Symbolique romane / Créatures monstrueuses
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L'homme moderne est porté à s'interroger sur la dimension purement ornementale des modillons ou sur leur éventuelle portée symbolique. En l'absence de sources historiques laissées par les sculpteurs romans l'interprétation restera toujours délicate.
On peut penser toutefois qu'à l'instar des chapiteaux sculptés, mais dans un espace encore plus contraint, certains modillons, quoique plus rarement, mettent en scène des sujets privilégiés, une petite composition figurée.
A l'époque romane l'église, havre de paix et de salut, était largement considérée comme environnée par des forces menaçantes ; il n'est donc pas surprenant qu'au-delà de la truculence et de la dimension décorative de la plupart des modillons il y en ait certains qui puissent évoquer indirectement les thèmes du Péché, du Mal ou du Châtiment.
S'il n'y a pas sous les corniches de projet symbolique global comme il peut y avoir des programmes iconographiques entiers sur les tympans ou les chapiteaux, il semble, en revanche, que certains modillons, considérés séparément ou en proximité relative les uns des autres, recèlent un message.
Sous les corniches, le petit peuple des modillons manifeste un monde où le réel dans sa quotidienneté la plus banale est côtoyé par un monde de créatures fabuleuses.
On trouve toute une population de modillons réalisés sur la base d'un corps hybride monstrueux. Ainsi la monstruosité des fameuses sirènes repose essentiellement sur l'existence de corps hybrides associant des formes humaines et animales.
Sous les toitures les images de Satan foisonnent. L'homme des temps romans le redoute fortement. Pour lui le monde est marqué par le péché et la vie sur terre est une lutte constante contre la tentation et les œuvres de Satan. Quelle que soit la crédibilité que l'homme moderne lui reconnaît, "l'adversaire", comme on le nomme au Moyen Âge, demeure l'incarnation du Mal. L'homme médiéval le considérait comme omniprésent et toujours capable de se manifester de façon terrifiante à tout moment.
☞ Les « tireurs de langue ou des commissures »
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Quel véritable sens donner à ces types de modillons figurés ?
Une référence à un passage du Livre d'Isaïe peut aussi être faite :
"Mais vous, approchez ici, fils de la devineresse, semence de l’adultère et de la prostituée. De qui vous moquez-vous? Contre qui allongez-vous la bouche, [et] tirez-vous la langue? N’êtes-vous pas des enfants de transgression, une semence de mensonge, vous enflammant avec les idoles sous tout arbre vert, égorgeant les enfants dans les vallées, sous les fentes des rochers? " ( 57-v. 2-4 ) ©tharsei.net
- • Masques humains tirant la langue
Eglise San Martin de Unx
Représentation incongrue ou symbolisation de l'importance de la parole ?
Eglise Santa Maria d'Eunate
Ermitage San Pedro de Etxano
• Masque humain distendant les commissures de ses lèvres
Eglise San Martin de Artaiz
☞ Le monde des créatures fabuleuses
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Sous les corniches, le petit peuple des modillons manifeste un monde où le réel dans sa quotidienneté la plus banale est côtoyé par un monde de créatures fabuleuses.
On trouve toute une population de modillons réalisés sur la base d'un corps hybride fabuleux. Ainsi la monstruosité des fameuses sirènes repose essentiellement sur l'existence de corps associant des formes humaines et animales.
Sous les toitures les images de Satan foisonnent. L'homme des temps romans le redoute fortement. Pour lui le monde est marqué par le péché et la vie sur terre est une lutte constante contre la tentation et les œuvres de Satan. Quelle que soit la crédibilité que l'homme moderne lui reconnaît, "l'adversaire", comme on le nomme au Moyen Âge, demeure l'incarnation du Mal. L'homme médiéval le considérait comme omniprésent et toujours capable de se manifester de façon terrifiante à tout moment.
✏︎Sous les corniches les modillons représentant des êtres monstrueux sont nombreux. Alliant humanité et animalité, ils associent parfois également du végétal: ce sont des représentations dites par hybridation.
Parmi ces créatures hybrides les sirènes retiennent particulièrement l'attention.
Le Moyen Âge a soumis la sirène à une vigoureuse moralisation et à des interprétations qui lui ont attribué une coloration franchement négative. L'hybridation des sirènes associant une forme humaine ( en haut ) et une forme animale ( en bas ) peut être sous-tendue par l'opposition du Haut et du Bas, opposition de la part spirituelle de l'homme et de sa part plus charnelle ? Dans cette perspective la figure de la sirène évoquerait la dramatique erreur de l'homme charnel oublieux de sa dimension spirituelle.
L' image de la sirène devait rappeler la nécessité du combat spirituel que le fidèle devait mener contre la tentation et les forces adverses. Le péril encouru par l'homme roman - invité à pratiquer la vertu - est naturellement d'ordre spirituel : la figure hybride est l'image physique de ce démon intérieur qu'est le vice.
Collégiale cathédrale, Tudela
Sirène-oiseau
Collégiale cathédrale, Tudela
Sirène-oiseau à tête d'homme barbu.
✏︎Autres compositions bizarres
Les tailleurs de pierre ont de l'imagination : une tête aux trois visages, un personnage monté sur le corps d'un animal…
Eglise San Martin de Artaiz
Ces trois visages placés l'un à côté de l'autre attirent le regard par leur juxtaposition et le recours à seulement deux paires d'yeux.
Eglise San Martin de Artaiz
Curieuse superposition !
Collégiale cathédrale, Tudela
Collégiale cathédrale, Tudela
✏︎Figurations diaboliques
Les images du diable et de ses avatars sont fréquentes sous les toitures.
* Les images démoniaques
Le diable revêt une apparence hideuse avec une tête énorme au visage horrifique, des yeux souvent globuleux, une bouche démesurée, grimaçante ou ricanante avec des dents acérées, des oreilles dressées, des cheveux hirsutes, un front parfois cornu …
Satan revêt aussi bien les traits d'animaux réels ou chimériques que des apparences humaines diabolisées au front muni de cornes.
Sous une forme ou sous une autre la nature maléfique du masque bestial s'impose clairement.
Eglise Santa Maria d'Eunate
Ermitage San Pedro de Etxano
Eglise Santa Maria d'Eunate
Eglise de la Magdalena, Tudela
* Scènes de dévoration
Le Malin distille sans répit ses mauvais conseils auprès de l'homme partagé entre sa dimension purement charnelle et sa part spirituelle. En résistant aux appels du grand tentateur le fidèle affirme sa détermination dans son combat spirituel. Mais il peut aussi succomber au Mal comme le montre les nombreuses scènes de dévoration dans lesquelles les personnages sont engloutis par des êtres fantastiques.
Les personnages engoulés par les créatures démoniaques auraient échoué à maîtriser une passion à laquelle ils ont finalement succombé.
C'est dans l'étau d'une démoniaque mâchoire béante que les imagiers romans ont ainsi représenté le malheureux être humain pécheur.
Vestiges de la cathédrale romane primitive de Pampelune, Musée de Navarre
Vestiges de la cathédrale romane primitive de Pampelune, Musée de Navarre
Eglise San Martin de Tours, Orisoain
Une illustration de l'expression " une passion dévorante " ? Les personnages engloutis auraient échoué à maîtriser une passion à laquelle finalement ils ont succombé.
Eglise San Jorge d'Azuelo
Ermitage San Pedro de Etxano
Ermitage San Pedro de Etxano
Un personnage empoigné et dévoré par un animal fantastique. Faut-il voir dans cette scène une évocation symbolique de la damnation ?
Ermitage San Pedro de Etxano
Un être monstrueux en train de dévorer à pleines dents deux pauvres créatures. Ne convient-il pas aussi, en allant plus avant dans une lecture au second degré, de voir une illustrations de l'expression " une passion dévorante " ? Les personnages engloutis auraient échoué à maîtriser une passion à laquelle finalement ils ont succombé ?
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