En entrant dans une église, le visiteur pressé jette un regard d’ensemble sur l’architecture, contemple les fresques, s’attarde, s’il est plus averti, sur les chapiteaux historiés après avoir admiré les façades et les tympans, mais pense généralement moins à lever les yeux sous les corniches vers le petit peuple des modillons. Et pourtant…
Sous les toitures les modillons recèlent bien des surprises. Alors que peu d’attention leur est portée les modillons révèlent le talent des imagiers romans et laissent bien des interrogations.
Eglise Saint-Jacques, Conzac, Aulais-la-Chapelle
☞Les modillons sont des blocs de pierre saillants, sculptés de façon grossière ou fine, placés sous les corniches comme pour les supporter.
Ils se présentent comme des figurations fantaisistes, délicates ou frustes, révélant la verve du sculpteur et l'âme d'une époque.
Les modillons relèvent d'un art populaire témoignant aussi bien des préoccupations de la vie courante que de l'imaginaire médiéval. Ils n'en demeurent pas moins d'une grande saveur et d'une belle expressivité. Les modillons expriment une grande diversité. Ils sont soit historiés ( illustrations d'un thème, décorés de scènes à personnages... ), soit purement décoratifs ( motifs géométriques, représentation d'objets d'usage courant, animaux familiers, feuillages...).
Soit qu'ils reflètent la quotidienneté, soit que l'imaginaire s'y s'étale en toute fantaisie, les modillons débordent de vie.
☞Mais, dans l'un et l'autre cas, ce petit patrimoine roman, interrogé dans son profond silence, constitue un riche document d'histoire. Les édifices romans, s'ils ont tendance à devenir un domaine réservé aux historiens de l'art, furent un jour l'expression d'une jaillissante manifestation de vie. C'est cette énergie vitale créatrice que manifeste cet aspect de l'art populaire que sont les modillons. S'il n'est évidemment pas question d'élever l'art des modillons au même rang que celui des supports majeurs que sont les chapiteaux, chevets ou tympans, c'est d'une autre face des sculptures romanes dont il s'agit.
Les modillons constituent un support mineur mais plein de saveur. Parce qu'il demeure une représentation de la culture médiévale, cet art quoique marginal mérite de ne pas être ignoré.
Eglise Saint-Martin, Ventouse
Ce qui frappe dans ce voyage à travers cette sélection de modillons romans charentais c'est la créativité des sculpteurs et la richesse des thèmes qu'ils abordent. Certains par leur présence en ces lieux de culte paraissent au premier abord déconcertants voire choquants; nombre d’entre eux sont à la fois surprenants et touchants.
La naïveté et la gaucherie du style des uns frappe tout autant que l'habileté qui a été nécessaire à la réalisation des autres. Si la verve du tailleur s'est souvent donnée libre cours, sous les toits de ces havres de paix et de salut consacrés à la célébration du Tout Puissant, la liberté d'inspiration semble élevée puisque des scènes licencieuses jouxtent des ornementations florales ou géométriques, des représentations animalières ou monstrueuses aussi bien que des évocations de thèmes religieux, éducatifs, moraux. Ce qui conduit l'homme moderne à s'interroger sur la dimension purement ornementale des modillons ou sur leur éventuelle portée symbolique ?
En l'absence de sources historiques laissées par les sculpteurs romans l'interprétation restera souvent délicate. Les interprétations apportées pour expliquer les créations sont encore bien divergentes. Bien des questions demeurent sans réponse.
Il convient de rappeler d’abord, que les églises, au Moyen Âge, ne sont pas seulement des lieux de culte mais aussi des espaces de rencontres et de vie.
On peut penser qu'il n'y a pas sous les corniches de projet symbolique global comme il peut y avoir des programmes iconographiques entiers sur les tympans ou les chapiteaux. Il semble, en revanche, que certains modillons, considérés séparément, recèlent un message.
Pour d’autres chercheurs les modillons devraient être vus en tant qu’élément autonome de la sculpture romane; ils seraient une manifestation de la culture laïque qui s’écarterait de l’art officiel ecclésiastique. ( On reconnaît la thèse de Nurith Kenaan-Kedarn ).
Pour d’autres encore les imagiers auraient laissé libre cours à leur fantaisie.
Sans doute, faut-il éviter deux écueils dans la lecture des modillons : voir trop ou trop peu. Mesure, cas d'espèce, emplacement et contexte sont des voies d'approche pour le non spécialiste qui veut voyager à travers le temps des pierres.
De nos jours, la force expressive du sculpteur demeure même si son sens plénier n'est pas parfaitement retrouvé. Nos contemporains peuvent au moins se retrouver à ce niveau, même si la mémoire des pierres exprime plus profondément comment une partie de l'humanité s'est un temps définie avec ses problèmes, sa façon de voir et ses tentatives de se perfectionner elle-même ainsi que le monde dans lequel elle se situait.
C'est en privilégiant avant tout leur expression que sera présentée ici une sélection de modillons de la Charente depuis ceux ornant les corniches des édifices les plus prestigieux reconnus et célébrés jusqu'à ceux ornant les toitures de petites églises rurales.
Eglise Saint-Jean-Baptiste, La Couronne
Cette balade nez en l’air dans l’univers des modillons romans charentais entend constituer un espace ludique où plaisir rime avec questionnement et culture.
A côté des modillons authentiquement médiévaux on présentera aussi de plaisantes réinterprétations du XIXe siècle dans la mesure où elles ont été sculptées dans un parti général juste par les restaurateurs à partir des modèles du Moyen-Âge provenant d’églises proches. Les restaurations de Chateauneuf-sur-Charente ou de Saint-Michel d'Entraygues, par exemple, menées sous les directives de l'architecte Paul Abadie, peuvent paraître excessives, voire radicales. Elles confèrent toutefois aux bâtiments une relative harmonie ; elles révèlent l'art roman tel qu'on le percevait au XIXe siècle.
Eglise Saint-Pierre-aux-Liens, Chateauneuf-sur-Charente.
Ces réinterprétations sont réalisées avec ressemblance d'après une inspiration médiévale bien charentaise. Des productions analogues se retrouvent sur d'autres édifices cultuels. Il en était de même au Moyen-Âge. Sans doute y avait-il quelques ateliers qui produisaient en série, à l'époque romane comme au XIXe siècle.
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