.
Les maisons conventuelles possédaient leur réfectoire ; les religieux réguliers prenaient leurs repas en commun dans une salle spacieuse destinée à la réfection des membres d’une communauté ouvrant sur le cloître.
Les règles monastiques accordent un soin particulier à la réglementation de l'alimentation. La règle de Saint-Benoît ( VIe siècle ), commune à la majorité des communautés religieuses médiévales, constitue un véritable code du bien vivre à table. Il y est mentionné des principes de base tels que le silence, la propreté, l'ordre, la ponctualité.
La vie des moines à table est scandée par le calendrier religieux. Jours ordinaires, jours de jeûnes, jours de fête correspondant tous à des interdictions ou à des restrictions alimentaires qui influencent grandement les menus.
L'heure et le nombre de repas que les frères ( et sœurs ) doivent prendre selon les saisons et les fêtes religieuses sont établis. Le repas principal et ordinaire, est pris, au XI ème siècle, vers midi. Le second repas léger est pris le le soir après les vêpres. Pendant les périodes de jeûne, le seul repas est vers 15h.
Lorsque la cloche tinte les moines cheminent en procession de l'église vers le réfectoire en passant par le cloître. Après s'être lavés les mains au lavabo situé à l'entrée, ils vont prendre place près de leur banc en attendant debout l'arrivée de l'abbé ou du prieur.
Dans cette grande salle qu'est le réfectoire les tables sont disposées en U. Les frères se placent sur les longues tables placées à la perpendiculaire de la table de l'abbé qui préside le repas. Les repas y étaient pris en commun, en silence, tandis qu'un moine lecteur, entré en fonctions pour une semaine, lisait un passage de textes édifiants depuis une chaire.
Le repas monastique
Henri Suso, L'horloge de Sapience, vers 1455-1460
Bruxelles, Bibliothèque royale, Manuscrits IV.111, folio 274
http://www.lydiabonnaventure.com/dossiers/alimentation-au-moyen-%C3%A2ge/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cuisine_m%C3%A9di%C3%A9vale#/media/File:Pietro_Lorenzetti_001.jpg
Dans une œuvre intitulée " Humilité " Pietro Lorenzetti avait représenté plus d'un siècle plus tôt, en 1341, le repas de moniales pris en silence tout en écoutant la lecture des Ecritures.
Dom Longeat, ancien abbé de Ligugé, rappelle qu'" un véritable cérémonial entoure le service du réfectoire. Les Frères se servent mutuellement …Un tel rituel se veut un signe fort de la fraternité dans la charité…"(2011, p. 123 ).
Le silence sera de rigueur dans le réfectoire et les rares échanges nécessaires entre membres des communautés monastiques les contraint à n'utiliser qu'un langage des mains afin d'entendre la lecture faite par un frère chargé de ce service pendant toute une semaine.
Crédit photo: histoire-pour-tous.fr
Compte tenu de la règle du silence la communication entre frères ne s'effectuera que par signes. Pour demander du pain ou de la boisson les membres des communautés religieuses doivent s'en tenir à des gestes précis.
A la fin du repas chaque membre de la communauté monastique se retire toujours en silence.
☞ En bref, le réfectoire, du fait de sa fonction particulière au sein de l'espace général du monastère, occupe le rez-de-chaussée d'un corps de bâtiment situé à l'opposé de l'église et orienté parallèlement au lieu de culte.
Pour quelles raisons l'église et le réfectoire sont-ils généralement disposés de part et d'autre du cloître selon "une symétrie porteuse de sens" ?
Repas eucharistique, repas communautaire, vie fraternelle sont les mêmes éléments d'une même " liturgie " pourra écrire Philippe MARKIEWICZ ( 2016, p. 55 )
Les grandes dimensions du réfectoire s'expliquent par ses fonctions d'accueil non seulement de la communauté mais aussi des hôtes de passage.
Par son objet il est situé à proximité de la cuisine et des celliers.
Les monastères du Bas-Poitou et des Pays Charentais ayant conservé des réfectoires ou présentant encore d'intéressants vestiges de ces derniers vont nous permettre de relever leurs particularités architecturales propres. Selon leur obédience bénédictine, cistercienne, grandmontaine ou augustinienne les réfectoires présenteront certaines caractéristiques architecturales spécifiques.
- L'ordonnancement architectural extérieur du réfectoire
- Les caractéristiques spécifiques du réfectoire
- Le réfectoire et son ornementation
- Les corps de bâtiments conventuels associés au réfectoire
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