Figurations féminines
dans les affaires ordinaires
de la vie
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Chapiteau du portail occidental de l'église de Vaux-en-Couhé, Vienne.
La condition féminine est différente selon que les femmes sont religieuses, dames de l'aristocratie, riches bourgeoises ou paysannes. La majorité d'entre elles connaissent une vie laborieuse en ville et surtout à la campagne.
Au XIIe siècle, avec l'essor des villes et du commerce, les artisans et surtout les marchands deviennent des acteurs majeurs de la vie médiévale. Malgré l'importance économique qu'ils allaient prendre dans la société les artisans et les marchands se trouvent encore peu figurés dans la sculpture romane. Les figurations directes des travailleurs de la terre, malgré leur rôle fondamental sur le plan de l'économie familiale, ne semblent pas davantage en grand nombre dans l'imagerie romane.
La différence apparaît très nettement avec la représentation plus forte des jongleurs et amuseurs de toutes sortes dont témoigne la mémoire des pierres.
Par leurs occupations multiples - de l'enfantement aux soins à apporter à la maison en passant par les travaux des champs ou de l'atelier - les femmes jouent de fait un rôle majeur dans l'ensemble social. Sans doute faudrait-il nuancer selon les groupes sociaux : alors que la dame de l'aristocratie se consacre essentiellement à la bonne marche de sa maison et pouvait faire de la tapisserie, la paysanne devait s'occuper du potager contigu à la ferme et aider à certains travaux des champs.
☞Les activités laborieuses figurées
La mémoire des pierres romanes permet difficilement de restituer une vue d'ensemble du labeur tant des hommes que des femmes des XI-XIIe siècles. C'est le plus souvent par les calendriers des travaux des mois associés généralement aux signes du zodiaque que l'on peut entrevoir avec quelque précision la nature des activités principales de l'époque.
C'est beaucoup plus rarement, semble-t-il, que quelques sculptures tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des édifices représentent certaines scènes de la vie rurale.
Les femmes mariées sont responsables de leur maison; elles doivent entretenir le feu, préparer les repas, faire la lessive, s'occuper du potager qui constitue plus spécialement le domaine de la femme et sert à nourrir toute la famille.… mais leur travail ne s'arrête pas là.
Les femmes occupent une place essentielle dans l'agriculture, secondant leur mari dans les travaux des champs à l'occasion des périodes plus chargées : fenaison en juin, moisson, battage et cueillette des fruits en été, vendanges en septembre et le glanage à l'automne. Par ailleurs les jeunes filles gardent les troupeaux et tondent les moutons avec leurs mères. Les activités liées au textile accaparent aussi une bonne partie de la journée avec le cardage, le filage de la laine et du lin et le tissage pour confectionner des draps et des vêtements pour la famille.
A la ville les femmes se tiennent au côté de leur époux artisan ou commerçant.
En dehors des tâches domestiques et de l'éducation des enfants les femmes prennent ainsi une part essentielle à la bonne marche de l'exploitation.
Pourtant elles n'occupent pas la place qui leur reviendrait dans l'imagerie romane évoquant les activités humaines. De fait les compositions scéniques montrant les femmes au travail sont relativement peu nombreuses tant en Poitou qu'en Pays charentais.
Une femme portant des fleurs est associée a un bélier. Elément du zodiaque évoquant le signe du BELIER de l'église d'Aubeterre-sur-Dronne, Charente.
Une femme cultive son champ. Elément du zodiaque évoquant le signe du TAUREAU et les travaux d'AVRIL Eglise Saint-Léger, Cognac, Charente.
Une femme, un lion et les travaux de JULLET. Elément du zodiaque évoquant le signe du LION, Eglise Saint-Hilaire de Melle, Deux-Sèvres.
La Vierge représentée à côté d'épis de blé bien alignés et d'une ruche avec un pot de miel. Elément du zodiaque évoquant le signe due la VIERGE et les travaux d'AOÛT. Eglise Saint-Pierre-de-la- Tour, Aulnay-de-Saintonge.
Les travaux d'AOUT : La VIERGE. Scène de battage : le paysan récolte les grains des épis de blé bien couchés sur l'aire.
La VIERGE tenant une coupe est le signe du mois. Eglise Saint-Nicolas de Civray, Vienne.
Les travaux d'AOUT : La VIERGE.. Une femme tient un linge plié. Un paysan bat le blé à l'aide d'un fléau. Eglise Saint-Léger, Cognac, Charente.
Une femme tient le fléau de la BALANCE par ailleurs fort endommagée. Le hotteur verse le raisin dans la cuve ; un autre homme le foule aux pieds. Elément du zodiaque évoquant le signe de la BALANCE. Eglise Saint-Nicolas de Civray, Vienne.
Femme accompagnant un vigneron faisant les vendanges. Elément du zodiaque évoquant le signe de la BALANCE et les travaux de SEPTEMBRE.
Eglise Saint-Léger, Cognac, Charente.
Eglise Saint-Pierre-aux-Liens, Chateauneuf-sur-Charente.
Femme guimpée assise sur un tabouret portant une marmite.
Dans les milieux populaires la cuisine est l'affaire des femmes. Dans les milieux aristocratiques c'est toute une armée d'hommes qui assure l'approvisionnement et la préparation des mets. Grils et broches ne sont vus que dans les châteaux et les milieux urbains aisés.
De ce personnage on a pu penser qu'il représentait une femme lavant son linge. Les travaux de JULLET : Le LION. Eglise Saint-Léger, Cognac, Charente.
Eglise Saint-Jouin-de-Marnes, Deux-Sèvres.
Dans la scène de l'Annonciation, la Vierge, surprise par l'apparition de l'ange, laisse glisser sa quenouille de sa main droite.
Depuis les temps les plus reculés le filage est une des activités les plus importantes des femmes. La fileuse est le personnage féminin par excellence "quand Adam bêchait et qu'Eve filait…"
☞Les divertissements
Chapiteau extérieur de l'église Saint-Nicolas de Maillezais, Vendée.
Les femmes de toutes conditions aiment danser en plein air ou dans les châteaux. Sur ce chapiteau des femmes qui se tiennent par la main, de face, autrement dit le dos tourné au centre semblent danser.
En réalisant cette œuvre le sculpteur a-il pensé à la carole, danse spontanée en forme de ronde ou de farandole, chaîne ouverte ou fermée ; danse ou marche solennelle que l’on exécute lors des fêtes populaires, mais aussi aristocratiques, et qui est accompagnée de chansons à refrain. Jean Verdon note que « la seule différence entre une procession religieuse et la carole, c’est l’esprit, car les chansons de carole sont des chansons d’amour » ( 2007, p.44 ).
Eglise de Vouvant, Vendée .
Un joueur de cornemuse et un couple : l’homme porte un bonnet pointu et la femme a une haute coiffe ainsi qu’une robe bien serrée à la taille.
Eglise Saint-Nicolas, Civray, Vienne.
La cariatide ou statue-colonne gauche de l'arcature supérieure droite de la façade représente une joueuse de viole. Malheureusement ses bras sont brisés ; il ne reste qu'une partie de l'instrument ; sa main droite tenait l'archet.
Eglise Saint - Hilaire, Melle, Deux-Sèvres.
Une joueuse de vièle à archet.
Façade de l’église Saint-Nicolas de Civray, Vienne.
Au second niveau de l'arcade supérieure droite jouxtant les quatre statues représentant les quatre évangélistes une statue-colonne figure une danseuse joliment vêtue, à l’allure provocante, la tête sur le côté et les mains sur les hanches. Est-on en présence d’une illustration des plaisirs profanes face à l’ensemble des anges musiciens sur la voussure de l’arcade nord représentant la musique céleste ?
Eglise de Bouresse, Vienne
Danseuse dont la chevelure forme des nattes.
Eglise Saint-Nicolas, Civray, Vienne.
Une femme en équilibre sur la tête accompagnée par un personnage jouant de la viole. Encadrant la scène deux spectateurs en bustes regardent la jongleresse et son accompagnateur instrumentiste.
Eglise de Foussais-Payré, Vendée.
Une femme se renverse complètement en arrière pendant qu'un homme joue de la flûte .
Eglise Saint-Quentin, Chermignac, Charente -Maritime.
Acrobate de place publique.
Entrée de la nef de l'abbaye de Nouaillé-`Maupertuis, Vienne.
Des hommes luttent entravés par une corde que tient une femme.
Ancienne église priorale Saint-Nicolas de Civray, Vienne.
Sachant que les les femmes s'adonnaient moins aux dés que les hommes sans doute en raison de leur mauvaise réputation un modillon de la corniche médiane retient l'attention : " la femme aux dés " qui a pu être dénommée la tricheuse.
Un très beau visage féminin auquel une rare lumière a donné un attrait supplémentaire : les traits sont délicats, le coup de peigne réussi et le port de tête peu courant.
Un chercheur comme Michel Dillange émet l'hypothèse que les faces des dés indiquent 653 et que ce sont les faces opposées du numéro gagnant 421.
En disposant les dés en 653 et en les jetant avec un certain tour de main on pourrait obtenir le fameux 421.
☞Elans du cœur, ébats des corps
Les rapports entre le corps et l'amour ne vont pas de soi au Moyen Âge. Les romans courtois célèbrent la femme et sa beauté, exaltent l'amour ; mais dans la réalité quotidienne c'est d'abord en tant qu'instrument de plaisir et génitrice qu'elle est perçue. Il faudra du temps pour que sentiment et respect mutuel l'emportent ; l'amour sentiment moderne n'était pas une base de la société médiévale.
A moins d'entrer au couvent toute jeune fille doit convoler en juste noce. Le concubinage n'est pas absent des mœurs de l'époque mais les textes sont souvent peu prolixes sur la question ; c'est surtout par les mentions d'enfants bâtards que les relations extra-conjugales sont perçues.
Les élans du coeur ne sont pas seuls représentés ; les ébats du corps le sont aussi à l'exemple de ces figurations d'amoureux et d' étreintes charnelles. Les actes sexuels sont figurés essentiellement sur des modillons.
Eglise Notre-Dame du Vieux-Pouzauges, Vendée
Sur cette fresque murale de la nef un chevalier déclare sa flamme à sa belle tenant un miroir.
Ancienne priorale de Civaux, Vienne.
Une femme et un homme se donnent la main droite dans le geste de la dextrarum junctio, jonction des mains symbolisant le mariage ; serions-nous en face d'une première représentation sculptée des liens du mariage ? On sait, en effet, que la jonction des mains des deux époux est le symbole du mariage religieux conclut en présence des membres des deux familles.
Eglise Saint-Pierre, Aulnay-de-Saintonge, Charente-Maritime.
Touchante tendresse d'un couple.
Eglise de la Sainte Vierge, Vinax, Charente-Maritime.
Le baiser.
Nef de l'abbaye de Nouaillé-Maupertuis, Vienne.
Un couple : à droite du tailloir une femme aux yeux mi-clos semble pensive alors qu'à gauche figure un homme à la moustache tombante.
Eglise de Marignac, Charente-Maritime.
Union charnelle.
Eglise de Champagnolles, Charente-Maritime.
Etreinte physique. C'est la position la plus couramment utilisée dans les représentations de l'acte sexuel sur les modillons.
Modillon, intérieur de la partie basse romane de la chapelle attenante, église de Chermignac, Charente-Maritime.
Eglise Saint-Pierre, Passirac, Charente.
Sur une corbeille, un couple s'adonne à des attouchements réciproques très explicites. Le fait que l'imagier ait représenté le couple attaqué par deux bêtes féroces pendant cet acte peut être interprété comme une dénonciation du vice.
Les représentations de la famille sont plus rares que les scènes d'étreinte physique.
Eglise de Chateauneuf-sur-Charente, Charente.
Enfant emmailloté à la manière médiévale ; faut-il rappeler que cette manière de vêtir le nouveau-né et l'enfant en bas-âge s'est perpétuée longtemps…l'enfant es enveloppé dans un linge de lin si ses parents sont riches, de chanvre si elle a le malheur de naître pauvre. Sur cette pièce d'étoffe est disposé le lange, un drap de laine, croisé sur le devant pour le maintenir. Des bandes de lin ou de chanvre, entrecroisées des épaules jusqu'aux chevilles, emmaillotant le bébé le tiennent droit afin de lui façonner un corps parfait rappelle Sophie Cassagnes-Brouquet ( p.8, 2014 ).
Eglise de Marignac, Charente-Maritime.
Jeune personne bien potelée.
Eglise de Matha-Marestay, Charente-Maritime.
Touchante scène familiale.
Eglise de Dampierre-sur-Boutonne, Charente-Maritime.
Deux têtes féminines entourent un homme à la barbe fournie. La femme a les yeux baissés et porte un voile sur la tête, de l'autre côté se trouve leur enfant. il pourrait s'agir de portraits de riches bienfaiteurs de l'église locale.
Chapiteau, église Saint-Pierre, Chauvigny, Vienne.
Au Moyen-Âge, comme en d'autres temps, des femmes ne respectent pas les règles établies par la société. Les prostituées sont rarement figurées dans l'imagerie sculptée médiévale ; elles apparaissent ici à l'occasion d'un personnage antique.
La grande prostituée, représentation symbolique de Babylone, la ville de l'exil, du mal, de l'oppression. La tête non couverte et les cheveux défaits. Les habits à rayures portés par cette grande femme et ses cheveux dénoués manifestent souvent dans l'imagerie médiévale des personnes en marge de l'ordre social. Dans sa main gauche, elle tient un petit vase à parfum, dans la main droite une coupe d'abomination ; ainsi, l'alliance de la séduction et du mal est-elle symbolisée.
☞Femmes et politique
Alors que toutes les femmes participent a la vie économique quelques-unes seulement interviennent dans la vie publique. Le rôle politique des femmes à la période médiévale ne concerne qu'une très petite minorité, d'entre elles - reines ou grandes dames - malgré quelques exceptions brillantes.
Il arrive des situations où la femme a tenu un rôle ordinairement dévolu à l'homme. En l'absence ou en cas de décès de leur mari. Les dames de l'aristocratie qui sont dans ce cas doivent gérer le domaine, lutter éventuellement contre les voisins qui essaient de profiter de l'absence du maître des lieux.
Aliénor d'Aquitaine et Henri II Plantagenêt présentent la maquette du fameux vitrail de la Crucifixion de la Cathédrale Saint-Pierre et Ssaint-Paul, Poitiers, Vienne.
En s'écartant quelque peu de nos provinces on observe le gisant d'Isabelle d'Angoulême, à Fontevraud, Maine-et-Loire.
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