Mort et pratiques funéraires
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La mort est très présente au Moyen Age. Si on constate aujourd'hui une tendance sociale au refoulement de la mort dans les esprits, il n'en allait pas de même à l'époque médiévale où l'on vivait la mort au quotidien.
Même si l'on peut penser que la mort ne fut jamais paisible, les populations n'étaient pas plus impressionnées par le spectacle de la mort que par l'idée de leur propre trépas. Il est vrai que l'espérance de vie était faible ; le niveau élevé de la mortalité, même en dehors des famines, épidémies et guerres, rendait la mort familière et fréquente : l'environnement social et culturel était tel qu'il s'agissait de vivre avec la mort éminemment présente. Bien que déchirante la mort faisait partie de l'ordre des choses.

L'espace-temps d'une communauté rurale, bien différent du nôtre, était concerné par la disparition de l'un des siens ; il n'en est plus de même en ville depuis de longues décennies. Tout se passe comme si la collectivité urbaine avait éliminé la mort. A la mort presque " apprivoisée " qui a prévalu pendant des siècles selon la célèbre expression de Philippe Ariès, attendue par l'agonisant accompagné dans son ultime parcours, a succédé la mort cachée et solitaire, d'autant mieux acceptée qu'elle est soudaine et indolore.

L’attitude traditionnelle devant la mort.
Alors que la civilisation moderne tend à la cacher dans les civilisations traditionnelles la mort est très proche et fait partie de la vie quotidienne; l’ancienne familiarité avec la mort peut être décrite selon trois grandes caractéristiques :

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Le malade, conscient, mourait à son domicile, entouré des siens, de ses amis et de ses voisins. Le malade couché attend la mort au lit. Cette attitude rituelle sera prescrite par les liturgies du XIIIe siècle. Le mourant, écrira l’évêque Guillaume Durand de Mende, « doit être couché sur le dos afin que sa face regarde toujours le ciel ».

- La mort est un acte public et organisé.

- Les rites de la mort étaient acceptés et accomplis avec simplicité, sans caractère dramatique, sans charge d’émotion excessive. Malgré tout la mort d’un proche est rarement tout à fait sereine ; elle « fait peur, et la présence des proches, la vue d’objets de piété, en particulier le crucifix, ainsi que les sacrements aident le mourant à surmonter cette peur »
Jean Verdon (2015, p. 364).

Les images romanes ne montrent pas les soins à rendre au défunt. Quelques pierres sculptées évoquent les cérémonies mortuaires, moins par elles-mêmes que par le truchement de scènes des Saintes Ecritures. Elles nous permettent tout de même de jeter un bref éclairage, direct mais le plus souvent indirect, sur quelques aspects de la mort, aux temps romans.
Trois sortes d’images nous introduisent en trois temps majeurs aux rites mortuaires même si ces images ne sont relatives qu’à des milieux très spécifiques :

- Le grand passage,
- Les rares scènes de funérailles,
- Les mises au tombeau.

Représentations du grand passage.
✏︎ Bref retour sur l’iconographie des sarcophages paléochrétiens
Les premiers sarcophages chrétiens ne montrent pas de représentations de la mort et de l'âme dans l'au-delà comme on en trouvait sur les sarcophages romains. On observe cependant des similitudes entre art païen et art chrétien.
Les images des sarcophages ne décrivent pas l'événement mais l'évoquent à l'aide de quelques signes identifiables par les chrétiens de l'époque.

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Musée de l’Arles Antique
Sarcophage des Epoux .
Marbre blanc 2é quart du IVe siècle

La représentation du couple de défunts est une pratique de l’art funéraire antique qui s’est perpétuée chez les chrétiens jusqu’au Ve siècle.
Le défunt et la défunte sont représentés au centre du sarcophage dans un médaillon en coquille avec le vêtement de haut dignitaire romain et tenant le parchemin faisant référence soit à la connaissance de la loi divine, soit à celle de la culture classique.
Les premiers chrétiens ont réutilisé des thèmes iconographiques romains en leur donnant des significations nouvelles à travers les premiers symboles chrétiens.


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Détail du médaillon central. Musée de l’Arles Antique

La femme pose sa main sur l’épaule de son mari. Symboliquement cette scène évoque la concorde conjugale, l’image du mariage idéal et de la fidélité, mettant en avant les vertus du défunt.
Les décors des sarcophages représentent plusieurs compositions.
A gauche le sculpteur a représenté la guérison du paralytique ( personnage assis sur un lit ) ; à droite, les scènes évoquent, d’une part, la guérison de l’aveugle -né amené devant Jésus qui tourne son visage vers lui et, d’autre part, le miracle de la cananéenne qui touche le manteau du Christ, lequel étend la main sur elle.

✏︎ L’iconographie de l’époque romane révèle, quant à elle, deux types de représentation : d’une part, le corps mort exposé sur un lit lors des funérailles, d’autre part, l’évocation de l’âme élue emportée par des anges aussi bien que celle de l’âme réprouvée que des diables monstrueux saisissent.
* Lorsque l’ultime instant approche, le mourant joint les mains. S’il est trop faible pour le faire, c’est l’épouse ou un moine qui lui fait prendre cette posture précise Jean Verdon ( 2015, p. 363 ). Après l’absoute le corps était enveloppé dans un drap, en laissant souvent le visage découvert.
A défaut d’image sculptée de la mort d’un laïc l’iconographie médiévale montre la mort de religieux.


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Chapiteau intérieur encastré à mi-hauteur de colonne au XIIIe. Eglise de Cunault, XI-XIIe siècles Maine-et-Loire.

Saint-Philibert sur son lit de mort le visage à nu et les mains jointes. Ses frères en religion, avec l'abbé à leur tête, l'accompagnent. Noter la main de Dieu dans l'angle supérieur gauche.

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Collégiale Saint-Hilaire-le-Grand, Poitiers, Vienne. Côté nord de la nef, XI-XIIe s. Ce chapiteau, couramment dit " de la mort de saint Hilaire ", présente deux scènes. L’imagier entend, au-delà du seul registre terrestre, évoquer le passage de la mort à la vie nouvelle. Au premier niveau, un défunt est étendu sur son lit, le visage découvert, veillé de part et d'autre par des moines lisant leurs prières.
Avant d'être représentée d'une façon générale sous la forme d'un jeune enfant nu, l'âme a pu l'être sous la forme du corps nu du défunt ; c’est le cas ici. Alors que le mort du premier niveau est habillé, comme rattaché au sol par son lit, son " double " est nu, libéré de ses attaches terrestres et accompagné par deux anges vers la main du Père qui appelle à Lui le défunt. Le déploiement des ailes des anges, les plissés des draperies donnent l’impression d’un mouvement ascendant.
A noter la pomme de pin tout à fait à droite au-dessus de la tête d'un moine. Peu putrescible, évocation de longévité dans l'art roman, la pomme de pin est ici signe de la vie éternelle.

* A l’époque romane le corps en tant que tel n’existe pas. L’âme lui est toujours étroitement associée et le souci de l’au-delà est largement partagé. L'imagerie fait appel à des métaphores que leur extrême simplicité empêche fréquemment de remarquer.
Les tailleurs de pierre médiévaux figuraient fréquemment l'âme humaine sous les traits d'un petit enfant nu. Si un mourant laisse échapper son âme par la bouche sous la forme d'un tel petit être, c'est parce qu'il pousse un dernier soupir et parce que la mort est une " nouvelle naissance " post-mortem.
Les scènes suivantes sont explicites à cet égard.

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Chapiteau de la nef, basilique Sainte Marie-Madeleine, Vézelay, Yonne

La mort du mauvais riche. Pendant que ses besaces sont mangées par des vers, des démons essaient à mains nues ou avec une pince d'extraire l'âme du riche. C'est nue que l'âme s'échappe de la bouche du mourant qui agonise. Elle est expirée par le mourant- d’où sans doute l’expression courante : rendre l’âme.

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Abbaye Saint-Pierre, Moissac, Tarn-et-Garonne.
La mort du pauvre Lazare, aux plaies léchées par des chiens, prototype de la mort du juste, est souvent représentée.

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Abbaye Saint-Pierre, Moissac, Tarn-et-Garonne.

A sa mort, le mauvais riche alité, le visage découvert va directement dans les lieux infernaux.

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Ancienne collégiale de Besse -et -Saint-Anastaise, Puy-de-Dôme.

Allongé sur son lit de mort le mauvais riche voit son âme extirpée par des démons pour être conduite en enfer.

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Eglise de Semur-en-Brionnais, Saône-et-Loire

Ici c’est assis qu’un riche personnage va mourir ; son âme est extraite de sa bouche par un des trois démons qui attendent sa mort.
De rares représentations de funérailles.
✏︎ C’est à l’abbatiale d’Airvault dans les Deux-Sèvres que l’on trouve un chapiteau évoquant une procession mortuaire : des frères du chanoine défunt emmènent un de leur confrère décédé vers l’église ou le lieu d’inhumation.

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Eglise abbatiale Saint-Pierre d'Airvault, Deux-Sèvres.

Un corps étendu sur un brancard - sans doute celui d'un religieux augustin de l'abbaye - est porté par deux de ses frères en religion.

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Eglise abbatiale Saint-Pierre d'Airvault, Deux-Sèvres.

Précédent le groupe, portant le corps étendu, un frère tient un bénitier et un livre ( sans doute un psautier ) tandis qu’un autre tient une croix de procession.


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Eglise abbatiale Saint-Pierre d'Airvault, Deux-Sèvres.

Plan rapproché : le défunt, au visage découvert, est revêtu d'un drap mortuaire plissé retombant presque à terre. ( A l’arrière du petit groupe marche l’abbé tenant sa crosse ).

Une composition scénique analogue peut être trouvée pour le transport du corps de saint Etienne, premier martyr, vers Jérusalem après sa lapidation sur un chapiteau de l’église de Lubersac en Limousin.

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Crédit photo: Mossot Commons wikipedia Eglise Saint Etienne de Lubersac, Corrèze.

Le corps du martyr déposé dans le tombeau de Gamaliel fut retrouvé en 415 et transporté à Jérusalem ; sur ce chapiteau reposant sur un brancard il est porté sur les épaules de deux lévites.



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Crédit photo: Mossot Commons wikipedia. Eglise Saint Etienne de Lubersac, Corrèze.

Précédent le groupe, portant le corps étendu, un clerc tient une croix de procession.


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Eglise Saint Etienne de Lubersac, Corrèze.

Un clerc tenant sa crosse clôt la procession.


Mises au tombeau.

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Eglise Saint-Pierre, Melle, Deux-Sèvres.
Le Christ, le visage à nu, apaisé, les yeux clos est encensé par un ange agitant un encensoir. On peut remarquer une lampe suspendue à gauche éclairant l’espace d’un tombeau.

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Eglise Saint-Pierre, Melle, Deux-Sèvres.
Nicodème ( côté gauche ) et Joseph d'Arimathie ( côté droit ) tiennent le Christ. qu’ils s’apprêtent à déposer dans le tombeau orné de figures géométriques. Le corps du Christ est soutenu à l’aide d’une pièce de toile dont les extrémités sont percées d’un trou permettant le passage de la tête des porteurs.


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Abbaye de Saint-Hilaire, Aude, fin XIIe siècle.
L'absidiole du croisillon Sud de l'église romane fortement remaniée dispose d'un possible devant d'autel en marbre du XIIe siècle dont la réalisation est attribuée au fameux Maître de Cabestany : c'est le « sarcophage dit de Saint-Sernin » où sont retracés la vie, le martyr et l'ensevelissement de Saint-Sernin, premier saint patron de l'abbaye.

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Abbaye de Saint-Hilaire, Aude, fin XIIe siècle.

Le côté gauche représente la mise au tombeau de saint-Sernin. Le corps du saint est étendu et soutenu par les deux saintes puelles. Du corps du saint s'élève un enfant dénudé et nimbé qui représente l'âme de Sernin s'extrayant de son enveloppe charnelle et qui s'élève vers le Paradis où elle est accueillie par un ange.
A l'extrême gauche le corps de saint Sernin est béni par deux anges thuriféraires qui déversent de l'encens et par la main de Dieu qui descend du ciel. Sous le tombeau, on aperçoit les femmes qui viennent se recueillir sur la tombe, certainement dans le but d'obtenir guérison ou miracle.

Un détour au-delà des Pyrénées permet d’admirer deux très belles œuvres.

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Cloître de Santo Domingo de Silos, Espagne.
Sur un pilier d’angle Mise au tombeau du Christ en présence des Saintes Femmes.

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La face du Christ est une des plus belles et des plus profondes représentations des signes que laisse sur un visage l'âme partie pour un voyage dans l'ineffable.

C’est à San Juan de Ortega dans la Province de Burgos que l’on peut aussi admirer un tombeau du XIIe siècle.
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Sur le couvercle du sarcophage le saint est sur son lit. Son âme est emportée au Ciel par des anges.

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Détail:sous des arcatures romanes un évêque et des abbés assistent à la montée de l'âme de San Juan de Ortega.

A défaut de pierres tombales les artistes romans ont aussi représenté l’ensevelissement des défunts enveloppé dans un seul suaire.

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Basilique Sainte-Marie-Madeleine, Vézelay, Yonne.

La mort de saint Paul ermite : le cadavre est simplement enveloppé dans son suaire.


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Eglise de Saint-Savin, Vienne.Photographies : © Région Poitou-Charentes, inventaire du patrimoine culturel / J. Bonneau, 2013.
La mort d’Abraham: Isaac et Ismaël ensevelissent Abraham enveloppé dans son linceul.


Les représentations de tombeaux ouverts liés à la Résurrection du Christ peuvent aussi être brièvement mentionnées.


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Réemploi roman de l'église de Saujon, Charente-Maritime

Scène de la Résurrection : un ange est assis sur le tombeau en présence des saintes femmes venues embaumer le corps du Christ. La mort est vaincue ; le Christ est ressuscité.

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Eglise Saint-Martial, Chalais, Charente.

Le Tombeau entrouvert est surmonté d'un dais orné de trois croix pattées. A gauche une Sainte Femme s'agenouille et les deux autres se tiennent debout.

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