LE PARADIS DANS L’ ART ROMAN
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Le paradis comme l'enfer ne s'appuient pas sur de longs développements dans les Ecritures, mais plutôt sur de patientes élaborations intellectuelles au cours des siècles reposant tant sur une base mythologique que sur des traditions populaires.

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Linteau du portail de l'ancienne abbaye de saint-Genis-des-Fontaines, Pyrénées Orientales.

L’iconographie du jugement dernier a plus retenu l’intérêt des commanditaires et des artistes par ses figurations des souffrances post-mortem que par ses représentations paradisiaques.
Autant les visions infernales des scènes diaboliques offrant aux fidèles une évocation potentielle terrifiante, et par là-même édifiante de leur avenir, génèrent un profond émoi, autant les perspectives paradisiaques plus sereines des processions d’élus jouissant de la vision béatifique n’ont pas le côté spectaculaire des premières.

Pour ne prendre que cet exemple, les célèbres illustrations de l’enfer et du paradis de l’
Hortus Deliciarum, manuscrit d’Herrade de Landsberg remontant aux environs de 1180, témoignent de cette différence de traitement.
Sans doute est-il plus édifiant et plus facile de réaliser des images de l'enfer localisé sous la terre susceptibles d'inspirer de bons comportements par la crainte du châtiment que de suggérer l'état de béatitude céleste.

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L’enfer et les divers supplices aux extraordinaires raffinements que subissent les damnés.

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Extrait de la file des élus lors du jugement dernier. Ici, il s’agit des juges du monde, des pénitents et des fidèles.


La sculpture n'est pas en reste, à en juger par les représentations de jugements derniers ou de parousie sur les tympans ou tout simplement comme ci-dessous sur les chapiteaux.
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Des démons punissent un homme par où il a péché. Eglise de Bois-Sainte-Marie, Saône-et-Loire.

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Composition paradisiaque, Baie axiale, chevet, église de Surgères, Charente-Maritime.

Pour l’homme roman le monde est marqué par le péché et la vie sur terre est une lutte constante contre la tentation et les oeuvres de Satan.
Saisir l'enjeu de la vie humaine dans l'espace spirituel roman suppose de partir du présupposé que le cheminement vers la patrie céleste est empêché lorsque les actions humaines sont moins régies par le spirituel que par la dimension animale de l'homme qui tire l’être complexe qu’est ce dernier vers le bas. Au final, selon que l’attraction vers le haut ou la pesanteur vers le bas l’emportera ce sera, pour l’homme roman, l’élévation glorieuse ou la déchéance et la chute spirituelle ; en d’autres termes, jusqu’au XIIe siècle l’après-mort du fidèle débouche pour l’éternité sur le bonheur au jardin des délices ou sur les tourments de l’enfer.

ESCHATOLOGIE ET VERTICALITE

De tout temps l’homme a été fasciné par le ciel. Le regard des croyants dans la plupart des religions a toujours été dirigé vers le haut. Le ciel est toujours apparu comme le lieu de résidence des dieux.
La spiritualité chrétienne de l’Occident médiéval s’inscrit entièrement dans cette perspective. Il y a le monde d’en haut et le monde d’en bas.
Il se dégage des Saintes Ecritures une certaine vision du monde créée qui est à la base de la pensée philosophique et théologique et marque fortement les représentations de l’art chrétien.
Fresques et sculptures manifestent l’existence d’un tel lien vertical unissant l’homme et le ciel.

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Eglise basse de Saint-Aignan, Loir-et-Cher. Vers 1200.
Du haut de son trône céleste le Christ en majesté, entouré de saint Pierre et de saint Jacques, répand ses grâces sur des infirmes prosternés, paralytiques, cul-de-jatte représentés au registre inférieur..

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Cathédrale Saint-Pierre, Angoulême, Charente.

Une vision eschatologique : sous une arcade peuplée d'anges sont représentées les Cieux au sein desquels volètent de petits anges évoluant la tête en bas. Le Christ dans sa mandorle, les bras ouverts, la tête dans les Nuées, est entouré des évangélistes. La descente des anges sur la terre révélait un système hiérarchisé avec un haut et un bas.

La vision chrétienne médiévale, situant le paradis dans la hauteur des cieux, s’inscrivait dans la lignée de la cosmographie antique.
Cette dernière situait la demeure des dieux dans « 
l’empyrée », sphère céleste supérieure habitée par les dieux. Dans la pensée chrétienne l’empyrée est devenu le paradis, habitat de Dieu, des anges et des justes après-mort.

Bien que datant de la fin du Moyen Âge la montée vers l'empyrée de Jérome Bosch a le mérite de bien illustrer ce discours. L’oeuvre montre l’ascension des âmes dans un tunnel d’où jaillit une puissante lumière. Cette lumière représente le rayonnement de Dieu. Les âmes sont menées jusqu’à elle par des anges, mais finissent seules l’ascension pour entrer au royaume céleste. Le tunnel entend symboliser le passage.

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L'ascension vers l'empyrée, après 1500, Palazzo Ducale Venise. Jérome Bosch


Dans l’Antiquité et au Moyen Age, l’empyrée était considérée comme la partie la plus élevée du ciel, celle qui a été regardée comme la demeure des dieux ou le séjour des bienheureux.
Historiquement, l’univers, la société, l’être humain lui-même ont pu être perçus à travers un système marqué par une circulation verticale entre l’au-delà et l’ici-bas. Ainsi ce monde invisible céleste donne le sens du monde visible. Ce n’est donc pas sans raison que traditionnellement le Paradis a été localisé dans les Cieux alors que les textes de la Genèse le situaient sur la Terre.


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LES EVOCATIONS ROMANES DU PARADIS

Cette cosmographie antique christianisée et couronnée par l’empyrée -tant qu’elle parut non démentie par la science- fut une source durable d’inspiration pour les poètes et les artistes.
Le terme « paradis » signifia longtemps le paradis terrestre où furent placés Adam et Eve ; l’Eden fut également appelé, par les Pères de l’Eglise, le jardin des délices.
Puis, transporté dans les cieux, le paradis, conservant son nom primitif, revêtit la signification de séjour éternel des Justes.

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Jérusalem céleste représentée sous la forme d'un quadrilatère de murailles. Le Fleuve de Vie. L'Arbre de Vie. Apocalypse XXIII.
Les miniatures du Beatus d’Urgell réalisé à Rioja ou Leon en 975.

Ainsi, pendant des siècles la tradition chrétienne a fait reposer sa vision du paradis sur les construction astronomiques que l’Antiquité avait transmises au Moyen Âge.

Cette représentation du monde, agencée autour des idées de haut et de bas, avec l’empyrée surplombant les autres niveaux célestes, allait s’effondrer en deux ou trois siècles entraînant dans sa chute nombre de raisonnements théologiques.

La naissance de la science moderne, les nouvelles façons de penser et de vivre depuis le XVIIe siècle n’allaient plus laisser de place à l’empyrée comme siège du paradis localisé au sommet de la verticale cosmique.

Au XVIIIe siècle
l’idée de retrouver le lieu du paradis terrestre sur la Terre ayant été abandonnée, désormais abstrait et «  céleste » le paradis devient un lieu sans matérialité, un état d'âme ; en fait, cette approche ne faisait que retrouver les positions dogmatiques originelles.

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SOMMAIRE

** Le paradis sur terre.
** Le paradis dans l'au-delà de ce monde.
** Echos de quelques représentations médiévales ultérieures.
** Prolongements en guise de conclusion : à distance de l'espace spirituel roman.

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