Représentations de l'ordre social
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Eglise Saint-Pierre-aux-Liens, Chateauneuf-sur-Charente.
☞ Couples, duos, voisins de corniche
En comparaison avec la Saintonge voisine où les scènes d'étreintes physiques sont relativement nombreuses ce type de composition semble plutôt rare en Charente…
Eglise Saint-Martin, Marthon D'après Père Igor Commons.wikimedia
Une rare représentation de couple.
Eglise Saint-Trojan, Boutiers-Saint-TrojanSaint
Un couple fruste mais attachant.
Eglise Saint-Amant de Boixe
Partenaires aux liens.
Eglise Saint-Denis, Lichères
Dos à do
Eglise Saint-Denis, Embourie
Malgré leur facture fruste ces deux visages de la corniche, attirent par leur juxtaposition le regard .
Eglise Saint-Michel, Saint-Michel-d'Entraygues Réinterprétation XIXe du thème.
Eglise de Voulgezac
Eglise Saint-Denis, Lichères
Quand on dit que les tailleurs de pierre ont de l'imagination…
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Eglise Saint-Martial, Mouton
Voisins de corniche qui ont résisté à l'usure du temps. Le temps passe, nul n' y peut rien.
Eglise Saint-Pierre-aux-Liens, Chateauneuf-sur-Charente.
Réinterprétation XIXe du thème.
☞Des aspects allusifs de l'ordre social
Extrêmement structurée, la société médiévale se présente comme fortement codée. Elle s'organise autour de trois groupes inégaux : ceux qui prient, ceux qui se battent et ceux qui travaillent.
Quelques modillons permettent de saisir, autant que faire se peut, les signes distinctifs du rang social, les attributs définissant la fonction, les instruments et les gestes caractéristiques de l'activité pratiquée.
Eglise Saint-Hilaire, Péreuil
Prélat tenant sa crosse : abbé, évêque ?
Eglise Saint-Trojan, Boutiers-Saint-Trojan
Homme d'armes habillé de pied en cap.
Eglise Saint-Sébastien, La Rochette
Tête d’homme qui semble protégée par un casque et une mentonnière.
Eglise Saint-Michel, Angeau
Un homme brandissant un outil de travail du type masse.
Eglise Saint-Pierre-aux-Liens, Chateauneuf-sur-Charente.
Femme guimpée assise sur un tabouret portant une marmite.
Eglise Saint-Pierre-aux-Liens, Chateauneuf-sur-Charente.
Enfant emmailloté à la manière médiévale ; faut-il rappeler que cette manière de vêtir le nouveau-né et l'enfant en bas-âge s'est perpétuée longtemps.
☞ De l'ivrognerie et de sa dénonciation
Eglise Notre-Dame, Courcôme.
Dans l'imagerie romane la gula ( la gueule ) est associée à la luxure. L'ivrognerie, comme la gloutonnerie, est dénoncée au motif que le souci excessif du corps conduit à négliger la dimension spirituelle de l'homme.
Eglise Saint-Martin, Ventouse
L'ivrogne et son tonnelet.
Eglise Saint-Barthélemy, Raix
Un joyeux luron buvant à même le tonnelet.
Eglise Saint-Barthélemy, Raix
Ces modillons de type gula sont souvent dans le voisinage d'êtres luxurieux ainsi qu'on peut l'observer sous cette corniche; ils représentent une dénonciation de l'ivresse et la marque du péché.
☞Musiciens, Acrobates, Baladins
Bateleurs, acrobates, danseurs et musiciens, manipulateurs de balles et d’épées, équilibristes ou escamoteurs offraient aux hommes et aux femmes de l'époque médiévale leurs principales distractions.
Force est de constater que ces activités ont toujours posé problème aux instances religieuses - papes et évêques - tout au long du Moyen Âge. Les musiciens et jongleurs étaient considérés par les moralistes comme des suppôts du diable.
Dans la pensée dominante de l'époque musique profane et danse demeurent des activités pouvant induire des attitudes indécentes, pouvant mener au péché de chair ; à ce titre, la danse comme la jonglerie n’accéderont jamais à la dignité aux yeux de l’Eglise médiévale qui condamne les contorsions et les gesticulations corporelles dans lesquelles elle voit des manifestations de désordre, de trouble et de vanité.
En bref, ces prouesses sont réprouvées car purement physiques et non spirituelles, elles peuvent conduire à des comportements déplacés.
✏︎Musiciens
Les instruments les plus fréquemment représentés sont d'ordinaire la harpe-psaltérion, la vièle et, un peu moins souvent, le cor, la flûte et le chalumeau.
Dans le petit peuple des modillons charentais c'est le psaltérion ou la harpe tenus devant eux par les instrumentistes que l'on observe le plus souvent.
Eglise Saint-Georges, Cherves-Richemont
Eglise Saint-Jacques, Conzac
Eglise Saint-Gervais et Saint-Protais, Pérignac
Eglise Saint-Jean, Bourg-Charente
Eglise Saint-Jean, Bourg-Charente
Eglise Saint-Jean, Bourg-Charente
✏︎Acrobates
Les jongleurs sont des personnages qui dansent sur les mains, se renversent, se contorsionnent et se désarticulent. Les corps dits « en ponts » des contorsionnistes formaient des figures acrobatiques qui ont envahi quelques chapiteaux mais surtout les corniches des toitures.
Les représentations de ces personnages masculins ou féminins contorsionnés ou culbutés pieds en l'air épousent le volume et la forme des modillons.
Au-delà de la manifestation d'une performance physique bien réelle ces figures contorsionnistes recèlent bien souvent un caractère métaphorique. Une fois encore c'est la réprobation d'un comportement qui est implicite. Les acrobates amuseurs étaient considérés de façon négative par les moralistes en raison de leurs contorsions.
P. Y. Le Prisé rappelle quelques vers fort éclairants d'un poète anonyme du XIIe siècle :
"…Leurs actions sont à ras de terre
Et leur cœur veut d'abord la terre
Tandis qu'ils ont les pieds en l'air" (2010, p.255 ).
Eglise Saint-Cybard, Rivières
Eglise Saint-Trojan, Boutiers-Saint-Trojan
Eglise Saint-Trojan, Boutiers-Saint-Trojan
Eglise Saint-Pierre-aux-Liens Chateauneuf-sur-Charente.
Cette image fait partie des modillons refaits au XIXe siècle à la façon médiévale. On a pu voir dans cet homme contorsionné les pieds sur la tête la caricature de Paul Abadie, l'architecte qui a présidé aux restaurations de la façade de l'église.
Eglise Saint-André, Ruffec
Deux personnages tête-bêche : en position parallèle et en sens inverse, l'un a la tête du côté où l'autre a les pieds.
Eglise Saint-Jean, Bourg-Charente;
Composition scénique de baladins complète : dans ses figures contorsionnistes l'acrobate est accompagné d'un musicien.
L' évocation d'un péché sur un modillon comporte souvent dans le voisinage d'autres pierres représentant des créatures symbolisant la chute d'un corps vers les lieux infernaux ou évoquant un châtiment par un personnage en train d'être dévoré par un être monstrueux et démoniaque.
Cette hypothèse interprétative peut être illustrée par les deux ensembles sculptés suivants.
Eglise Saint-André, Ruffec
Métope de la corniche de la façade : homme barbu, tenant une crosse d'une main et relevant ses habits de l'autre. Quelle signification faut-il voir dans ce personnage exhibant fesses et parties génitales ? Est-ce une dénonciation de la sexualité d'un évêque ? Le modillon du tombeur chutant la tête la première qui jouxte cette représentation peut illustrer la condamnation aux puissances infernales pour une faute commise par ce religieux …
Eglise Saint-Pierre-aux-Liens, Chateauneuf-sur-Charente.
On peut voir dans cette scène de dévoration une évocation symbolique de la condamnation des pratiques " bizarres " des saltimbanques.
Sera-t-on jamais ce qu'ont voulu signifier réellement les imagiers romans : dénonciation ? simple fonction de marges ?
A défaut de document laissant entendre le sens exact qu'il convient de leur donner, les interprétations de ces sculptures resteront toujours délicates. Il est indéniable qu’une certaine ambiguïté symbolique marque parfois les scènes de jonglerie : est-on en présence de pures scènes de baladins à vocation décorative ou une intention symbolique doit-elle être reconnue dans ces compositions?
Ainsi, certains exercices de contorsionnisme peuvent être vus comme de simples exercices de souplesse ou considérés au second degré comme une manifestation de valeurs négatives, voire aussi dans une autre perspective métaphorique comme une entreprise délicate de projection en l’air de la partie basse du corps symbolisant un effort pour changer radicalement, en d’autres termes une tentative de « retournement intérieur ? » de l'être humain.
Peut-être est -il possible de considérer que les images les plus complexes peuvent être porteuses de significations différentes selon les niveaux divers d'interprétation, des plus simples aux plus érudites, où l'observateur se situe !!
Entre manifestation de la culture populaire et expression multiple de symboles plusieurs points de vue demeurent possibles ; ils ne sont d'ailleurs pas forcément contradictoires.
Compte tenu qu'on ne sait pas, la plupart du temps, ce qu'ont voulu exprimer exactement les imagiers romans il est difficile de donner une signification univoque à des figures médiévales qui resteront par définition ambivalentes, polysémiques. Au final, il se pourrait que certaines images ne puissent être véritablement appréhendées qu'à des niveaux de lecture différents...
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