La femme dans tous ses états
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Sainte-Catherine, Aboul, Montrozier, Aveyron.
Femme de haute condition.


La place accordée à la femme dans les images réalisées dans la pierre aux XI-XIIe siècles apparaît nettement moindre que celle dévolue à l'homme.
Quelles peuvent être les raisons de cette non reconnaissance de la moitié du ciel ? Esprit du temps, méfiance vis-à-vis du sexe féminin de la part des commanditaires religieux pour qui Eve demeure la grande pécheresse ou simplement primauté de la figuration masculine dans les travaux des champs tels qu'ils étaient représentés dans les calendriers des mois ?



✏︎ Des femmes en costume d'époque

Toutes les représentations féminines, qu'elles soient profanes ou religieuses, portent des vêtements contemporains de l'exécution des pierres sculptées.


Ls belles et honnêtes femmes ont une poitrine discrète, à peine marquée ; elles sont vêtues d'une robe longue cachant les pieds, une ceinture invisible à la taille donne un blousant qui efface la poitrine, une guimpe dissimule les cheveux ; cet habit enveloppant entièrement le corps, excluait par principe toute possibilité de désir masculin et prouvait l'absence totale de luxure féminine.

Les jeunes filles portent une chevelure longue et apparente alors que la femme mariée ne montre pas ses cheveux qu'elle prend soin, au contraire, de cacher.


Modillon, basilique Saint-Sernin, Toulouse, Haute-Garonne.
Un beau visage de jeune femme.


Sainte-Catherine, Aboul, Montrozier, Aveyron.
Elégance féminine.

Eglise de Benet, Vendée.
Jeune femme à longues nattes tenant un cierge lors de la procession de la Chandeleur.


Façade de l'église de Saint-Jouin-de-Marnes, Deux-Sèvres.


Femme, debout, vêtue avec élégance.


Coursière supportée par une corniche de la nef, Cathédrale Saint-Pierre, Poitiers, Vienne.

Beauté médiévale : le port autant que le drapé et la coiffure sont à remarquer.


Eglise de Rieux-Minervois, Aude.

Culot orné d'une tête de femme portant une guimpe, c'est-à-dire une pièce de toile couvrant la tête et encadrant le visage.

La tête est munie de surcroît d'une gorgerette, pièce de tissu cachant le bas du visage, le cou et la gorge.



Eglise Saint-Léger, Cognac, Charente.
Femme accompagnant un vigneron dans le signe zodiacal de la Balance.


Elément du zodiaque évoquant le signe du BELIER, église d'Aubeterre-sur-Dronne, Charente.




Collatéral Sud de la collégiale de Candes-Saint-Martin, Indre-et-Loire.

Trois belles femmes avec encore d'abondantes traces de polychromies cette fois.


Eglise de Nuaillé-sur-Boutonne, Charente-Maritime .

Une gracieuse femme en position allongée sur une frise d'imposte à droite du portail porte une parure somptueuse aux motifs riches et variés.




Tympan de l'abbaye Sainte-Foy de Conques, Aveyron.

Les vierges sages avec leurs lampes, les saintes femmes tenant lampe et livre ouvert.


Ancienne église priorale Saint-Nicolas de Civray, Vienne.
Vierge sage avec sa lampe dressée.



Abbaye Saint-Pierre de la Tour, Aulnay de Saintonge, Charente-Maritime.

Devant la porte fermée cette vierge folle se tient la tête symbolisant par là son accablement.

Les personnages féminins représentant les vierges sages ou folles ne sont pas parés des attraits habituellement attendus: charmes physiques, beauté du visage, somptuosité de la chevelure …Ils sont de belle apparence mais portent les draperies conventionnelles de l'époque.

✏︎Amour, mariage et "sexualités disqualifiées "

Sur les bases en quelque sorte codifiées de la sexualité dans le cadre imposé du mariage sera rappelé la condamnation ecclésiale de l'adultère. En effet certains imagiers romans représenteront parfois dans la pierre les dangers et les conséquences néfastes pour l'âme humaine quand les êtres humains succombent à la luxure, commettent l'adultère et se livrent à des " écarts " sexuels.
Il n'en reste pas moins vrai que ces figurations resteront toujours difficiles à décrypter.
Les images " d'écarts sexuels" en tant que contre-modèles sont paradoxalement des images montrant des rapports discrédités ; et si une lecture au second degré n'était pas toujours effectuée ? Ces figures ont-elles alors toujours un statut de contre-modèle ou sont-elles seulement le fruit d'une grivoiserie populaire ?
**Images des relations amoureuses selon les normes sociales


Eglise Santa Maria de l'Estany, Catalogne.

Une femme soulève un feuillage dans la main gauche, un homme la tient par le poignet.


Eglise Santa Maria de l'Estany, Catalogne.

Un homme et une femme se donnent la main.


Eglise Santa Maria de l'Estany, Catalogne.

Deux amoureux s'embrassent.


Ancienne priorale Saint-Nicolas de Civaux, Vienne.

Une femme et un homme se donnent la main droite dans le geste de la dextrarum junctio, jonction des mains symbolisant le mariage ; serions-nous en face d'une première représentation sculptée des liens du mariage ?


Eglise de Saint-Pierre-le-Moutier, Nièvre.

Touchante tendresse d'un couple.


Eglise de Perse à Espalion, Aveyron.
Emouvante variante d'un couple.



Eglise de Matha-Marestay, Charente-Maritime.
Maman et ses enfants.


Eglise de Lacumbe, Navarre.
Une scène de même type se rencontre au-delà des Pyrénées : mère et son enfant.

**Une scène de ménage à trois Des chapiteaux en grès rouge du porche de l'église Saint-Michel et Saint-Gandolphe à Lautenbach dans le Haut-Rhin représentent une très évocatrice histoire d'adultère.
Gangolphe, chevalier bourguignon, fut chargé d’un commandement dans l’armée de Pépin le bref vers 745. Au retour de son expédition il découvrit l’infidélité de sa femme qui l’avait trompé avec le régisseur de son domaine. L’épouse protestant de son innocence, il la soumit au jugement de Dieu : épreuve ayant consisté à retirer un caillou du fond d’une fontaine. A peine l’infidèle eut-elle plongé la main dans l’eau, qu’elle poussa un hurlement de douleur : ses chairs étaient devenues rouges et tombaient en lambeaux.

Gangolphe se retira alors dans un domaine éloigné, laissant son château à l’infidèle et vivant comme un saint. Humiliée, l’épouse infidèle fit assassiner son mari par le bras de son amant, qui retrouva Gangolphe et le poignarda dans son sommeil. Gangolphe, martyr de la fidélité conjugale, a été historiquement invoqué pour la paix des ménages.


Eglise Saint-Michel et Saint-Gandolphe, Lautenbach, Haut-Rhin

A droite une femme tient un enfant dans ses bras. Un homme nu l'aborde et lui fait des avances ; dans le dos de ce dernier est représenté un animal aux longues oreilles symbolisant le Malin qui le tente.( A noter que les pattes ( ou le pied ) sont l'euphémisme biblique de l'organe sexuel ).


Détail : A gauche, les amants sont étroitement enlacés. Entre les deux représentations on remarque un chat représentant le tentateur.


A gauche de la composition, le mari trompé bat sa femme qui tombe à la renverse tenant toujours son enfant dans ses bras.


✏︎Des activités liées aux affaires ordinaires de la vie

Par leurs occupations multiples - de l'enfantement aux soins à apporter à la maison en passant par les travaux des champs ou de l'atelier - les femmes jouent un rôle majeur dans l'ensemble social.
Bien sûr, il faudrait nuancer selon les groupes sociaux : alors que les plus riches pouvaient faire de la tapisserie, les autres devaient s'occuper du potager et de la basse-cour. L'habit est alors évidemment différent.

Trois pièces de vêtement constituent l’habillement à l'époque : près du corps, une longue tunique de dessous appelée chainse en toile fine ; puis une tunique de dessus, le bliaud, serré à la taille par une ceinture ou une cordelette.
Vers le milieu du XIIe siècle le vêtement des femmes tend à se différencier de celui des hommes en soulignant les attributs féminins ; la mode laissant la place à des bliauds très ajustés accentue la sensualité de la femme en mettant en valeur la poitrine et soulignant davantage la taille.
Les manches sont resserrées ou larges. Les manches longues et plissées démesurément allongées présentent une extrémité évasée venant presque effleurer le sol.



Eglise Notre-Dame, Vaux-en-Couhé, Vienne.

Une femme tient un linge. La tête est enserrée dans un tissu qui retient la chevelure. Cette coiffure est fréquente chez les femmes du peuple qui veillent à ne pas être gênées dans leur travail par leurs cheveux.



Eglise Saint-Pierre-aux-Liens, Chateauneuf-sur-Charente.
Femme guimpée assise sur un tabouret portant une marmite.


Eglise Saint-Léger, Cognac, Charente.
Une femme lavant son linge. ( Les travaux de JUILLET : Le LION ).


Santa Maria de Ripoll, Catalogne.

Les représentations des travaux des mois peuvent fournir quelques représentations des activités auxquelles participent les femmes.


Mars : un paysan cultive la terre sous les arbres qui bourgeonnent ; présence d'un oiseau.
Février : un homme et une femme fabriquent des fromages.



Santa Maria de Ripoll, Catalogne.
Juin : la récolte du blé.
Mai :un homme et deux jeunes filles cueillent les premiers fruits.


Septembre : un homme et une femme font les vendanges.


Santa Maria de Ripoll, Catalogne.
Octobre : un berger jouant du corne pour rassembler son troupeau et des cochons mangeant des glands.
Novembre : une femme et un homme tuent le cochon.




Ancienne abbaye de Villesalem, Vienne.
Figure royale féminine portant couronne et mentonnière.


Santa Maria de l'Estany, Catalogne.

Une femme richement vêtue caresse de sa main gauche sa longue chevelure rappelant ainsi la dimension sensuelle attachée à ce geste.



Ancienne abbatiale de Saint-Jouin-de-Marnes, Deux-Sèvres.

Par opposition à la femme précédente une pèlerine longuement et sobrement vêtue tenant son bâton de marche.


Relief déposé, monastère du Mont Saint-Odile, Bas-Rhin.

Habits monacaux : les abbesses Herrade et Relinde, sont situées à mi-corps aux pieds de la Vierge à l'Enfant ; elles semblent servir de support à l'ensemble de la composition.


✏︎Les divertissements


D'une façon générale la danse est un fait social qui semble être depuis toujours une composante intégrante de la vie. La danse comme la jonglerie n’accéderont jamais à la dignité aux yeux de l’Eglise médiévale qui condamne les contorsions et les gesticulations corporelles dans lesquelles elle voit des manifestations de désordre, de trouble et de vanité par les attitudes déplacées, indécentes qu'elles génèrent. En bref, ces prouesses sont purement physiques et non spirituelles.
Dans la pensée médiévale la musique profane risque de mener à la luxure.
Malgré le bon exemple de David dansant autour de l’Arche d’Alliance, dans la sculpture romane la danse est le plus souvent perçue de façon négative.



Eglise de Foussais-Payré, Vendée.

Une femme se renverse complètement en arrière pendant qu'un homme joue de la flûte.



Eglise Saint-Nicolas, Civray, Vienne.

Une femme en équilibre sur la tête accompagnée par un personnage jouant de la viole.



Santa Maria de l'Estany, Catalogne.

Le cloître comporte des chapiteaux avec des scènes figuratives profanes tels un musicien jouant du rebec et une danseuse de castagnettes.


Cloître de Cugat del Valle, Catalogne.

Scène de danse : à l'angle du chapiteau une danseuse les pieds en l'air et les mains sur l'astragale est accompagnée de musiciens au centre de la corbeille.

Pour aller plus loin

* Un tympan avec le festin d'Hérode, la danse de Salomé, la décollation et la mise au tombeau de JeanBaptiste mérite d'être montré ici parce que, au-delà des tableaux habituels autour des scènes de la vie et de la mort du saint, la portée de l'ensemble de la composition représentée est explicitée : ainsi la signification de la danse de Salomé est suggérée dans les écoinçons.


Tympan. Abbaye_Saint_Martin_d’Ainey, Lyon. Crédit photo : romanes.com
Au niveau supérieur est représenté le festin d’Hérode portant couronne ; à ses côtés sa femme Hérodiade ; tous regardent Salomé debout dansant entre les deux tables où mangent les convives le regard tourné vers la jeune fille.


Crédit photo : romanes.com Abbaye_Saint_Martin_d’Ainey, Lyon.

Plan rapproché sur Salomé portant une longue robe, les mains sur les hanches, les cheveux dénoués. Impudique, exposant son corps aux yeux des invités au festin, la princesse Salomé se transforme en une vulgaire jongleresse, une femme, réduite à son statut de femme-objet. La danse par le dérèglement des sens qu'elle entraîne suscite la lubricité de celui qui la regarde.




Du côté droit du tympan est figurée l'âme du défunt Jean-Baptiste recueillie par un ange tandis que de l'autre côté est représentée la figure du diable instigateur du Mal qui attend la pécheresse indécente dans son comportement et immorale dans ses intentions.

* La femme au crâne


Un des tympans du portail Sud. Basilique de Saint-Jacques de Compostelle, Galice.

Sur la droite, on voit une femme à demi-dévêtue assise sur deux lions et qui porte un crâne sur ses genoux. Et Aymeri Picaud dans son Guide du Pèlerin de commenter : « Et il ne faut pas oublier de mentionner la femme qui se trouve à côté de la Tentation : elle tient, entre ses mains, la tête immonde de son séducteur qui fut tranchée par son propre mari et que, deux fois par jour, sur l'ordre de celui-ci, elle doit embrasser, Ô horrible et admirable châtiment de la femme adultère qu'il faut raconter à tous. »
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