Un homme du nom de Joseph,
figure du juste discret et fidèle.
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Dans toute la première partie du Moyen Âge il semble que Joseph - ni apôtre, ni martyr- attire peu la dévotion des fidèles et embarrasse les pères de l’Eglise : que penser de son statut d’époux de Marie ? Quelle paternité reconnaître à celui qui a été le protecteur de la Sainte Famille ? De même, le grand âge de Joseph, son éventuel premier mariage et la progéniture qui en serait issue ont fait moins l’objet de débats que la question de la nature du Doute.
Dans les écrits médiévaux, il n’est pas considéré pour lui-même, mais il apparaît en marge de discours sur le mariage et la virginité de Marie. C’est bien la Vierge que l’on vénère et que l’on grandit, lui reconnaissant toutes les vertus.
Une place seconde étant accordée à Joseph dans l’imaginaire de l’époque, le personnage occupera une place subalterne dans l’iconographie des temps romans.
☞Un homme du nom de Joseph.
Eglise Santa-Maria de Covet,
Base de la seconde archivolte du Tympan du portail d’entrée.
Espagne, premier quart du XIe siècle.© Cedidoca.
Image de la Sainte Famille : en retrait derrière Marie dominant la composition de sa forte présence la figure de Joseph apparaît empreinte d’humilité et marque le statut second du personnage dans l’iconographie de l’âge roman.
Les Evangélistes Matthieu et Luc sont peu prolixes à l’égard de l’origine, du caractère et de la vie de Joseph.
Ce dernier est présenté sobrement comme fils de David. Nous ignorons tout du lieu et de sa date de naissance et aucune parole ne nous est transmise.
Il est indiqué qu'il était artisan charpentier, ce qui désigne à l'époque n'importe quel ouvrier ou artisan du bois, fabriquant de meubles, outils, poutres…
Alors que les Ecritures parlent de Marie durant la vie publique de Jésus, et à la Pentecôte, elles ne nous disent rien pour Joseph.
Joseph est mentionné pour la dernière fois lors de la visite auTemple de Jérusalem lorsque Jésus est âgé de douze ans.
La tradition chrétienne en déduit qu'il est mort avant l’entrée dans la vie publique de Jésus, dans la maison de Nazareth, auprès de Jésus et de Marie.
Tout ce qui est dit de Joseph dans l’Evangile (sa vie d’époux, de père, de travailleur) est dit dans la perspective de Jésus, le Sauveur, le Rédempteur. Tout son rôle avait pour but de permettre à Jésus de remplir sa mission.
A vrai dire, nous ne savons pas grand-chose de saint Joseph, si nous nous en tenons aux évangiles de Matthieu et Luc qui nous parlent de l’enfance du Seigneur, ne nous livrent guère d’éléments.
Dans l'évangile de l'enfance selon Matthieu, Joseph reçoit, en songe, trois annonces de la part de Dieu qui ouvrent trois étapes de l'itinéraire de Jésus : Joseph permet d'abord au Messie d'avoir un nom (Matthieu 1, 21.25), il le protège en le soustrayant ensuite à la colère d'Hérode (fuite en Égypte, Matthieu 1, 14) et l'emmène enfin à Nazareth où il va grandir (Matthieu 1, 23).
Comment est-il présenté ? Il est désigné d'abord comme "l'époux de Marie" (Matthieu 1, 16.18.19). Fiancé à celle-ci, ne menant pas encore de vie commune avec elle, il n'intervient donc pas dans la conception de Jésus.
Lorsque Marie est enceinte, il ne la répudie pas comme la Loi le demande, parce que, nous dit Matthieu, son attitude est celle "d’un homme juste" (Matthieu 1, 19). Joseph est juste à cause de sa foi : il croit l'impossible - Marie enceinte sous l'action de l'Esprit-Saint - et, obéissant, il se laisse guider en toutes choses, permettant à Dieu de réaliser son dessein.
Dans l'évangile de l'enfance selon Luc, c'est Marie qui joue un rôle majeur.
Joseph n'est mis en scène qu'à trois reprises. Une première fois à l'occasion de l'annonce à Marie : "L'ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée du nom de Nazareth, à une jeune fille accordée en mariage à un homme nommé Joseph, de la famille de David…" (Luc 1, 27).
Une deuxième fois lors du recensement de Quirinius : "Joseph aussi monta de la ville de Nazareth en Galilée à la ville de David qui s'appelle Bethléem en Judée, parce qu'il était de la famille et de la descendance de David…" (Luc 2, 4).
Et enfin il est présent dans l'épisode des bergers rendant visite au nouveau-né (Luc 2, 16).
En bref, Joseph est fiancé à Marie lorsque celle-ci se retrouve enceinte par l'action de l’Esprit Saint. Il ne dénonce pas Marie publiquement ; il décide de la répudier en secret. Mais la volonté de Dieu, pour lui, est plus forte. Il fait alors ce que le messager du Seigneur lui a prescrit. Acceptant l'enfant, il devient le père nourricier de Jésus. Il est ainsi présenté comme un « homme juste » qui a accepté d'accueillir Marie et son enfant à la suite du message de l'ange.
Dans le dessein divin, le nom de Joseph est associé pleinement aux noms de Marie et de Jésus. Il est le serviteur silencieux de la Parole qui effectuera sa mission en toute discrétion.
☞Généalogie de Joseph et arbre de Jessé.
Eglise Saint-Andoche, Saulieu, Côte-d’Or..
Les évangélistes présentant Joseph comme « fils de David » Matthieu 1,20 et « de la maison et de la ligne de David » Luc, 2, 4 on s’attend à qu’il figure sur le motif de l’arbre de Jessé.
Voici la table des origines de Jésus Christ, fils de David, fils d’Abraham :
Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle fut engendré Jésus, que l’on appelle Christ (ou Messie).
Matthieu présente une généalogie descendante à partir d'Abraham pour montrer que Jésus est un vrai fils d'Abraham et que toute l'histoire passée du peuple juif trouve en lui son aboutissement et son sens.
La généalogie de Matthieu a trois périodes :
- quatorze générations d’Abraham jusqu’à David,
- quatorze générations de David jusqu’à l’exil à Babylone,
- quatorze de la déportation à Babylone jusqu’au Christ.
Luc, de son côté, présente une généalogie ascendante et fait remonter la filiation de Jésus jusqu'à Adam, le père de toute l'humanité.3.23-38
Le nom du père de Joseph est le point de divergence entre les deux auteurs.
Mais pour Matthieu comme pour Luc l’intention commune est de montrer que Jésus est un descendant du roi David, en bref c’est le messianisme davidique.
Les évangélistes présentent bien la généalogie de Jésus qui mentionne effectivement Joseph et non Marie dans la lignée davidique alors que Joseph est explicitement absent des représentations de l’Arbre de Jessé.
Malgré leur silence sur les origines de Marie, c’est cette dernière qui a été substituée à son époux dans l’Arbre de Jessé censé représenter pourtant l’ascendance de Jésus.
Il en est ainsi dans l’iconographie qui se met en place à l’époque, à l’exemple de la Bible de Saint-Bénigme de Dijon vers 1110.
Cette représentation remonte jusqu'à Jessé seulement (prophétie d'Isaïe 11). Car il est écrit : « Un rejeton sortira de la souche de Jessé, un surgeon poussera de ses racines. Sur lui reposera l'Esprit de YHWH, esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte de YHWH. » (Isaïe 11, 1-2).
Et les pères de l'Eglise appliquent cette prophétie au Christ. Pour saint Bernard de Clairvaux le surgeon de Jessé est la Vierge Marie, et la fleur est Jésus : « Virga jesse floruit, Virgo deum genuit ».
Bible de Saint-Bénigme ( Dijon, Bibliothèque publique, ms. 2, fol.406r).
L’arbre sort de la région du bas de l'abdomen de Jessé et montre quelques rois de la lignée davidique : l'artiste veut montrer la génération charnelle, les liens du sang.
Vers le sommet de l'arbre, Marie, le Christ et les sept colombes représentant les sept dons du Saint-Esprit représentent la génération virginale, spirituelle, par le lien de la charité.
Jessé et les rois représentent l'engendrement charnel. La Vierge, le Christ et l'Esprit Saint représentent l'engendrement spirituel. Jésus est né de l'Esprit Saint et de la Vierge Marie.
La représentation de l'arbre de Jessé montre un arbre luxuriant sortant de l'abdomen de Jessé (dans les représentations anciennes, Jessé est couché, et l'arbre évoque clairement la généalogie charnelle), avec en général quelques rois de la lignée davidique, puis la Vierge, le Christ et l'Esprit Saint (sous forme d'une ou de sept colombes). Cette représentation hiérarchisée articule la vie de la grâce (la Vierge enfantant le Christ) sur la vie biologique (la lignée charnelle).
L'arbre de Jessé n'est donc pas d'abord une évocation destinée à représenter les généalogies de Matthieu et de Luc, c'est une représentation dont la signification est plus profonde de nature théologique.
Il traduit fondamentalement « une articulation hiérarchique allant de la génération charnelle, c'est-à-dire sexuée, à la génération spirituelle, excluant toute sexualité » comme a pu le montrer Anita Guerreau-Jalabert citée par Françoise Breynaert.
La place majeure accordée à Marie, et non pas à Joseph, est sans doute moins conforme aux écrits canoniques qu'aux réflexions théologiques.
A la période romane Marie va être reconnue comme médiatrice privilégiée, avocate du genre humain. En 431, au concile d’Ephèse, la définition dogmatique de Marie mère de Dieu est proclamée.
Les Evangiles plaidaient pour Joseph, les écrits apocryphes eux-mêmes ne niaient pas son ascendance davidique, néanmoins le rôle considérable joué désormais par son épouse parée de toutes les grâces, la Vierge dans la liturgie, dans la vie de l’Eglise et dans la dévotion des fidèles facilitait grandement cette apparition mariale dans l’arbre.
L’humble et discret Joseph ne pouvait qu’être mis en retrait. Joseph apparaît alors comme un père spirituel, transmettant à Jésus la composante sacerdotale de la royauté davidique.
☞Joseph dans les textes apocryphes.
Cette concision des évangélises posa problème lorsqu'il fallut à la fois répondre, aux temps médiévaux, à la curiosité des fidèles sur la maternité virginale, sur leur désir d’en savoir davantage sur Jésus et Marie et trouver une cohérence dans le débat sur la double nature du Christ humaine et divine ; il en fut de même lorsqu'il fallut mettre en scène les Ecritures, sur les tréteaux de l’époque ou sur les chapiteaux et tympans des églises. Clercs et artistes firent alors appel aux textes apocryphes qui apportaient des éléments qui ne figuraient pas dans les Ecritures reconnues.
Ce fut d'abord le Protévangile de Jacques (écrit en grec au milieu ou fin du IIe siècle), puis l'évangile de l'enfance du Pseudo-Matthieu.
Le Protévangile de Jacques est une sorte de composition élaborée en s’inspirant notamment très librement de Matthieu et de Luc. Le titre, qui n’est pas d’origine, lui a été conféré par l’humaniste français qui le publia en Occident. Le plus ancien manuscrit connu ( milieu du second siècle ) porte le titre : Nativité de Marie, Révélation de Jacques.
Ce texte a connu à travers les siècles un grand succès. Il a inspiré d'autres livres du même genre, et notamment l’Evangile du Pseudo-Matthieu (VIe siècle).
Ces écrits ont été composés dans un but apologétique, pour traiter la délicate question de l’Incarnation de Jésus. Or, pas d’incarnation sans l’absolue pureté de Marie, non seulement vierge avant, pendant et après, mais maintenue dès sa conception dans une sorte d’état angélique.
Comme les docteurs de l'Église l'affirmèrent dogmatiquement, il s'agit d'une virginité ante partum, in partum et post partum.
A cette virginité organique vient s'ajouter le fait que, selon les théologiens, Marie avait fait le vœu de sa virginité en se consacrant à Dieu avant que ne survienne l'Annonciation.
On voit combien les problèmes de virginité-pureté/nubilité/mariage sont au cœur de ces textes, qui essaient de donner toutes les précisions nécessaires à combattre les propos malveillants des adversaires de la religion chrétienne qui considèrent que Jésus est le fils que Marie aurait eu de Joseph.
Il appartiendra aux auteurs apocryphes de bien faire comprendre aux fidèles que le seul rôle de Joseph est de prendre soin de la Sainte Famille. A côté de Marie la mystique, Joseph est le préposé aux tâches matérielles.
Les éléments sont en place pour que le mystère de l’Incarnation puisse se réaliser.
☞Comment les maîtres tailleurs de pierre et les peintres des XI-XIIe siècles représentèrent-ils Joseph sur la base de ces références fondatrices ?
Eglise Saint-Martin de Zillis, XIIe siècle. © Romanes.com
Plafond peint sur bois vers 1120 composé de 153 panneaux relatant la vie de saint Martin et celle de Jésus avant la crucifixion. Dans la scène de la Nativité Joseph trône dans la même architecture que les rois de Juda, muni d’une tunique blanche et d’un manteau rouge, tenant un rameau d’une main et un couteau de l’autre.
Les images de notre base de données montrent que Joseph n’apparaît jamais seul.
C’est dans les représentations de la petite Enfance du Christ qu’il est susceptible de figurer : la Nativité, l’Adoration des Mages, la Présentation au Temple et la Fuite en Egypte ainsi que les Songes qu’il reçoit.
Si certaines scènes sont représentées en maints édifices, beaucoup d'autres ne se rencontrent qu'ici ou là. C'est pourquoi, dans cette initiation du regard, nous avons adopté une démarche pluri-régionale afin de réaliser une collecte plus grande de thèmes bibliques.
Ce n’est que dans les siècles ultérieurs, XIV, XV et XVIe siècles, lorsque ses qualités paternelles furent reconnues que Joseph le nourricier et protecteur de Jésus devint un saint plus visible.
Le rôle limité de Joseph dans les Evangiles canoniques et apocryphes était peu propice à la création d’une identité forte du personnage : par la place marginale qu’il occupe le plus souvent dans les compositions Joseph apparaît - sauf exceptions - une figure de faible relief dans la plupart des œuvres des temps romans.
L’iconographie dominante qui nous est parvenue donne l’impression qu’il était quelque peu dépassé par une histoire où son rôle était d’ailleurs très limité.
Dans les représentations scéniques de notre corpus des XI-XIIe siècles les caractéristiques iconographiques de Joseph peuvent être perçues de trois manières :
_ par la place du personnage par rapport à Marie et à Jésus,
_ par son attitude, voire ses gestes,
_ par la direction de son regard.
Les sources d'inspiration des tailleurs et peintres ont une double origine : d’une part, les Evangiles et, de l’autre, les textes apocryphes du fait du de la sobriété des Ecritures canoniques relatives à Joseph.
Mais auparavant il est intéressant de voir dans un chapitre préalable comment certaines scènes sculptées ou peintes - comme le mariage ou le remords - ont été inspirées directement des seuls écrits apocryphes.
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