Représentations de l'ordre social
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☞ Images de couples et autres duos
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Eglise San Martin de Tours, Orisoain
Eglise San Martin de Artaiz
Quelle tendresse émane de cet attachant couple se tenant les mains.
Eglise San Martin de Tours, Orisoain
Curieux traits stylistiques d'un couple par ailleurs attachant…
Eglise San Jorge d'Azuelo
Etreinte physique
Ermitage du Christ de Catalain, Garinoain
Des partenaires étroitement enlacés.
Ermitage du Christ de Catalain, Garinoain
Un couple très uni
Eglise paroissiale d'Eusa
Un couple fruste mais très touchant.
Eglise paroissiale d'Eusa
En fait c'est toute la famille qui est représentée…
Collégiale cathédrale, Tudela
Un singulier duo…
☞ Des aspects allusifs de l'ordre social
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Eglise San Martin de Artaiz
Extrêmement structurée, la société médiévale se présente comme fortement codée. Elle s'organise autour de trois groupes inégaux : ceux qui prient, ceux qui se battent et ceux qui travaillent.
Généralement quelques modillons permettent de saisir, autant que faire se peut, les signes distinctifs du rang social, les attributs définissant la fonction, les instruments et les gestes caractéristiques de l'activité pratiquée. Que trouve-t-on sous les toitures des monuments navarrais ?
☞ Musiciens, acrobates
Bateleurs, acrobates, danseurs et musiciens, manipulateurs de balles et d’épées, équilibristes ou escamoteurs offraient aux hommes et aux femmes de l'époque médiévale leurs principales distractions.
Force est de constater que ces activités ont toujours posé problème aux instances religieuses - papes et évêques - tout au long du Moyen Âge. Les musiciens et jongleurs étaient considérés par les moralistes comme des suppôts du diable.
Dans la pensée dominante de l'époque musique profane et danse demeurent des activités pouvant induire des attitudes indécentes, pouvant mener au péché de chair ; à ce titre, la danse comme la jonglerie n’accéderont jamais à la dignité aux yeux de l’Eglise médiévale qui condamne les contorsions et les gesticulations corporelles dans lesquelles elle voit des manifestations de désordre, de trouble et de vanité.
En bref, ces prouesses sont réprouvées car purement physiques et non spirituelles, elles peuvent conduire à des comportements déplacés.
Eglise San Martin de Artaiz
✏︎Musiciens
Les instruments les plus fréquemment représentés sont d'ordinaire la harpe-psaltérion, la vièle et, un peu moins souvent, le cor, la flûte et le chalumeau.
Instruments à cordes
Dans le petit peuple des modillons de Navarre c'est le psaltérion ou la harpe tenus devant eux par les instrumentistes que l'on observe le plus souvent.
Eglise San Martin de Artaiz
Eglise San Martin de Unx
Ermitage San Pedro de Etxano
Eglise San Martin de Artaiz
Ermitage du Christ de Catalain, Garinoain
Ermitage du Christ de Catalain, Garinoain
Instruments à vent
Ermitage San Pedro de Etxano
Eglise San Martin de Artaiz
Eglise de la Magdalena, Tudela
Un musicien jouant d'une double flûte joliment représentée en détails.
✏︎ Scène de baladins
Eglise San Martin de Tours, Orisoain
Composition scénique complète de baladins : dans ses figures contorsionnistes l'acrobate est accompagné d'un musicien.
Les jongleurs sont des personnages qui dansent sur les mains, se renversent, se contorsionnent et se désarticulent. Les corps dits « en ponts » des contorsionnistes formaient des figures acrobatiques qui ont envahi quelques chapiteaux mais surtout les corniches des toitures.
Les représentations de ces personnages masculins ou féminins contorsionnés ou culbutés pieds en l'air épousent le volume et la forme des modillons.
Au-delà de la manifestation d'une performance physique bien réelle ces figures contorsionnistes recèlent bien souvent un caractère métaphorique. Une fois encore c'est la réprobation d'un comportement qui est implicite. Les acrobates amuseurs étaient considérés de façon négative par les moralistes en raison de leurs contorsions.
P. Y. Le Prisé rappelle quelques vers fort éclairants d'un poète anonyme du XIIe siècle :
Leurs actions sont à ras de terre
Et leur cœur veut d'abord la terre
Tandis qu'ils ont les pieds en l'air" (2010, p.255 ).
Saura-t-on jamais ce qu'ont voulu signifier réellement les imagiers romans : dénonciation ? simple fonction de marges ? des créatures symbolisant la chute d'un corps vers les lieux infernaux ou évoquant un châtiment par un personnage en train d'être dévoré par un être monstrueux et démoniaque.
A défaut de document laissant entendre le sens exact qu'il convient de leur donner, les interprétations de ces sculptures resteront toujours délicates. Il est indéniable qu’une certaine ambiguïté symbolique marque parfois les scènes de jonglerie : est-on en présence de pures scènes de baladins à vocation décorative ou une intention symbolique doit-elle être reconnue dans ces compositions ?
Ainsi, certains exercices de contorsion peuvent être vus comme de simples exercices de souplesse ou considérés au second degré comme une manifestation de valeurs négatives, voire aussi dans une autre perspective métaphorique comme une entreprise délicate de projection en l’air de la partie basse du corps symbolisant un effort pour changer radicalement, en d’autres termes une tentative de « retournement intérieur ? » de l'être humain.
Peut-être est -il possible de considérer que les images les plus complexes peuvent être porteuses de significations différentes selon les niveaux divers d'interprétation, des plus simples aux plus érudites, où l'observateur se situe !! Entre manifestation de la culture populaire et expression multiple de symboles plusieurs points de vue demeurent possibles ; ils ne sont d'ailleurs pas forcément contradictoires.
Compte tenu qu'on ne sait pas, la plupart du temps, ce qu'ont voulu exprimer exactement les imagiers romans il est difficile de donner une signification univoque à des figures médiévales qui resteront par définition ambivalentes, polysémiques. Au final, il se pourrait que certaines images ne puissent être véritablement appréhendées qu'à des niveaux de lecture différents...
✏︎ Evocation de l'âne musicien
Dans l'art roman, ce ne sont pas seulement les hommes qui jouent de la musique, mais aussi les animaux. L’âne tenant une lyre est fréquemment figuré tant sur des chapiteaux que sur des modillons.
Collégiale cathédrale, Tudela
Ce thème de l’âne musicien, évoquant couramment l’ignorance d’un lourdaud prétentieux, est fréquent dans le bestiaire roman.
Il joue le plus souvent de la rote ou harpe-psaltérion et, dans quelques cas, de la vièle ou de la cithare. Ce thème de l’âne musicien était déjà représenté à Ur en Mésopotamie, 3 000 ans avant notre ère. Une fable de Phèdre, écrite au 1er siècle de notre ère, en donna une version.
" L'âne, voyant une lyre abandonnée par terre dans une prairie, s'approcha et essaya les cordes avec son sabot, elles résonnèrent dès qu'il les toucha : " joli instrument parbleu, mais c'est mal tombé dit l'âne, car je ne sais pas en jouer. Si quelqu'un de plus savant l'avait trouvé, il eût charmé les oreilles par de divines mélodies ".
Reprise par Boèce au VI e siècle, l’histoire se modifie et prend un sens chrétien. Un âne, dans une prairie, voit une lyre abandonnée par terre et essaye d’en jouer de ses sabots. Il reconnaît son ignorance et estime qu’un plus savant que lui pourrait mieux en jouer. Boèce y voit le symbole de l'ignorance devant la philosophie.
L’âne caressant de ses sabots les cordes de son instrument c’est d’abord une scène drolatique. Cependant ce thème n’est pas un pur amusement d’imagier, un sens peut lui être implicitement associé. On peut dire, ensuite, que la musique, sacrée ou profane, est une activité propre à l’être humain. Dans la mesure où l’on fait jouer un instrumentiste animalier le pas est franchi entre le genre humain et le monde animal.
Dans la pensée chrétienne l’animal musicien symbolise l’ignorance prétentieuse et la paresse spirituelle au lieu et place de la recherche zélée du Tout Autre.
Dans les termes de Madeleine Zeller l’âne musicien « est l’emblème de l’homme charnel, qui ne peut pas comprendre ce qui vient de l’Esprit de Dieu, contrairement à l’homme spirituel qui est animé par le désir de l’Esprit ». Une relation étroite unit la propension aux plaisirs de la chair et la paresse spirituelle.
En bref, la discordance voulue entre l’instrumentiste animalier et la musique sacrée traduit une opposition frappante de type parodique entre la nature animalière des musiciens et la musique sacrée que les instruments à corde ou à vent doivent produire.
Le sujet de l’âne à la lyre ou de l’animal musicien invite, sur le mode de l’humour, le chrétien à maîtriser ses comportements et l’exhorte à suivre la voie étroite permettant de progresser sur « l ’échelle du Salut » en vue de la cité céleste.
☞ De l'ivrognerie et de sa dénonciation
Dans l'imagerie romane l'ivrognerie, comme la gloutonnerie, est dénoncée au motif que le souci excessif du corps conduit à négliger la dimension spirituelle de l'homme.
La luxure est parfois associée à la gula ( la gueule ); autrement dit, péché de chair, bonne chère et beuverie peuvent être mêlés. Le souci excessif du corps conduit à négliger la dimension spirituelle de l'homme. A cet égard les individus aux comportements déviants - gloutonnerie, beuverie, luxure - servent dans l'imagerie romane de contre-modèles.
Eglise paroissiale de Larumbe
Un joyeux luron buvant à même le tonnelet.
Eglise paroissiale de Larumbe
L'ivrogne et son tonnelet.
Ermitage San Pedro de Etxano
Variante du buveur à même le baril.
Ermitage San Pedro de Etxano
La scène se répète sous cette corniche.
Eglise Santa Maria la Real, Sanguesa
Variante sur ce célèbre monument.
☞Autres représentations
Eglise San Martin de Tours, Orisoain
Porteur de tonnelet.
Ermitage San Pedro de Etxano
Homme à la clef.
Eglise San Martin de Artaiz
Un homme d'armes habillé de pied en cap côtoie une métope représentant un combat de chevaliers.
Eglise de la Magdalena, Tudela
Tailleur de pierre avec ses outils : ciseau et maillet. C'est probablement l'autoportrait du sculpteur.
Eglise de la Magdalena, Tudela
Nature exacte du métier représenté ? L'hypothèse généralement admise est une représentation d'un paysan avec un couteau de taille et un panier de récolte.
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