Une girouette de l'île : Paysan emmenant son blé au moulin.
Pour les continentaux, l'île évoque avant tout l'océan ; l'océan qu'il faut franchir afin de parvenir à l'espace insulaire toujours rêvé différent.
Pour ses habitants, l'île signifie d'abord la terre nourricière ; la mer apportant l'eau pour les marais salants et fournissant le goémon pour fertiliser les sols.
Si l'île est aujourd'hui connue pour son sel et ses pommes de terre primeur elle fut aussi dans le passé une bonne productrice de céréales dénommées à l'époque " les quatre bleds ": trois céréales panifiables ( le froment, l'orge et le seigle ) … et une légumineuse, les fèves.
Emile Boutin remarque d'ailleurs que " cette production de céréales était sans doute insuffisante au Moyen Age pour nourrir tous les insulaires. C'est pourquoi les navires de Noirmoutier effectuaient alors un circuit triangulaire. Ils chargeaient du sel pour aller le livrer à Nantes. Là, ils prenaient du vin nantais à destination de Vannes. Enfin ils revenaient dans l'île avec une cargaison de blé " ( 1998, p. 123 ).
Avec les céréales disponibles et le vent qui ne manque pas Noirmoutier avait tout pour faire tourner ses moulins édifiés tout autour de l'île.
Noirmoutier et les machines à moudre ont une longue histoire en commun. C'est en 1235 qu'est érigé le premier moulin à vent par les moines de l'abbaye Notre-Dame de la Blanche. Mais avec l'apparition des minoteries industrielles, à la fin du XIX e siècle, les moulins cesseront les uns après les autres de moudre le grain. Aujourd’hui, on n’en compte plus qu’une vingtaine transformés pour la plupart en habitations secondaires…
* Construction et fonctionnement d'un moulin
Le moulin à vent, dispositif qui transforme l'énergie éolienne en mouvement rotatif à l'aide d'ailes ajustables, est utilisé le plus souvent pour moudre des céréales et autres grains.
Historiquement cette petite machine a servi aussi à actionner une pompe pour assécher les marais.
Coupe d'un moulin-tour.
Crédit photo : moulin de Rairé, Sallertaine, Vendée.
Le moulin -tour a généralement un fût fixe en maçonnerie surmonté d'une toiture pouvant pivoter, seule, sur 360°. La toiture en charpente comportant l’axe des ailes et le mécanisme, est conique, avec une pente plus ou moins accentuée selon les régions, et est couverte en bardeaux de bois ; c'est la calotte orientable dans le sens du vent.
Pour mettre les ailes face au vent, l'arrière du moulin est équipé d'un guivre (queue), pièce de bois descendant du toit jusqu'au sol solidaire de la toiture à la disposition du meunier afin d'orienter le moulin face au vent. En appui sur cette perche ou aidé d'un cabestan, le meunier faisait pivoter la tête du moulin sur une glissière de chêne appelée "chemin dormant", cela, en fonction de la direction du vent.
Quelques cas de moulins, souvent les plus hauts, purent être équipés d'un moulinet ( roue munie de pales ) positionné sur le toit à l'opposé des ailes permettant au moulin d'être en permanence face au vent de façon automatique sans l'aide du meunier.
La toiture abrite le mécanisme moteur du moulin qui se compose principalement des ailes, d'un arbre, d'un rouet monté sur ce dernier, entraînant un petit pignon solidaire d'un axe vertical actionnant la meule tournante sur la meule gisante, fixe inférieure ou dormante.
Les meules, de par leurs fonctions constituant le cœur du moulin, doivent être en bon état et pour cela il faut veiller à les " rhabiller ", c'est-à-dire à les "repiquer " afin de redonner du " mordant" aux deux surfaces broyant les grains.
Vue partielle du dispositif d' engrenages essentiels du mécanisme moteur d'un moulin.
Crédit photo : moulin de Rairé, Sallertaine, Vendée.
Afin que les ailes puissent tourner, elles sont légèrement obliques par rapport au plan de rotation. L'entoilage traditionnel consistait à fixer de solides toiles de lin sur les ailes ; pour ce faire le meunier devait grimper en haut de chacune des quatre demi-vergues, en utilisant en guise d'échelle les "verrons" insérés dans la vergue. (longue pièce de bois constituant l'aile du moulin fixée sur l'arbre moteur ).
Face à la contrainte permanente et dangereuse du réglage des voilures un système d’aile à portance réglable a été mis au point, après bien des tâtonnements, par Pierre-Théophile Berton en 1840, .
Grâce à cette invention les amoulangeurs ( artisans qui construisent et entretiennent les mécanismes d'un moulin ) purent installer des ailes constituées d'un assemblage de planches mobiles réglables coulissant les unes sur les autres qui se substituent aux toiles pour régler la prise au vent.
Le meunier, de l'intérieur du moulin, peut tenir compte des changements du vent, pour replier les ailes si le vent vient à "forcir" ou au contraire à augmenter la voilure si le vent est régulier et de force raisonnable.
Pour éviter que le meunier ne soit emporté par les ailes lorsqu'elles tournent, si la tour est peu élevée, la porte d’accès se trouve généralement du côté opposé à la direction des vents dominants, afin de ne pas être gênée par les ailes en rotation ; ou bien il y a deux portes diamétralement opposées, placées de part et d'autre de la tour et on utilise alors celle qui n’est pas dans le plan de rotation des ailes.
* Les ailes de moulin comme moyen de communication
Les moulins, du fait de leur situation en hauteur, étaient, grâce aux positions qu’on pouvait donner à leurs ailes, des instruments de diffusion d'informations.
- Si l'essence des moulins est naturellement de moudre le grain la position de leurs ailes servait aussi d'amer aux bateaux en approche des côtes en révélant l'orientation et la force du vent sur la côte ; ainsi les marins pouvaient-ils anticiper leurs manœuvres.
De même les voiles des bateaux croisant au large donnaient des indications aux meuniers pour régler les toiles de leurs ailes avant la survenue d'un fort coup de vent.
- Par ailleurs, on ne pouvait pas présenter les moulins sans rappeler le rôle qu'ils jouèrent durant les guerres civiles (de 1793 à 1796) qui ont ravagé la Vendée en opposant dans l'Ouest de la France les blancs ( les royalistes ) et les bleus ( les républicains ).
Crédit photo : http://moulinsetmeuniers.free.fr/fichiers.html/un-moulin.html
Des moulins auraient pu servir à transmettre des informations " codées" à la population relatives aux mouvements des forces républicaines.
Inclinées à gauche, position « venante », elles alertaient de l'approche des forces républicaines.
- Inclinées à droite, position " passante ", elles annonçaient un danger militaire écarté du fait du recul des bleus.
- Les ailes arrêtées en croix grecque (en bout de pied) appelaient au rassemblement en raison de l'approche des troupes ennemies.
- Les ailes arrêtées en quartier ( croix de Saint-André ) signifiaient, en revanche, le retour au calme; la quiétude et le repos étaient alors possibles.
- Par suite, ainsi que le rapporte Eric Bouhier, lorsque les républicains arrivaient, ils massacraient en premier les meuniers avec leur famille. Le 13 janvier 1794 quatre meuniers auraient ainsi été tués (2013, p. 300) .
* Des " cent moulins " d'hier aux 21 moulins actuels
Les premiers moulins qui furent édifiés par les moines de Saint-Philbert au VIIe siècle utilisaient comme source d'énergie inépuisable la force et le mouvement des marées.
Installés sur les étiers les moulins à marées tournèrent longtemps et on cessa de les utiliser, pense-t-on, au début du XVIe siècle ; ils ont totalement disparu sans laisser aucun vestige à part des mentions dans les textes et des dénominations comme la rue du Moulin ou le chemin de Ribandon.
L'édification des digues et des travaux d'assèchement des siècles passés dans l'île ont provoqué le développement de la culture du blé et entraîné la construction de machines à moudre à tel point que Noirmoutier fut baptisée l'île aux cent moulins.
Si les moulins à vent n'atteindront jamais cette quantité, il n'en demeure pas moins qu'ils furent nombreux.
A suivre Eric Bouhier " en 1395, l'île compte déjà six moulins, dix-sept en 1682, vingt-trois en 1760…En 1862, trente-quatre moulins sont disséminés tout autour de l'île,…" ( 2013, p. 300 ).
Finalement ce ne sont pas cent mais " près de soixante-dix moulins qui officièrent successivement sur l'île …" écrit Sylvie Soulard ( 2021, p 9 ) , " …l'apogée de la meunerie se situant vers 1870 avec l'exploitation simultanée de trente-sept moulins".
Aujourd'hui ce sont vingt-et- un moulins, en ruine ou réhabilités souvent par des particuliers, qui peuvent être recensés. C'est à eux qu'est consacrée cette " mémoire du vent en images" relative aux machines à moudre de l'île de Noirmoutier. Le visiteur intéressé par ces éléments du patrimoine matériel et culturel de cette île lumineuse et douce sera ainsi plus à même de les découvrir.
A qui souhaiterait s'intéresser à la meunerie d'antan à Noirmoutier l'incontournable étude des moulins de l'île réalisée par Sylvie Soulard doit être dès maintenant mentionnée car elle va au-delà de délicates et longues recherches patrimoniales sur les moulins existants ou disparus pour évoquer également la vie quotidienne des meuniers et de leur famille :
" L'île aux Cent moulins", Association Les Amis de l'île de Noirmoutier, Editions de l'Etrave, 2021.
Sylvie Soulard - " L'île aux Cent moulins ", 2021, p. 17.
L'auteure, sur cette carte, situe, non seulement les moulins actuels mais aussi les machines à moudre complètement disparues.