A la fin des temps : les élus
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Dans le Sermon sur la montagne c'est avant tout l'impératif de l'amour de Dieu et d'autrui qui est mis en avant et c'est avec des métaphores variées - moisson, festin auquel on est admis ou pas…- que le Jugement dernier est évoqué par le Nouveau Testament.
Détail du tympan de la cathédrale Saint Lazare, Autun, Saône et Loire.
☞Repères documentaires
A la droite du Christ sont figurées les âmes des élus !
Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite :"Venez ,les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j'avais faim et vous m'avez donné à manger; j'avais soif, et vous m'avez donné à boire ; j'étais un étranger, et vous m'avez accueilli ; j'étais nu, et vous m'avez habillé ; j'étais malade, et vous m'avez visité ; j'étais en prison, et vous êtes venus jusqu'à moi".
Alors les justes lui répondront :"Seigneur, quand est-ce que nous t'avons vu…? tu avais donc faim, et nous t'avons nourri ? tu avais soif et, et nous t'avons donné à boire ? tu étais étranger et nous t'avons accueilli ? tu étais nu, et vous t'avons habillé ? tétais malade ou en prison.Quand sommes-nous nus jusqu'à toi? Et le Roi leur répondra : "Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait !" Matthieu 25, 34-40
Le Christ se solidarise avec la condition des plus pauvres, ces hommes et femmes humbles. Le juge divin qui vient auréolé de gloire procéder au jugement des populations, nations et de chacun demande à être identifié dans la figure des plus humbles.
Une double conséquence peut être tirée : d'une part, l'indifférence est honnie, le salut se joue devant la misère d'autrui, de l'autre, les actes évoqués sont d'une grande simplicité. Nulle nécessité d'une connaissance approfondie de la Bonne nouvelle pour répondre à ces exigences posées par le juge divin. Il n'est pas davantage possible d'invoquer son incompétence, son manque d'instruction.
Le programme de vie proposé s'appuie sur la satisfaction des besoins de base de tous. Ce que Daniel Marguerat résume fortement en disant que la seule question qui nous sera posée sera : avons-nous été humains ? " (2012, p. 109).
En fait c'est l'orientation du cœur qui compte plus que d'être riche ou démuni de biens matériels.Le vrai pauvre au sens évangélique est celui qui vit les Béatitudes. La vraie pauvreté libère le cœur pour aimer totalement.
La valeur de l'être se confond avec celle de ses œuvres comme en témoignera plus tard la mère de François Villon dans " la ballade pour prier Notre-Dame ":
"A votre Fils dites que je suis sienne ;
De lui soient mes péchés abolus ;
Femme je suis pauvrette et ancienne,
Qui riens ne sais ; oncques lettres ne lus.
Au moutier vois, dont suis paroissienne,
Paradis peint, où sont harpes et luths,
Et un enfer où damnés sont boullus :
L’un me fait peur, l’autre joie et liesse.
…En cette foi je veuil vivre et mourir."
La grande et curieuse interrogation des théologiens médiévaux !
La grande question que se posaient les théologiens du Moyen Âge était la suivante : sachant que le corps, vecteur de la faute originelle et des vices est aussi le corps des vertus et du salut, les corps des justes et des réprouvés doivent-ils être représentés nus ou habillés ?
L'évêque Honorius d' Autun au XIIIe siècle en est un bon témoignage : " les saints seront-ils habillés ou nus ?
"
La solution la plus purement théologique est celle de la nudité puisque, après le Jugement dernier le péché originel sera effacé pour les élus. Cette thèse est fortement soutenue par saint Augustin au motif de l'innocence retrouvée et de la totale absence de honte. Le vêtement étant un effet de la Chute, il n'est pas utile de le montrer.
Pour d'autres, en revanche, la nudité est moins affaire de théologie que de pudeur et de sensibilité.
Les deux positions méthodologiques sont soutenues et soutenables.
Les divers ateliers de sculpture ont témoigné dans la pierre, à leur façon et avec leur style propre, de ces interrogations et de ces positions.
Les justes seront le plus fréquemment représentés habillés lors de leur accession à la béatitude céleste, le vêtement figurant en quelque sorte leur corps glorieux. Les réprouvés conserveront, en revanche, le plus souvent, dans les tourments infernaux l'état de nudité qu'ils avaient à la sortie du tombeau.
En dernière analyse si l'iconographie chrétienne sur le paradis est moins riche que celle du monde infernal, elle a fait cependant l'objet d'une belle inventivité figurative malgré la grande sobriété avec laquelle les Ecritures évoque le " royaume des cieux".
☞La sculpture des façades
** Corps glorieux sur la façade de la cathédrale Saint Lazare, Autun, Saône-et-Loire.
Détail du tympan. En haut, à droite de la Jérusalem céleste est représentée la mère du Christ.
Des apôtres, les yeux tournés vers le Christ ; saint Pierre tourne le dos au petit groupe pour conduire un juste au Paradis.
Détail du tympan.La Jérusalem céleste représentée par des arcades.
Détail du tympanEn haut à droite de la Jérusalem céleste est représentée la mère du Christ.
Notons que le discours des clercs autour du thème de la nudité, de la honte et du péché d'ordre sexuel a si fortement imprégné les mentalités que les tailleurs de pierre, malgré les textes théologiques, ne se sont pas résolus à ne pas habiller les justes.
Ces images de fin des temps sont réalisées en référence à des comportements de la vie courante. Ainsi la représentation des corps des justes - nus ou habillés - se fait en recourant aux types du saint, du pèlerin. Parmi les bons on observe un pèlerin de Jérusalem et un jacquet avec la fameuse coquille sur son havresac.
Au sein de la cohorte des élus, au regard tourné vers la Jérusalem céleste, se remarquent des abbés portant leur crosse.
** Corps glorieux sur la façade de Saint-Trophime d'Arles, Bouches-du-Rhône.
Un ange présente à Abraham, Isaac et Jacob l'âme des élus sous la forme d'un petit enfant.
Dans la cohorte des justes on note des prélats portant une mitre et un voile sur les mains, des prêtres, des hommes et des femmes de toute condition. Notons que le discours des clercs autour du thème de la nudité, de la honte et du péché d'ordre sexuel a si fortement imprégné les mentalités que les tailleurs de pierre, malgré les textes théologiques, ne se sont pas résolus à ne pas habiller les justes.
** Corps glorieux sur la façade de Sainte-Foy, Conques, Aveyron.
Corps glorieux sur la façade de Sainte-Foy, Conques, Aveyron.
Dans la Jérusalem céleste règne l'ordre et la sérénité paradisiaque.
Au centre, siège Abraham tenant dans ses bras deux enfants. Des personnages groupés par paire sous chaque arcade : les vierges sages avec leurs lampes, les saintes femmes, les martyrs et leurs palmes, les prophètes et las apôtres tenant le Livre.
Au niveau supérieur, sainte Foy agenouillée devant la main de Dieu.
Sainte-Foy, Conques, Aveyron.
Un ange accueille les élus à la porte bien décorée du paradis.
** Corps glorieux sur la façade de l'ancienne chapelle de Perse, Espalion, Aveyron.
© Crédit photo : père Igor.
Détail du linteau : Sur le bloc monolithe du linteau du portail est représenté le paradis. A l'extrême gauche du Christ, dans sa mandorle entouré du tétramorphe, des anges emmènent une âme vers le ciel.
Le même type de représentation se retrouve sur le tympan du jugement dernier de l' église de Santa Maria la Real, Sanguesa, Navarre, Espagne.
Eglise de Santa Maria la Real, Sanguesa, Navarre, Espagne.
Pureté et joie émanent de trois personnages vêtus qui ont passé avec succès l'épreuve de la pesée des âmes réalisée sous les auspices de saint Michel. En revanche, de l'autre côté, figurent d'horribles têtes bouches ouvertes montrant les dents.
☞La sculpture des chapiteaux n'est pas en reste, à en juger par la sélection de jugements derniers ci—dessous.
Pour les chrétiens l'aspiration au salut éternel se concrétise dans la vision de la Jérusalem céleste "ayant la clarté de Dieu" et "ne manquant ni de Soleil ni de Lune". À la fin des temps, le livre de l'Apocalypse laisse espérer la descente de la Jérusalem céleste sur Terre. Ces figurations qui prirent la forme d'une église, d'un palais ou d'une ville entière reposent sur la transposition de l'église comme édifice à l'Eglise comme assemblée générale des croyants, puis de cette dernière au regroupement des bienheureux dans la Jerusalem d'en haut.
" Puis je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre; car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et la mer n'était plus.
s'est parée pour son époux....
Et il me transporta en esprit sur une grande et haute montagne. Et il me montra la ville sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel d'auprès de Dieu, ayant la gloire de Dieu.
Son éclat était semblable à celui d'une pierre très précieuse, d'une pierre de jaspe transparente comme du cristal.
Elle avait une grande et haute muraille. Elle avait douze portes, et sur les portes douze anges, et des noms écrits, ceux des douze tribus des fils d'Israël:
à l'orient trois portes, au nord trois portes, au midi trois portes, et à l'occident trois portes.
La muraille de la ville avait douze fondements, et sur eux les douze noms des douze apôtres de l'agneau.
Celui qui me parlait avait pour mesure un roseau d'or, afin de mesurer la ville, ses portes et sa muraille.
La ville avait la forme d'un carré, et sa longueur était égale à sa largeur. Il mesura la ville avec le roseau, et trouva douze mille stades; la longueur, la largeur et la hauteur en étaient égales.
Il mesura la muraille, et trouva cent quarante-quatre coudées, mesure d'homme, qui était celle de l'ange.
La muraille était construite en jaspe, et la ville était d'or pur, semblable à du verre pur.
Les fondements de la muraille de la ville étaient ornés de pierres précieuses de toute espèce: le premier fondement était de jaspe, le second de saphir, le troisième de calcédoine, le quatrième d'émeraude,
le cinquième de sardonyx, le sixième de sardoine, le septième de chrysolithe, le huitième de béryl, le neuvième de topaze, le dixième de chrysoprase, le onzième d'hyacinthe, le douzième d'améthyste.
Les douze portes étaient douze perles; chaque porte était d'une seule perle. La place de la ville était d'or pur, comme du verre transparent.
Je ne vis point de temple dans la ville; car le Seigneur Dieu tout puissant est son temple, ainsi que l'agneau.
La ville n'a besoin ni du soleil ni de la lune pour l'éclairer; car la gloire de Dieu l'éclaire, et l'agneau est son flambeau.
Les nations marcheront à sa lumière, et les rois de la terre y apporteront leur gloire.
Ses portes ne se fermeront point le jour, car là il n'y aura point de nuit.
On y apportera la gloire et l'honneur des nations.
Il n'entrera chez elle rien de souillé, ni personne qui se livre à l'abomination et au mensonge; il n'entrera que ceux qui sont écrits dans le livre de vie de l'agneau." ( Apocalypse 21,10- 27 )
Chapiteau de la Tour Gauzlin, abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret.
Bras levés, des élus se présentent au Christ qui les juge. Les livres des oeuvres de chacun d'eux se trouvent sur la mandorle, de part et d'autre de la tête du Christ.
"Et j'ai vu les morts, grands et petits, se tenir devant le trône et on a ouvert des livres. On a aussi ouvert un autre livre, celui de la vie. Et on a jugé les morts selon leurs oeuvres d'après ce qui a été écrit dans les livres" (Apocalypse. XX, 12). "Le tribunal s'assit et les livres furent ouverts" (Daniel, VII 10). La scène se poursuit sur la face centrale, malheureusement très endommagée.
Chapiteau de la Tour Gauzlin, abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret.
Dans une tour de la Jérusalem céleste les élus se pressent près du Christ. A droite, le Christ reçoit les élus dans la Jérusalem céleste. "Et j'ai vu la ville sainte, la nouvelle Jérusalem, descendre du ciel, d'auprès de Dieu, prête comme une épouse parée pour son mari. Et j'ai entendu une grande voix dire depuis le trône: Voici la demeure de Dieu avec les hommes" (Apocalypse. XXI, 2-3)
En-dessous, les réprouvés. "Mais les lâches, les rénégats, les dépravés, les assassins, les impurs, les sorciers, les idolâtres, tous les hommes de mensonge, leur part se trouve dans l'ardent étang de feu et de soufre: c'est la seconde mort" (Apocalypse. XXI, 8). Leur bouche est close car seuls les élus ont la joie d'acclamer Dieu et de chanter ses louanges (Cf. Psaume LXIII, 6 et 12).
Chapiteau de la Tour Gauzlin, abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret.
La face latérale droite du chapiteau est complexe et résume la fin du chapitre VI. "Quand il [= l'agneau] a ouvert le cinquième sceau, j'ai vu sous l'autel les âmes de ceux qui ont été égorgés à cause de la parole de Dieu et à cause du témoignage qu'ils portaient" (Apoc. VI, 5).
L'agneau est sur l'autel. A l'intérieur, figuré par un autre rectangle, se trouve le livre scellé des sept sceaux.
Au-dessus de l'agneau, une étoile: "Les étoiles du ciel sont tombées sur la terre, comme un figuier secoué de grand vent, jette ses figues vertes" (Apoc. VI, 13).
De part et d'autre de la scène deux symboles des évangélistes sont encore en place: l'homme (Matthieu) et le boeuf (Luc). Le chapiteau est endommagé sur ce côté aussi, dans la partie haute. On peut supposer que figurait le lion (Marc) et l'aigle (Jean). La main ouverte ne semble pas être celle de Dieu, car son geste n'est pas de bénédiction. Peut-être est-elle celle de l'ange du chapitre VII dont subsiste aussi une aile: "Et j'ai vu un ange monter du soleil levant avec le sceau du Dieu vivant. Il criait à grande voix aux quatre anges à qui on a donné de nuire à la terre et à la mer: Ne nuisez pas à la terre ni à la mer ni aux arbres tant que nous n'aurons pas marqué au front les serviteurs de notre Dieu" (Apoc. VII, 2-3). Ce n'est qu'une hypothèse a pu dire Michel Claveyrolas à qui nous empruntons ces documents.
Eglise de SAINT-REVERIEN et ses chapiteaux, Nièvre.
Scène du Jugement dernier. Le paradis : la Jérusalem céleste surplombe une arcade
( avec l'inscription PARADISIUS ) sous laquelle trois personnages sont debout.
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