Exhibitionnisme au féminin
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Eglise Sainte-Madeleine, La Clisse, Charente-Maritime
Le christianisme introduit une grande nouveauté en Occident : la transformation de la faute originelle en péché sexuel.
La femme, objet de la concupiscense masculine, devient dans un monde dominé par les hommes, la principale instigatrice du péché de la chair.
Concupiscence, luxure, fornication sont devenus peu à peu le triple objet de la réprobation sexuelle des autorités ecclésiastiques.
Ainsi, l'exhibitionnisme féminin est, pour une part, l'expression d'un moralisme des clercs par le biais de contre-modèles, mais, d'autre part, c'est aussi la manifestation d'un héritage antique et le fruit d'une culture populaire.
La nudité féminine peut être rangée sous plusieurs catégories :
- l'image de la luxure,
- la figuration de femmes offrant à la vue de tous leur intimité.
** Stigmatisation de la luxure
La femme tétée par des serpents se rencontre fréquemment dans la sculpture romane. Elle est à saisir comme une représentation délibérément moralisatrice qui entend toucher le fidèle par une forte et choquante personnification du péché de la chair. Pour s'élever l'esprit doit s'efforcer de se libérer des passions charnelles. C'est parce que le discours des clercs met constamment en garde contre les plaisirs du corps que luxure, avarice et gourmandise sont des thèmes souvent abordés dans la statuaire romane.
© Anthony Weir
L'exemple-type de la femme au serpent est celui de la copie du bas-relief provenant de l'église romane du XIe siècle située à Oo en Haute-Garonne et conservée au Musée des Augustins de Toulouse. En position frontale cette figuration féminine est caractérisée par une vulve bombée et largement exhibée et par un serpent sortant du sexe pour mordre un sein.
Les imagiers romans n'auront de cesse de vilipender la luxure.
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* Eglise de Mailhat, Puy-de-Dôme ** Octogone, Montmorillon, Vienne
Images classiques des serpents s'abreuvant aux seins d'une femme dévêtue.
Abbaye Saint-Pierre, Beaulieu-sur-Dordogne, Corrèze.
La très belle représentation de la luxure et de sa condamnation est figurée sur le côté gauche du porche associée à deux autres vices : l'avarice et la gourmandise.
Abbatiale Saint-Pierre, portail, Moissac, Tarn-et-Garonne
L'avarice et la luxure. Une femme décharnée voit ses seins tétés par des serpents : elle incarne le vice puni. A ses côtés un avare, sa bourse autour du cou, refuse l'aumône à un mendiant.
Les autorités religieuses, ayant érigé au rang de modèle de vie la chasteté et de la pauvreté, ont tout naturellement insisté sur les motifs accablants l'usurier et le concupiscent à titre de contre-modèles.
Ancienne abbaye de Charlieu, Loire
Luxurieuse en proie aux serpents.
Cathédrale Saint-Lazare, Autun, Saône-et-Loire
La femme de mauvaise vie attaquée par deux serpents.
Eglise Saint-Pierre de Parthenay-le-Vieux, Deux-Sèvres
Serpents tétant une femme luxurieuse. Illustration du thème " nourrir ses passions "
Eglise de Vouvant, Vendée.
Une sirène à double queue à l'abondante chevelure. Aux angles du chapiteau deux personnages lui tiennent la queue pendant que des serpents viennent lui téter la poitrine.
Chapiteau du cloître de l'abbaye de Lavaudieu, Haute-Loire
Une évocation de la luxure avec la femme tétée par des salamandres au lieu de serpents.
Eglise Saint-Léger de Montbrillais, Vienne
Un chapiteau de la porte évoque le vice : une femme allaite deux crapauds pendant qu'elle est surveillée par un serpent. Par ces deux scènes le sculpteur entendait-il signifier la nécessité de rejeter le péché avant d'entrer dans une église ?
Eglise Saint-Hilaire de Melle, Deux-Sèvres
Une femme tétée par deux chimères ailées. Elle est punie par où elle a péché.
Eglise Saint-Trophime, Arles, Bouches-du-Rhône
Sur la façade c'est une femme nue qui chevauche une sorte de dragon.
Eglise de Foussais-Payré, Vendée
Un autre type de disqualification : un personnage doté d'un écu, et apparemment auréolé, menace une femme qui révèle son intimité en relevant son vêtement.
Eglise de Corme-Ecluse, Charente-Maritime
Un homme accroupi, surpris et déconcerté, les mains dans la gueule d'animaux, est surmonté d'une femme voluptueuse étendue sur le côté au milieu de feuillages ; les deux scènes sont à relier : la situation dépendante de l'homme résulte, à n'en pas doute, de l'influence négative exercée par la lascive créature. Il a succombé aux charmes de la belle ....
Abbaye de Fleury, Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret.
Les femmes ayant été souvent représentées sous leurs traits négatifs de femmes tentatrices, il n’est pas inutile de rappeler comment certaines sculptures peuvent relever l'image de la féminité ; Il en est ainsi de cette évocation au triforium de l'abbatiale. Suzanne dans son bain résiste à la séduction de deux vieillards qui la désirent.
** Des figurations féminines offrant leur intimité à la vue de tous
Les représentations du corps humain, ou ici plus strictement des attributs sexuels des êtres humains, sont en nombre dans la sculpture romane. Il en est ainsi de ces figurations féminines absolument directes exhibant leur béance et qui ne paraissent pas faire intervenir de condamnation.
Eglise de Chaix, Vendée
Le chevet de cette petite église rurale comporte une représentation d'une femme offerte aux traits marqués par la souffrance ( ? ).
Eglise Sainte-Radegonde, Poitiers, Vienne
La femme exhibitionniste prend souvent un aspect tourmenté, la douleur de son péché est manifeste dans son corps ; i il n'en est rien ici dans le cas de cette femme bien vêtue, laissant voir ses seins nourriciers et offrant explicitement son intimité au regard en entr'ouvant son sexe.
Eglise Saint-Martin, Archingeay, Charente-Maritime
Avec son sexe offert et hypertrophié cette femme se fait mordre les seins par deux serpents.
Eglise saint-Hilaire, Foussais-Payre, Vendée
Le tireur d'épine n'est pas uniquement une figuration masculine ; une femme qui s'enlève une épine du pied révèle ses attributs intimes sous sa jambe gauche repliée.
Une intimité ostensiblement exposée sous la corniche.
Les exhibitions sexuelles du Poitou et de la Saintonge ne sont pas uniques dans l'imagerie romane. On en trouve en grand nombre à l'échelle internationale comme en Irlande et au Royaume-Uni ( les fameuses Sheela-na-gigs ) et en France comme dans le Mauriacois ( Cf le travail de Pierre Moulier sur la basilique Notre-Dame des Miracles de Mauriac, 2006. Un exemple peut être trouvé dans le modillon ci-dessus appartenant à l'église de Saint-Vincent de Salers, Cantal.
© Anthony Weir Saint-Antonin-Noble-Val, Tarn-et-Garonne
Une des plus belles figures féminines exhibitionnistes est sans conteste celle ci-dessus. Ce modillon redressé qui se trouve actuellement sur la façade d'une maison appartenait à une ancienne collégiale.
On est en présence d'une scène de dévoration d'une femme nue par un être monstrueux aux dents acérées évoquant les lieux infernaux.
Pour quelle raison ce qui est ordinairement caché est-il montré ? Allégories de la luxure, expressions d'une culture populaire, trivialité, forme d' humour, fonction protectrice de la fécondité, acte de défi ou d'agression. ..
Il est difficile de retrouver pleinement le sens qui avait motivé ces réalisations et qui a pu se perdre au cours du temps.
La localisation peut servir à dégager des éléments de réponse ( intérieure/extérieure, à proximité d'une porte ou non, endroit discret ou au contraire bien en vu...).
Il faut aussi se souvenir que de multiples niveaux de lecture sont possibles et pas forcément contradictoires.
Les sirènes bifides qui évoquent l'exhibition de la vulve offrent au regard leur intimité en tenant dans chaque main une de leurs queues. On a pu voir dans ces figurations de sirènes à double queue une volonté de montrer ou à tout le moins d'évoquer un exhibitionnisme féminin.
Eglise Saint-Nicolas de Maillezais, Vendée
Sur un chapiteau extérieur une sirène bi-caudale disposant d’une chevelure à quatre nattes.
Eglise de Tavant, Indre-et-Loire
Ce chapiteau représentant des sirènes bifides est situé dans la nef ; il est donc difficile d'y voir un motif atropopaïque. Le sexe est remplacé par un motif stylisé de type coquillage.
** Principe féminin et gueule d’enfer
La figuration de l'enfer en gueule de monstre largement ouverte, fréquemment rencontrée, est issue du livre de Job, qui décrit le Léviathan, monstre symbolisant le désordre et le mal : " De sa gueule jaillissent des torches, il s'en échappe des étincelles de feu. Ses naseaux crachent de la fumée, comme un chaudron qui bout sur le feu". Il est représenté à l'époque médiévale sous la forme d'une gueule béante qui avale les âmes pécheresses et les mène aux lieux infernaux.
L'assimilation biblique entre l'enfer, gueule dévorante, et l'anatomie de la femme est le fait du livre des Proverbes : " il y a trois choses insatiables et une quatrième qui ne disent : "Assez " : le sheol, le sein stérile, la terre que l'eau ne peut rassasier, le feu qui jamais ne dit : 'Assez ". ( Des traductions n'hésitent pas à remplacer plus explicitement le " sein stérile " par la " bouche de la vulve" ).
L'imagerie médiévale fait ainsi un large usage du rapprochement entre le sexe féminin et l'enfer, le vagin étant perçu, d'un certain point de vue, comme lieu du mal, béance vorace conduisant à la mort éternelle. Pour le moine la femme est fréquemment considérée comme presque aussi dangereuse que le diable dont elle est souvent l'instrument. A ce propos, il suffit de se rappeler les nombreuses scènes représentant la tentation de saint Benoît, par exemple.
Eglise de Saint-Révérien, Nièvre
Une évocation de l'enfer ( INFERNUS ) : des diables cornus enfournent des réprouvés dans la gueule aux dents acérées du Leviathan.
Cathédrale de Strasbourg, Bas-Rhin.
Sur un des tympans une classique figuration de l'enfer en gueule béante avalant d'infortunés pécheurs nus dès la sortie du tombeau.
Portail sud de la façade occidentale, cathédrale de Strasbourg, Bas-Rhin.
A titre comparatif, sur un autre des tympans de la cathédrale gothique de Strasbourg ( Bas-Rhin ) sont sculptés le Léviathan d'où jaillissent des flammes, les démons grimaçants et la cohorte des réprouvés encordés.
On remarque que la nudité des corps a été abandonnée en ce qui concerne la figuration des damnés ; cet autre atelier postérieur de sculpteurs ne s'est pas résolu à ne pas habiller les réprouvés eux-mêmes...