LE PARADIS CELESTE
Détail du retable de l'Agneau Mystique, Hubert et Jan Van Eyck, vers 1432. Cathédrale Saint-Bavon à Gand
Dans un espace verdoyant, rappelant le jardin des délices, illuminé par la lumière de l'Esprit Saint se profilent à l'arrièe-plan les bâtiments de la Jérusalem nouvelle.
Le regard se centre sur l'autel de l'Agneau divin. Les justes convergent vers l'Agneau et la fontaine d'eau vive.
Le paradis céleste est la demeure des bienheureux après leur mort. Les élus connaîtront le bonheur éternel découlant de la contemplation béatifique.
Les peintres ont représenté cette vision dans le cadre d’une nature idyllique. La luxuriance du jardin paradisiaque constitue un transfert dans la sphère céleste des splendeurs du jardin d’Eden. Les composants terrestres-arbres d'essences diverses, fleurs variées, bâtiments, somptueux, habits fastueux- se retrouvent dans les représentations picturales célestes. En bref, cette vision béatifique se déroule dans un cadre rappelant le paradis terrestre retrouvé.
Toutefois c’est surtout le lien étroit que le sacré entretient avec la verticalité que les sculpteurs romans ont inscrit dans la pierre tant sur les tympans que sur les chapiteaux.
☞ Verticalité et eschatologie
** Dans les compositions scéniques du retour du Christ à la fin des temps la verticalité s’est imposée aux artistes et à leurs commanditaires.
** Elle n'est pas davantage absente dans les jugements derniers dont les scènes invitaient le regard à se déplacer du plan inférieur au plan supérieur, des morts sortant de leurs tombeaux vers les élus ou les réprouvés, les prophètes, les saints avec le Sauveur trônant en majesté. Rappelons simplement que le jugement dernier est « la récapitulation de toutes les vies dans la lumière fulgurante de l’amour de Dieu, la constatation de leur poids ». Théo, 1989, p. 897.
Hortus Deliciarum, manuscrit D’Herrade de Landsberg remontant aux environs de 1180
Evocation du Jugement dernier : entouré d'anges et de saints, le Christ en majesté sépare les bienheureux qui prennent place en bas à sa droite des réprouvés figurés à sa gauche sur un fleuve de feu.
** Dans les figurations évoquant le passage de la mort à la vie nouvelle, le regard est invité, de la même façon, à se tourner vers le haut.
Peinture murale de la voûte de la nef, ancienne abbatiale, Saint-Savin, Vienne.
Une rare représentation d'Enoch appelé au ciel par Dieu ; il " marcha avec Dieu; puis il ne fut plus, parce que Dieu le prit." Genèse 5.24.
Eglise Saint-Hilaire, Poitiers, Vienne.
Alors que saint Hilaire, sur son lit de mort, est comme rattaché au sol, son " double ", libéré de ses attaches terrestres, est accompagné par deux anges vers la main du Père qui appelle à Lui le défunt.
☞ Des bases documentaires à la pluralité des transpositions
Même si l'iconographie chrétienne sur le paradis est moins riche que celle du monde infernal, elle a fait cependant l'objet d'une belle inventivité figurative malgré la grande sobriété avec laquelle les Ecritures évoque le " royaume des cieux".
❖ Textes majeurs.
Puisqu'il était tentant d'exprimer l'invisible par le visible de multiples transpositions dans la pierre découlent de deux textes au fondement de l'iconographie relative aux évocations paradisiaques.
** L’Apocalypse de Jean fut une autre source d’inspiration de sujets paradisiaques; il est erroné de ne voir en elle que le côté dramatique alors qu’elle débouche sur une éternité de bonheur.
** Jésus annonce le "royaume des cieux " qui culmina dans le chapitre 25 versets 31,46 de l'évangile de Matthieu sur le " Jugement dernier " .
❖ Types de transpositions.
- La Parousie, en tant que retour du Christ à la fin des temps, signifiera le passage du temps de la foi au temps de la rencontre face à face avec le Sauveur.
"Je fus ravi en esprit au jour du Seigneur, et j'entendis derrière moi une voix forte, comme le son d'une trompette,
qui disait: Ce que tu vois, écris-le dans un livre, et envoie-le aux sept Églises, à Éphèse, à Smyrne, à Pergame, à Thyatire, à Sardes, à Philadelphie, et à Laodicée.
Je me retournai pour connaître quelle était la voix qui me parlait. Et, après m'être retourné, je vis sept chandeliers d'or,
et, au milieu des sept chandeliers, quelqu'un qui ressemblait à un fils d'homme, vêtu d'une longue robe, et ayant une ceinture d'or sur la poitrine.
Sa tête et ses cheveux étaient blancs comme de la laine blanche, comme de la neige; ses yeux étaient comme une flamme de feu;
ses pieds étaient semblables à de l'airain ardent, comme s'il eût été embrasé dans une fournaise; et sa voix était comme le bruit de grandes eaux.
Il avait dans sa main droite sept étoiles. De sa bouche sortait une épée aiguë, à deux tranchants; et son visage était comme le soleil lorsqu'il brille dans sa force.
Quand je le vis, je tombai à ses pieds comme mort. Il posa sur moi sa main droite en disant: Ne crains point!
Je suis le premier et le dernier, et le vivant. J'étais mort; et voici, je suis vivant aux siècles des siècles. Je tiens les clefs de la mort et du séjour des morts."
Apocalypse 1,11-18
- La scène du Jugement dernier avec les morts sortant de leurs tombeaux, la pesée des âmes et la séparation des justes et des réprouvés.
" Lorsque le Fils de l'homme viendra dans sa gloire, avec tous les anges, il s'assiéra sur le trône de sa gloire.
Toutes les nations seront assemblées devant lui. Il séparera les uns d'avec les autres, comme le berger sépare les brebis d'avec les boucs;
et il mettra les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche.
Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite: Venez, vous qui êtes bénis de mon Père; prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès la fondation du monde.
n vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous les avez faites.....
Ensuite il dira à ceux qui seront à sa gauche: Retirez-vous de moi, maudits; allez dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges.
..........Et ceux-ci iront au châtiment éternel, mais les justes à la vie éternelle."
- Pour les chrétiens l'aspiration au salut éternel se concrétise dans la vision de la Jérusalem céleste "ayant la clarté de Dieu" et "ne manquant ni de Soleil ni de Lune". À la fin des temps, le livre de l'Apocalypse laisse espérer la descente de la Jérusalem céleste sur Terre. Ces figurations qui prirent la forme d'une église, d'un palais ou d'une ville entière reposent sur la transposition de l'église comme édifice à l'Eglise comme assemblée générale des croyants, puis de cette dernière au regroupement des bienheureux dans la Jerusalem d'en haut.
" Puis je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre; car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et la mer n'était plus.
Et je vis descendre du ciel, d'auprès de Dieu, la ville sainte, la nouvelle Jérusalem, préparée comme une épouse qui s'est parée pour son époux....
Et il me transporta en esprit sur une grande et haute montagne. Et il me montra la ville sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel d'auprès de Dieu, ayant la gloire de Dieu.
Son éclat était semblable à celui d'une pierre très précieuse, d'une pierre de jaspe transparente comme du cristal.
Elle avait une grande et haute muraille. Elle avait douze portes, et sur les portes douze anges, et des noms écrits, ceux des douze tribus des fils d'Israël:
à l'orient trois portes, au nord trois portes, au midi trois portes, et à l'occident trois portes.
La muraille de la ville avait douze fondements, et sur eux les douze noms des douze apôtres de l'agneau.
Celui qui me parlait avait pour mesure un roseau d'or, afin de mesurer la ville, ses portes et sa muraille.
La ville avait la forme d'un carré, et sa longueur était égale à sa largeur. Il mesura la ville avec le roseau, et trouva douze mille stades; la longueur, la largeur et la hauteur en étaient égales.
Il mesura la muraille, et trouva cent quarante-quatre coudées, mesure d'homme, qui était celle de l'ange.
La muraille était construite en jaspe, et la ville était d'or pur, semblable à du verre pur.
Les fondements de la muraille de la ville étaient ornés de pierres précieuses de toute espèce: le premier fondement était de jaspe, le second de saphir, le troisième de calcédoine, le quatrième d'émeraude,
le cinquième de sardonyx, le sixième de sardoine, le septième de chrysolithe, le huitième de béryl, le neuvième de topaze, le dixième de chrysoprase, le onzième d'hyacinthe, le douzième d'améthyste.
Les douze portes étaient douze perles; chaque porte était d'une seule perle. La place de la ville était d'or pur, comme du verre transparent.
Je ne vis point de temple dans la ville; car le Seigneur Dieu tout puissant est son temple, ainsi que l'agneau.
La ville n'a besoin ni du soleil ni de la lune pour l'éclairer; car la gloire de Dieu l'éclaire, et l'agneau est son flambeau.
Les nations marcheront à sa lumière, et les rois de la terre y apporteront leur gloire.
Ses portes ne se fermeront point le jour, car là il n'y aura point de nuit.
On y apportera la gloire et l'honneur des nations.
Il n'entrera chez elle rien de souillé, ni personne qui se livre à l'abomination et au mensonge; il n'entrera que ceux qui sont écrits dans le livre de vie de l'agneau."
Apocalypse 21,10- 27
- Le thème de la Jérusalem céleste s'est naturellement enrichi de celui de l'agneau pascal et du Bon Pasteur.
* Jésus lui-même avait pris l'exemple du berger qui rassemble ses brebis dispersées, les mène aux bons paturages et donne sa vie pour elles.
Ce thème du bon berger est abordé par saint Jean dans son évangile :
"En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui n'entre pas par la porte dans la bergerie, mais qui y monte par ailleurs, est un voleur et un brigand.
Mais celui qui entre par la porte est le berger des brebis.
Le portier lui ouvre, et les brebis entendent sa voix; il appelle par leur nom les brebis qui lui appartiennent, et il les conduit dehors.
Lorsqu'il a fait sortir toutes ses propres brebis, il marche devant elles; et les brebis le suivent, parce qu'elles connaissent sa voix.
Elles ne suivront point un étranger; mais elles fuiront loin de lui, parce qu'elles ne connaissent pas la voix des étrangers.
Jésus leur dit cette parabole, mais ils ne comprirent pas de quoi il leur parlait.
Jésus leur dit encore: En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis.
Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des brigands; mais les brebis ne les ont point écoutés.
Je suis la porte. Si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé; il entrera et il sortira, et il trouvera des pâturages.
Le voleur ne vient que pour dérober, égorger et détruire; moi, je suis venu afin que les brebis aient la vie, et qu'elles soient dans l'abondance.
Je suis le bon berger. Le bon berger donne sa vie pour ses brebis.
Mais le mercenaire, qui n'est pas le berger, et à qui n'appartiennent pas les brebis, voit venir le loup, abandonne les brebis, et prend la fuite; et le loup les ravit et les disperse.
Le mercenaire s'enfuit, parce qu'il est mercenaire, et qu'il ne se met point en peine des brebis. Je suis le bon berger.
Je connais mes brebis, et elles me connaissent,
comme le Père me connaît et comme je connais le Père; et je donne ma vie pour mes brebis.
J'ai encore d'autres brebis, qui ne sont pas de cette bergerie; celles-là, il faut que je les amène; elles entendront ma voix, et il y aura un seul troupeau, un seul berger."
Jean 10,1-16
* Auparavant des prophètes comme Isaie et Jérémie avaient déjà proclamé la venue d’un serviteur de Dieu, semblable à un agneau et par qui s’accomplirait le dessein de salut divin.
"Il a été maltraité et opprimé, Et il n'a point ouvert la bouche, Semblable à un agneau qu'on mène à la boucherie, A une brebis muette devant ceux qui la tondent; Il n'a point ouvert la bouche."
Isaie 53, 7
"J'étais comme un agneau familier qu'on mène à la boucherie, Et j'ignorais les mauvais desseins qu'ils méditaient contre moi: Détruisons l'arbre avec son fruit! Retranchons-le de la terre des vivants, Et qu'on ne se souvienne plus de son nom! "
Jérémie 11, 19
* Jean Baptiste avait porté le témoignage suivant sur Jésus :"Voici l'Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde". Jean 1,29
- Dans le paradis chrétien une place de choix a été réservée à la Vierge en gloire. Le sujet de l’Assomption - thème ascensionnel par excellence - a induit ensuite le thème du couronnement de Marie par son fils.
Façade de l'église Saint Nicolas, Civray, Vienne.
- La représentation des anges chanteurs et musiciens constitue une autre variante des évocations paradisiaques. En plus des anges musiciens qui soufflaient dans les trompettes du Jugement dernier les sculpteurs réalisèrent de nombreuses galeries d'anges musiciens jouant d'instruments les plus variés.
Encore qu'il ne faut pas oublier que cette exaltation de la musique céleste n'alla pas sans une réticence marquée à l'égard de la musique terrestre suspectée - associée à la danse - d'entraîner les fidèles vers des gesticulations corporelles bien éloignées des chemins du ciel.
A cette réserve près les anges choristes ou instrumentistes des portails proclameront la gloire de Dieu dans le ciel comme en témoignera plus tard la mère de François Villon dans " la ballade pour prier Notre-Dame ":
Femme je suis, pauvrette et ancienne,
Qui rien ne sais ; oncques lettre ne lus.
Au moutier vois dont suis paroissienne
Paradis peint, où sont harpes et luths,
Toutefois musique et danse demeurent des activités pouvant induire des attitudes déplacées, indécentes éloignant les hommes des préoccupations supérieures d'ordre spirituel ; à ce titre la danse comme l’acrobatie et la jonglerie n’accéderont jamais à la dignité aux yeux de l’Eglise médiévale.
Une remarque mérite d'être effectuée avant de voir la galerie de photos : pour quelles raisons l'imagerie romane a-t-elle fréquemment figuré les anges et les saints dans une attitude de sereine immobilité ?
Ce parti pris artistique renvoie encore à la position rappelée ci-dessus des autorités ecclésiastiques de l'époque. Contorsions et gesticulations corporelles étant considérées comme des manifestations de désordre et de trouble, par opposition, la perfection spirituelle est dans la stabilité. Délivré des passions humaines le bienheureux ne bouge pas ; jouissant de la vision béatifique, il contemple. De même, un ange au visage hiératique suggérera la perfection céleste.
C'est donc parce que les scolastiques y discernaient le signe d'une imperfection que toute mobilité semblait proscrite du Ciel.
- Des compositions scéniques variées peuvent également être comprises comme évocations paradisiaques en tant qu'ouvertures sur la lumière céleste : que ce soit la Transfiguration de Jésus, Noé et son arche ou la résurrection de Lazare, ami de Jésus.
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