Une évocation imagée
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Cathédrale d'Autun, Saône-et-Loire.
La symbolique musicale au Moyen Age :
harmonie universelle / désordre indissociable de la condition humaine
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☞A l’époque médiévale la Musique fait partie des « arts libéraux », expression qui désigne les disciplines intellectuelles fondamentales dont la connaissance depuis l'Antiquité hellénistique et romaine était réputée indispensable à l'acquisition du savoir que peut acquérir l'homme de ce temps.
Les arts libéraux, au nombre de sept, se divisent en deux degrés : le Trivium et le Quadrivium.
Les trois voies ou trivium ( grammaire, rhétorique et dialectique ) sont relatifs au pouvoir du langage.
- Les quatre voies ou quadrivium ( arithmétique, géométrie, musique et astronomie ) se rapportent au pouvoir des nombres.
- Les arts du trivium sont perçus comme la base nécessaire à la maîtrise des arts du quadrivium.
- Rappelons enfin qu'en suivant les idées augustiniennes le discours médiéval chrétien met la foi au centre de toute connaissance et place les arts libéraux en programme d'enseignement préalable à l’étude de la théologie.
Le cordon extérieur de la troisième voussure du portail comporte toute une série de personnages disposés selon la courbure de l'arc. Ce sont ces femmes aux habits finement drapés qui figurent les sept arts libéraux. Malheureusement il n'est pas toujours aisé de bien discerner leurs attributs symbolisant ces fameux arts libéraux. La musique ci-dessous, qui retient ici notre attention, est en possession d’une petite harpe.
En tant que discipline du savoir l’objet du Quadrivium est le Nombre, quintessence de l’ordre du monde, dans ses différentes relations et expressions, tel que Dieu l’aurait créé ; les proportions musicales sont estimées universelles et sont à la base des principes du juste rapport que l’homme entretient avec le monde qui l’entoure.
Une exposition du printemps 2004 au Musée de la Musique ayant pour thème : « Moyen Age entre ordre et désordre » révèle que « la pratique musicale médiévale consiste à bien véhiculer la parole de cet ordre. La musique apparaît comme le moyen d’une lecture pluridimensionnelle de la vie : de l’ordre, propre à son statut d’œuvre divine, parfaite, et du désordre, inhérent à la nature humaine ».
** C’est d’abord le roi David et l’ars musica.
Enluminure, vers 1170. Provient du diocèse d’York
Glasgow, University Library, ms. Hunter 229 (U.3.2), f. 21 v°.
© 2004 Musée de la musique.
« Sublime intermédiaire entre la musique divine et angélique, en haut, et la
musique humaine en bas, la figure christique du roi David se trouve au cœur
d’une union magistrale des symboles que véhicule l’ars musica médiéval. Sur la
cinquième corde de sa harpe, David prend l’accord donné directement par la
main de Dieu, à la cinquième cloche de l’échelle, et le transmet aux musiciens
qui jouent à ses pieds. Par sa stature il transcende la frontière entre ciel et terre
en élevant par la musique ses compagnons vers Dieu. Plus qu’une simple
pratique, celle-ci représente un véritable moyen d’accès à la sagesse chrétienne. »
** C’est ensuite le roi David dans sa Cité.
Enluminure, vers 1109. Provient de l’abbaye de Cîteaux
Dijon, Bibliothèque municipale, ms. 14, f. 13 v°. © 2004 Musée de la musique.
« La longue liane, attribut de la Sagesse, et la harpe confèrent au roi David sa
posture de législateur-accordeur de la cité. Cette harmonie n’est pourtant pas
une sérénité neutre, mais le juste équilibre de forces antinomiques, celles de
l’ordre, représenté par les musiciens qui font écho à la harpe de David, et du
désordre, celui d’une Jérusalem pas complètement bâtie, défendue par les
hommes armés sur la muraille inachevée. »
Les commissaires de l’exposition - Martine Clouzot, Christine Laloue, Isabelle Marchesin -rappellent ainsi que, dans cette perspective médiévale, « la musique, émanation divine, imprègne toute la Création. L’extraordinaire concordance universelle qu’elle exprime est l’œuvre de Dieu ; sa rationalisation à travers l’expérience sensible, à travers la perception, est du ressort des hommes. Les termes de la musique constituent en ce sens une grille de lecture du cosmos. »
Musique, danse et jonglerie
dans la société médiévale :
entre Carême et Carnaval
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☞ Mais la condition de l’homme, dans sa quotidienneté vécue, se révèle bien éloignée du modèle vertueux incarné par le roi David jouant de la harpe.
Eglise prieurale Notre-Dame de Cunault, Maine-et-Loire.
Si au Moyen Age le corps est contraint par les normes édictées par l’Eglise - institution en situation dominante - il résiste cependant à son refoulement total.
Sur le bruit de fond continuel du combat entre les choses de la terre et les préoccupations d’ordre spirituel, l’homme médiéval est partagé entre exaltation et refoulement. Avant les périodes d’abstinence et de jeûne, le rire se faisait jour lors des fêtes populaires.
Pour les siècles qui retiennent notre attention, l'année est rythmée par de nombreuses fêtes religieuses chômées. Musiciens et jongleurs divertissent. Dans une société ponctuée par une dure quotidienneté vécue et l'âpreté seigneuriale les fêtes du calendrier religieux sont célébrées avec une vivacité joyeuse ( processions ne concernant qu’un métier ou une confrérie, d’autres touchant toute la ville, ostensions de reliques, mystères, ...).
Tous les évènements importants - mariages, baptêmes -donnent lieu à de grandes réunions familiales. Le mariage notamment constitue un évènement pour tout le village : on mange, on boit, on s’amuse et l’on danse.
La ville et la campagne n’offrent pas les mêmes distractions. Si les ruraux se divertissent surtout lors des fêtes qui se déroulent tout au long de l’année, les citadins peuvent observer les spectacles de la rue. En tout endroit où la foule avait l’habitude de s’amasser ou de passer, on les voyait affluer aux carrefours, sur les places, au bout des ponts, aux foires. La foule se rassemble pour regarder les acrobates et les jongleresses qui dansent, entendre les conteurs et les chanteurs.
Jongleurs, enluminure, milieu du XIe siècle, BNF
http://www.maremurex.net/chretien.html
A l’époque médiévale, les divertissements sont condamnés par l'Église institutionnalisée qui souhaite imposer une rigueur morale aux laïques. L’Eglise, gardienne de l’ordre et de la décence, reprochait à ces amuseurs « de troubler les âmes par des spectacles dissolvants, d’exciter à la luxure, de fournir eux-mêmes les pires exemples, bref d’être les suppôts du diable » E. Faral (1916, 2010, p. 254).
Cependant, l’effet de ces interdictions semble être demeuré relativement faible auprès des populations. Est-ce parce que ces jongleurs avaient la faveur du peuple que les évocations de musiciens, danseurs et contorsionnistes, montreurs d’animaux sont nombreuses sur les édifices religieux mêmes ?
En tout cas les claveaux d’archivoltes, les modillons des corniches et les chapiteaux manifestent une certaine dimension festive de la vie profane des XI-XIIe siècles.
Plutôt qu’à une promenade dans une famille d'églises, c’est à un voyage dans la diversité romane régionale ( galeries de photos du Poitou, de la Saintonge… et d’ailleurs ) que nous convions le lecteur en découvrant
- d’abord les représentations de musiciens et de danseurs que nous ont laissées les sculpteurs romans,
- puis le monde des jongleurs.
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