Scènes licencieuses
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D'autres types de modillons soulèvent encore plus d'interrogations que les catégories précédemment étudiées n'en ont posées. Il s'agit de scènes représentant des personnages masculins et féminins qui n'hésitent pas à offrir au regard ce qui est d'ordinaire caché chez l'être humain.
Eglise Saint-André, Ruffec
Les églises romanes qui ont conservé des modillons authentiques possèdent souvent des exemples d'exhibitionnisme anal ou génital. Les représentations du corps humain, ou ici plus strictement des attributs sexuels des êtres humains, sont en nombre dans la sculpture romane. Il en est ainsi de ces figurations féminines absolument directes exhibant leur béance et de ces figures masculines exposant leur virilité qui ne paraissent pas pour autant faire intervenir de condamnation.
- ☞ Sur la condition terrestre de l'homme.
Eglise Saint-Denis, Lichères
Ici, c'est toute la partie inférieure du corps qui est exposée au regard ; la dimension terrestre de la condition humaine est mise sans détour en évidence.
Eglise Saint-Michel, Saint-Michel-d'Entraygues
- Variante de l'exhibitionnisme anal.
Eglise Sainte-Colombe, Sainte-Colombe
Principe masculin dans sa plus simple expression.
Eglise Saint-Martial, Mouton
Variante, mais le membre viril du personnage a connu la colère d'observateurs...
Musée SAHC
Un petit bonhomme montrant ses fesses, ses testicules et dont la tête est retournée vers les passants.
✏︎ Une virilité avantageusement exhibée
Eglise Saint-Georges, Cherves-Richemont
Homme dans le plus simple appareil. Modillon au phallus : réminiscence de l'emblème mythologique de la fécondité et de la puissance reproductrice de la Nature ? En tout cas il est fier d'exposer sa virilité.
Eglise Saint-Barthélemy, Raix
Un homme dans le plus simple appareil très stylisé en position d'atlante regarde au loin. L'écartement de ses jambes laisse entrevoir ostensiblement son sexe.
Eglise Saint-Pardoux, Barret
Bien doté par la nature...
Eglise Saint-Gervais et Saint-Protais, Pérignac
Homme tout à ses préoccupations montrant sa virilité.
Eglise Saint-Trojan, Boutiers-Saint-Trojan
Encore de belles protubérances masculines
Eglise Saint-Martin, Gensac-la-Pallue
- L'homme, nu, tient son phallus avec ses deux mains.
Eglise Saint-Jacques, Conzac
Scène d'auto-fellation.
✏︎Association de la gula et de la luxure
- Le modillon du buveur dans le plus simple appareil symbolise deux péchés: la beuverie et le péché de la chair. Un personnage, la tête rentrée dans les épaules, tient son tonnelet ; ses jambes écartées laissent voir ses attributs masculins.
On est en présence d'une variante du modillon du glouton mangeur de galette. L'abus d'alcool peut être à l'origine de bien des écarts de conduite. De la bonne chère à la chair il n'y aurait qu'un pas vite franchi...; à trop accorder d'importance au corps l'homme risque d'oublier une dimension majeure de son existence.
Eglise Notre-Dame, Courcôme.
- La luxure est parfois associée à la gula ( la gueule ); autrement dit, péché de chair, bonne chère et beuverie peuvent être mêlés. Le souci excessif du corps conduit à négliger la dimension spirituelle de l'homme. A cet égard les individus aux comportements déviants - gloutonnerie, beuverie, luxure - servent dans l'imagerie romane de contre-modèles.
✏︎L'exhibition sexuelle animalière
Si l'on se souvient que l'imagerie romane, même s'il s'agit de bêtes fantastiques, concerne l'homme, elle tend à mettre ce dernier en garde contre certains dangers et vise son développement spirituel ; on ne s'étonnera donc pas de la place accordée ici aux compositions animalières.
Eglise Saint-Sébastien, La Rochette
Le recours à un bestiaire naturaliste ou monstrueux comme ici présente une dimension allégorique qui permet à l'artiste d'évoquer symboliquement des comportements accordant une trop grande place à la part animale de l'homme aux dépens de la croissance de sa part spirituelle.
☞Exhibitionnisme au féminin
Malgré la libre créativité des tailleurs de pierre la norme édictée par l'Eglise, source majeure des valeurs morales, exerça une franche influence sur le haut degré de méfiance qui entourait les femmes à l'époque romane.
La séduction féminine semblait représenter quelque chose de dangereux selon l'éthique dominante de l'époque révélée par la littérature du temps. Or, les textes médiévaux sont pour une grande part l’œuvre de religieux écrivant pour d’autres clercs formés pour avoir une défiance envers la gent féminine, considérée comme tentatrice, corruptrice… La luxure étant un péché inséparable de la femme dans la pensée chrétienne du temps !!!
Les exhibitions sexuelles de la Charente comme du Poitou et de la Saintonge ne sont pas uniques dans l'imagerie romane. On en trouve en grand nombre à l'échelle internationale comme en Irlande et au Royaume-Uni ( les fameuses Sheela-na-gigs ) et en France comme dans le Mauriacois.
✏︎Principe féminin et gueule d’enfer
Les commanditaires religieux, qui avaient élevé la misogynie au niveau de principe moral, ont dicté les canons de ce genre de caricature : la vulve de la femme est un endroit aussi périlleux pour l'homme que la gueule béante de l'Enfer qui avale les âmes pécheresses et les mène aux lieux infernaux.
L'assimilation biblique entre l'enfer, gueule dévorante, et l'anatomie féminine est le fait du livre des Proverbes : " il y a trois choses insatiables et une quatrième qui ne disent : "Assez " : le sheol, le sein stérile, la terre que l'eau ne peut rassasier, le feu qui jamais ne dit : 'Assez ". ( Des traductions n'hésitent pas à remplacer plus explicitement le " sein stérile " par la " bouche de la vulve" ).
L'imagerie médiévale fait ainsi un large usage du rapprochement entre le sexe féminin et l'enfer, le vagin étant perçu, d'un certain point de vue, comme lieu du mal, béance vorace conduisant à la mort éternelle. Pour le moine la femme est fréquemment considérée comme presque aussi dangereuse que le diable dont elle est souvent l'instrument.
✏︎De quelques représentations
Prieuré Saint-Maurice, Montbron
La femme, nue, tient ses jambes écartées.
Eglise Saint-Barthélemy, Raixr
Représentation d'une femme offerte.
Eglise Saint-André, Ruffec
Entre deux métopes un modillon comporte une belle figuration féminine offrant son intimité à la vue de tous.
☞ Quel sens pour ces compositions exhibitionnistes ?
Quel pouvait être le sens de ces sculptures évoquant de façon très apparente des sexes masculins ou féminins, des scènes d'exhibitionnisme anal que l'on trouve non seulement dans les petites églises rurales mais parfois aussi dans les édifices majeurs, dans un coin discret des corniches mais également parfois offerts à la vue de tous ?
Trivialité, simples évocations réalistes, humour, pure manifestation de la culture populaire, dénonciations de la luxure ou encore réaction de tailleurs de pierre face à des commanditaires mauvais payeurs…?
Avec ces parties intimes de l'être humain explicitement dévoilées, on peut sembler très loin de la béatitude. Or, un édifice roman n'est-il pas d'abord un édifice chrétien et devons-nous pas nous attendre à y trouver des représentations sculptées exprimant une perspective chrétienne du monde ?
On peut penser que les thèmes des sculptures sont d'ordinaire prescrits expressément par le commanditaire. Mais il en est, sans doute moins ainsi pour le petit peuple des modillons que pour les programmes iconographiques ou les motifs symboliques des façades et des chapiteaux.
C'est dans cette perspective générale qu'il convient sans doute d'appréhender les représentations réalistes des parties sexuelles des êtres humains qui peuvent paraître osées, crues, grivoises, érotiques, obscènes ; dans quelle mesure et à quel point l'étaient-elles pour les imagiers du Moyen Age ?
A défaut de document laissant entendre le sens exact qu'il convient de leur donner, l'interprétation de cet art populaire que constituent les modillons restera toujours délicate.
Entre manifestation de la grossièreté et l'amour de la gaudriole dans le menu peuple, d'une part, et expression de symboles, d'autre part, plusieurs niveaux de lecture de ces images sculptées modillonnaires demeurent possibles.
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