L’iconographie de la Fuite en Egypte :
peu de variété mais toutefois deux modalités
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Voussure du portail de l’église de Vouvant, Vendée. XIIé siècle.
L’image pittoresque du petit cortège partant pour l’Egypte a fait l’unanimité chez les commanditaires et les artistes.
☞Deuxième songe de Joseph.
L’épisode de laFuite en Egypte le deuxième lui enjoint de fuir en Egypte pour protéger Jésus des massacres ordonnés par Hérode ( Matthieu 2,13-16 )
2 13 Après le départ des mages, l'ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit : « Lève-toi ; prends l'enfant et sa mère, et fuis en Égypte. Reste là-bas jusqu'à ce que je t'avertisse, car Hérode va rechercher l'enfant pour le faire périr. » 14 Joseph se leva ; dans la nuit, il prit l'enfant et sa mère, et se retira en Égypte, 15 où il resta jusqu'à la mort d'Hérode. Ainsi s'accomplit ce que le Seigneur avait dit par le prophète : D'Égypte, j'ai appelé mon fils.16
Eglise Saint-Aignan de Brinay, Cher.XIIe siècle.
Deuxième songe de Joseph assis ( " Prends l'Enfant et sa mère..." )
Eglise Saint-Aignan de Brinay, Cher.XIIe siècle.
Plan rapproché sur le geste de Joseph écoutant l’ange qui lui indique de fuir en Egypte.
Eglise Saint-Martin de Zillis, XIIe siècle. © Romanes.com
Deuxième songe de saint Joseph assis.
Contrefort droit du portail de l’Abbaye Saint-Pierre, Moissac, Tarn-et-Garonne. Vers 1110-1130.
Joseph obéit à l’ange pour fuir en Egypte et retourner ensuite, non pas à Bethléem, mais à Nazareth.
☞La scène de la Fuite en Egypte.
L'iconographie du petit groupe partant pour l'exil offre peu de variété ; dans la version conforme au récit canonique, un modèle semble s’imposer dans l’immense majorité des œuvres, quelles qu’en soient la date et la région d’origine : on y voit l’âne qui porte l’Enfant et Marie, Joseph tenant la bride de l’âne, mais le petit cortège se déplace soit vers la droite, soit vers la gauche.
Joseph apparaît comme un homme silencieux, capable de marcher pendant des jours dans le désert pour mettre en sureté sa femme et l’Enfant...
** Modalité 1 : Le petit groupe se dirige vers la droite, Joseph tenant la bride de l’âne.
Eglise Saint-Aignan de Brinay, Cher.XIIe siècle.
Sur un âne blanc qui marche l'amble, Marie est assise, de face. Son visage ne manifeste aucune crainte, aucun épuisement. Elle paraît absente, ailleurs. Cependant, le regard de Marie est plus doux.
Joseph lui a-t-il répété les paroles de l'Ange? « Lève-toi, prends avec toi l'enfant et sa mère, et fuis en Egypte; et restes-y jusqu'à ce que je te dise. Car Hérode va rechercher l'enfant pour le faire périr ». Pourquoi l'alarmer?
Tu prends soin de l'enfant, et moi je prends soin de nous tous. Ainsi Marie chemine, les yeux ouverts sur un autre monde. Elle n'a pas posé de question à Joseph. Sa confiance en lui est totale. Il aurait pu la répudier, mais il a écouté Dieu. Elle tient son enfant dans ses bras. Celui-ci tend les bras vers l'avant... vers son père à moins que ce ne soit malicieusement vers les grandes oreilles de l’âne…
Eglise Saint-Aignan de Brinay, Cher.XIIe siècle.
Joseph, très grand, marche devant l'âne. Est-ce une illusion, ou bien ses épaules s'affaissent-elles un peu? La fatigue? Peut-être. L'anxiété? Certainement pas. Il a une mission: atteindre l'Egypte.
Joseph ne se demande pas s'il y parviendra. Il ira là-bas, c'est tout. Le problème est de surveiller les alentours. Le regard est droit, le pas assuré. Il n'est pas menaçant. C'est juste un homme que rien n'arrêtera.
Eglise Saint-Martin de Zillis, XIIe siècle. © Romanes.com
Dans cette scène du plafond peint vers 1120, Joseph, auréolé comme Marie et l’Enfant, tient un fouet à trois queues.
Chapiteau de la tour Gauzlin, abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret. Vers 1180.
C'est un cheval bien harnaché que conduit Joseph de la main gauche. Il tient une palme dans la main droite. Comme il est à l'angle du chapiteau dont il épouse la courbe, il semble être attentif au sol. C'est normal: ne doit-il pas aussi, dans ce désert caillouteux veiller à ce que l'animal suive un chemin sûr?
En même temps, il s'interpose entre ceux qu'il doit conduire en Egypte et un Hérode brandissant en vain glaive et sceptre. Mais Joseph est là. Il n'arrivera rien à l'enfant, il n'arrivera rien à Marie.
Ne craignant que Dieu, fidèle, courageux, déterminé...Somptueusement vêtue, Marie se tient face à nous, immobile, trônant sur un cheval en mouvement. Ses pieds reposent sur un tabouret, signe de souveraineté. Une étoile brille à hauteur de sa tête.
Le cheval marche l'amble, qui est le pas le plus confortable pour les femmes montant en amazone. Elle est Marie, mais aussi la femme vêtue de soleil qui enfante le Messie et les chrétiens et s'est enfuie au désert (Apocalypse. XII).
Est-ce seulement la Fuite en Egypte? Ne sommes-nous pas déjà dans l'Apocalypse, au moment où vient de se taire la septième trompette. « Un signe grandiose apparut au ciel: une Femme! Le soleil l'enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête » (Ap XII 1). Le chapiteau nous offre une audacieuse synthèse. La Femme accouche d'un enfant mâle. Le Dragon la menace et l'Archange Michel le foule aux pieds et lui enfonce dans la gueule une lance à la pointe cruciforme, – cette même lance que le Christ aux Enfers enfonce dans la gueule de Satan tout en l'écrasant, selon l'Evangile apocryphe de Nicodème. Dans les bras de sa mère, l'enfant Jésus bénit le monde de sa main droite, parallèle à la main droite de Dieu le Père qui apparaît dans le ciel au-dessus de la Sainte Famille.
Chapiteau de la tour Gauzlin, abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret Vers 1180.
Plan rapproché sur Joseph interposé entre ceux qu'il doit conduire en Egypte et le glaive d’Hérode brandi.
Chapiteau déposé, salle capitulaire, cathédrale Saint-Lazare, Autun, Saône-et-Loire. Vers 1120.
Une Vierge sereine tenant l'Enfant, un Joseph conscient de sa responsabilité et...un petit âne souriant. On comprend que ce chapiteau soit considéré comme un des plus fameux de l’édifice.
Au même titre que la Nativité de San Juan de Ortega, admirée précédemment, les représentations de la Fuite en Egypte de la cathédrale d'Autun et de la tour Gauzlin de Saint-Benoît-sur-Loire agissent incontestablement sur l'affect car, par leur présence, elles sollicitent l'attention, la retiennent. Une sorte de dialogue s'établit entre l’œuvre et l'observateur.
En d'autres termes, les grandes œuvres particulièrement abouties dépassent en quelque sorte ce qu'ont pu penser leurs créateurs. Parce qu'elles stimulent les esprits elles constituent des approfondissements, des pensées à partir des textes.
Chapiteau déposé, salle capitulaire, cathédrale Saint-Lazare, Autun, Saône-et-Loire.Vers 1120.
Plan rapproché sur Joseph ouvrant la marche.
Tympan de l’église de Bois-Sainte-Marie, Saône-et-Loire. Vers 1100.
La Vierge est encore une fois assise en amazone sur un âne ; Joseph sa besace sur l’épaule est à ses côtés.
Scène de la partie supérieure du tympan de l'église Saint-Martin Pompierre,
Vosges.XIIe siècle. © vogage-roman-art.blogspot.fr
La fuite en Égypte de la Sainte-Famille avec Joseph en tête suivi de Marie portant Jésus ; derrière le petit groupe une femme porte des bagages.
Ancien prieuré Saint-Léonard, L'Ile-Bouchard, Indre-et-Loire. XIe siècle.
Les chapiteaux se trouvant enserrés dans des constructions ultérieures nous avons procédé à un montage des deux parties visibles de l’exil.
Chapiteau du cloître de San Domingo de Silos, Espagne.XIIe siècle.
Joseph à l’angle de la corbeille mène une monture plus récalcitrante.
Ancienne abbaye Sainte-Marie, Alet-les-Bains, Aude. Chapiteau de la salle capitulaire.
Malgré les dégradations subies le petit cortège partant pour l’exil se reconnaît aisément.
Eglise Saint-Pierre de Rucqueville, Calvados. 1090-1100 © art-roman.net
Rare image de Joseph, tenant selon une coutume bien établie la bride de l’âne, mais figuré exceptionnellement avec sa hache de charpentier sur l’épaule.
Dans toutes ces images c’est davantage l’efficacité de Joseph qui est soulignée tandis que dans la composition suivante s’ajoute une note plus émouvante.
Chapiteau de la porte Saint-Michel, Cathédrale Saint-Pierre et Saint-Paul, Poitiers, Vienne. Vers 1190.
L’intérêt de cette image est qu’elle peut présenter un autre aspect de sa personnalité le fait de se tourner vers Marie et l’Enfant nimbé le montre sous un aspect prévenant, attentif.
** Modalité 2 : Joseph tient toujours la bride de l’âne, mais le petit cortège se dirige vers la gauche.
Eglise Saint-Trophime, Arles, Bouches-du-Rhône. Deuxième moitié du XIIe siècle.
Joseph conduit la monture de Marie. Jésus fait un geste vers Joseph à moins là encore ce ne soit que vers les grandes oreilles de l’âne ?.
La présence de roues figurant au bas du chapiteau de l’église Saint-Lazare d’Autun se retrouve
dans un chapiteau de la collégiale Saint-Andoche de Saulieu, Côte-d’Or. Vers 1150.
Collégiale Saint-Andoche de Saulieu, Côte-d’Or. Vers 1150.
Détail : Joseph ouvre la marche. Les palmiers très stylisés de Saint-Lazare ont fait place à des rinceaux vraisemblablement inspirés des rameaux garnis de leurs feuilles de la vigne bourguignonne.
Eglise Saint-Trophime, Arles, Bouches-du-Rhône.XIIe siècle.
Un chapiteau du cloître : Joseph conduit l’âne. Jésus et Marie sont sur une autre face de la corbeille.
Abbaye Sainte-Marie d’Arhous, Landes. Vers 1162.© cedidoca
Un style naïf mais bien sympathique : quelles différences avec la sculpture précédente et la suivante…
Contrefort droit du portail de l’Abbaye saint-Pierre, Moissac, Tarn-et-Garonne. Vers 1110-1130.
La Fuite en Egypte.
. C'est encore l'Evangile du Pseudo-Matthieu qui nous livre l'épisode de la chute des idoles de Sohennen au cours de la Fuite en Egypte.
Contrefort droit du portail de l’Abbaye saint-Pierre, Moissac, Tarn-et-Garonne.Vers 1110-1130.
Gros plan sur la chute des idoles sur le passage de la Sainte Famille.
Evangile du Pseudo-Matthieu. Réf. XXII 2- XXIII: "Et, remplis de joie et d'allégresse, ils entrèrent dans une des villes nommée Sohennen. Et, comme ils n'y connaissaient personne chez qui loger, ils entrèrent dans un temple de cette ville d'Egypte appelé le Capitole. Dans ce temple étaient placées trois cent soixante-cinq idoles, auxquelles chaque jour les honneurs divins étaient rendus par un culte sacrilège. Mais, aussitôt que Marie entra dans le temple avec son petit enfant, il advint que toutes les statues se renversèrent, et toutes ces idoles, gisant à terre, révélèrent qu'elles n'étaient rien. Alors fut accomplie la parole du prophète: "Voici que le Seigneur viendra sur une nuée légère, et tous les ouvrages des Egyptiens chancèleront devant sa face."
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☞Derniers Songes de Joseph : le retour d’Egypte.
L’ange lui indique que le danger est écarté du fait de la mort d’Hérode et qu’il peut revenir en Galilée et l’invite à habiter à Nazareth.
2 19 Après la mort d'Hérode l'ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph en Égypte 20 et lui dit : « Lève-toi ; prends l'enfant et sa mère, et reviens au pays d'Israël, car ils sont morts, ceux qui en voulaient à la vie de l'enfant. » 21 Joseph se leva, prit l'enfant et sa mère, et rentra au pays d'Israël. 22 Mais, apprenant qu'Arkélaüs régnait sur la Judée à la place de son père Hérode, il eut peur de s'y rendre. Averti en songe, il se retira dans la région de Galilée 23 et vint habiter dans une ville appelée Nazareth. Ainsi s'accomplit ce que le Seigneur avait dit par les prophètes : Il sera appelé Nazaréen. » Matthieu 2, 19-23
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☞Bilan de l’iconographie romane de Joseph.
Aux temps romans Joseph n’était le plus souvent guère distingué que par sa présence aux côtés de Marie ; aucun attribut ne permettait vraiment de le remarquer et son grand âge ne semblait pas une caractéristique suffisante pour l’identifier.
Le rôle limité de Joseph dans les Evangiles canoniques et apocryphes était peu propice à la création d’une identité forte du personnage. Aussi n’occupe-t-il qu’une place le plus souvent seconde dans les représentations sculptées et peintes.
Si, à l’âge roman, ce type dominant de l’image de Joseph a prévalu, toutefois des imagiers lui ont attribué, ici ou là, dans diverses scènes ( Nativité mais aussi Présentation au Temple, Exil ) des attitudes quelque peu différentes, une nouvelle orientation du regard, des gestes plus attentionnés.
Cette présence plus affirmée, cette place moins marginale rendent plus attachante la figure de Joseph et semblent le faire moins indifférent et plus participant au déroulement de l’Evénement.
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