Le cloître du monastère Santo Domingo de Silos :
un des hauts lieux de l'art roman
____________
Le célèbre monastère de Silos est situé dans la province de Burgos. En 1041 Silos accueillit le moine Domingo qui dirigea le monastère en tant qu'abbé jusqu'en 1073 ; il entreprit la reconstruction des bâtiments d'un établissement primitif wisigothique.
Ses successeurs complétèrent l'édification du cloître roman jusqu'au XIIe siècle.
C'est au début du XIIIe siècle que sera édifié le second étage du cloître.
La réalisation des galeries inférieure du cloître roman connut deux grandes étapes :
- Fin XIe - début XIIe siècles : les galeries Est et Nord, ainsi que le début de la galerie Ouest, pour les chapiteaux desquelles travailla un sculpteur anonyme de génie que l'on désigne couramment comme le premier Maître de Silos. Il sculpta également six des huit grands reliefs qui se trouvent sur les piliers d'angles.
- Le style change à partir du chapiteau n° 38 de la galerie Ouest (Annonciation, Visitation, Bergers, Fuite en Egypte). C'est l'œuvre dit du second maître de Silos.
- Le cloître est achevé vers le milieu du XIIe siècle par d'autres artistes : les deux grands reliefs de l'Arbre de Jessé et de l'Annonciation, caractéristiques de la transition entre le roman et le gothique.
Vue d'ensemble du site du monastère San Domingo de Silos.
Le cloître inférieur avec ses d'arcades aux élégantes colonnes constitue un des plus admirables ensembles de l'art roman.
☞Une perspective claustrale admirable à la fois une et diverse
Bien qu'il y eût trois campagnes de construction - deux pour le niveau inférieur roman, puis une campagne en période gothique pour l'étage - le cloître au premier abord offre une belle unité. Les constructeurs et sculpteurs du XIIIe siècle ont éprouvé pour l'œuvre de leurs prédécesseurs un respect tel qu'ils ont adopté les règles du plein cintre alors que l'arc brisé prenait place.
Le cloître, au premier regard donne l'impression d'un carré parfait ; toutefois les galeries Nord et Sud comptant chacune seize arcs sont un peu plus longues que celles de l'Ouest et de l'Est qui n'en comportent que quatorze.
C'est grossièrement à l'angle Nord-Ouest que se marque la séparation ( pas absolue ) entre l'œuvre sculpturale des deux artistes anonymes désignés comme premier et second Maîtres qui réalisèrent ce merveilleux ensemble de l'art roman.
Les arcs en plein cintre du cloître sont supportés dans toutes les galeries par des colonnes qui vont par paires mais alors que celles du premier Maître sont quelque peu espacées et galbées, celles du second artiste sont juxtaposées et droites.
1° Cette galerie du premier maître met bien en évidence les doubles colonnes galbées simplement accouplées caractéristiques de son art.
2° Les colonnes accolées caractéristiques du second maître : l'espace entre les deux s'est réduit et leur fût est droit.
3° L'étage tardif, respecte la structure et l'aspect du rez-de-chaussée.
Ces deux exemples de sculpture des chapiteaux des galeries du niveau supérieur du cloître permettront de mettre en évidence les différences sculpturales avec les réalisations des prédécesseurs.
La salle capitulaire.
Partie du plafond en bois à caissons ornés de peintures.
Après un passage dans l'église, le tombeau de Santo Domingo de Silos a été replacé dans le cloître. La pierre tombale est gothique mais les lions sont romans.
☞Le Premier maître de Silos ( ou premier atelier )
Les scènes des piliers de l'angle Sud-Est : l'Ascension et la Pentecôte
La station Sud-Est avec ses deux panneaux.
L'Ascension
La composition du panneau est orientée vers le sommet. Marie et les douze apôtres regardent le Christ s'élever dans le Ciel.
Le Christ dont seule la tête entourée d'un nimbe crucifère dépasse de la nuée céleste est entouré par deux anges.
La Pentecôte
La main divine entourée de deux anges surgit de la la nuée et bénit Marie et les apôtres dont les noms figurent sur les nimbes.
Ce qui frappe l'observateur est que le visage de Marie, situé dans un autre plan de la scène, apparaît au-dessus des apôtres et davantage tendu vers le ciel.
Les scènes des piliers de l'angle Nord-Est : la Passion du Christ
Deux nouveaux sujets essentiels sont abordés par cet artiste de génie : la Descente de Croix et la `Mise au Tombeau.
La Descente de Croix
En plus du Crucifié, de Marie, de Joseph d'Arimathie et de Nicodème l'artiste a fait figurer saint Jean. Au pied de la croix Adam sort du tombeau.
Au centre de la composition, le Christ a une main déclouée que Marie presse tendrement sur son visage.
Au-dessus du panneau le Soleil et la Lune sont figurés par deux personnages nimbés en compagnie de trois anges balançant leur encensoir.
La Mise au Tombeau
La station met habilement en scène trois évènements : la Mise au Tombeau dans la partie médiane de la composition, mais aussi suggère la Résurrection par la présence des Saintes Femmes au registre supérieur et les soldats frappés de stupeur au niveau inférieur.
Au-dessus de la grande dalle du couvercle du tombeau sur lequel est assis un ange le sculpteur met en place les Saintes Femmes.
Détail : Joseph d'Arimathie et Nicodème déposent le Christ dans le sépulcre.
Détail : le visage du Christ enseveli.
Détail : les soldats qui gardaient le tombeau sont frappés de stupeur.
Les scènes des piliers de l'angle Nord-Ouest : les pèlerins d'Emmaüs et le doute de saint Thomas.
Deux nouveaux récits évangéliques sont figurés dans ces reliefs.
Les pèlerins d'Emmaüs
Une composition scénique marquée par l'impression de mouvement qu'a su donner l'artiste à ses personnages. Le Christ, plus grand que les deux hommes qui ne le reconnaissent pas, à l'évidence se déplace. Le disciple qui le côtoie lui demande de rester avec eux pendant que le compagnon attend la réponse.
La scène du Doute de saint Thomas
Dans ce relief tout se joue dans les regards. Pour reprendre la forte expression de Michel Claveyrolas la composition scénique du Doute se présente " comme un grand commentaire de pierre "; " ce n'est pas une illustration, mais une pensée de l'Evangile selon saint Jean " (Site en fin de page ). En admirant ce chef-d'œuvre on ne peut mieux dire.
Thomas fixe la blessure, il veut s'assurer et comprendre. Il est encore de ce monde et dans ce monde.
Le Christ se prête au geste de Thomas et il tend même le bras pour lui faciliter les choses. Mais par cette disposition, le bras et le corps du Christ séparent le monde du doute, le monde sensible, du monde de la vérité.
Une certaine impatience se manifesterait-elle sur le visage de Jésus? Il attend, simplement. Il sait que pour certains le chemin est plus malaisé que pour d'autres.
Il est possible, alors, que ce bras tendu au dessus de celui qui n'a pas la chance d'avoir la même foi que les autres soit un geste de protection: "Ne jugez pas Thomas".
Il faut aussi suivre le regard des autres apôtres. Ils ne lui en veulent pas, la scène ne semble pas les intéresser. Ils sont hallucinés par le monde que la Résurrection vient de leur dévoiler. Les onze apôtres ne pensent même pas à leur compagnon: leurs grands yeux sont ouverts sur un ailleurs stupéfiant.
Ils redescendront sur terre, il connaîtront des conflits, certains subiront le martyre, mais pour le moment leurs yeux montrent qu'ils ne sont pas présents au monde dans lequel Thomas approche craintivement sa main d'une blessure mortelle.
Des Apôtres de la rangée supérieure et des joueurs de trompe et de tambourin.
Les chapiteaux du premier maître : une sélection marquée par le caractère fabuleux de son bestiaire.
Chapiteaux à corbeilles dédoublées caractéristiques du premier maître.
Au second plan chapiteau à thème végétal.
Les lions de la partie centrale prennent appui sur les oiseaux du niveau inférieur mordent les pattes de ceux du dessus.
Corps d'oiseaux se tournant le dos alors que les têtes animalières s'affrontent.
Harpies et lions.
Les animaux de la partie supérieure prennent appui sur ceux du niveau inférieur en se tournant le dos.
Quadrupèdes enserrés dans des rinceaux.
Harpies à cornes au visage de femme avec des serpents sortant de leur bouche.
Oiseaux au cou démesuré s'enroulant comme un serpent autour de leurs pattes. Sur leur dos sont juchés d'autres oiseaux, plus petits, au cou plus court, avec une queue de dragon.
Des hommes se battent à la hache en montant de curieux quadrupèdes ailés qui se tournent le dos.
Quadrupèdes attaqués à la croupe par des dragons.
Tiges et feuillages enchevêtrés semblant sortir de l'astragale s'élèvent vers de petites têtes de lions.
Quadrupèdes opposés par la croupe enserrés dans des tresses
Une sorte de maillage dont le second maître donnera sa propre version.
☞Le second maître de Silos ( ou second atelier )
On a pu dire du style du second grand artiste qu'il est dans son travail de la pierre en quelque sorte plus " roman" que celui du premier maître.
Vue d'une galerie, œuvre du second maître.
Dans la galerie Ouest, la quadruple colonne gémellée et torsadée du second maître.
Richesse du répertoire ornemental :
1° Des thèmes proches de ceux du premier maître mais traités avec sa spécificité propre
2° Deux chapiteaux historiés se rapportant à des thèmes chers à l'imagerie médiévale
Au premier plan et à l'arrière-plan, les colonnes et les chapiteaux du second maître.
Ce dernier semble s'être inspiré des thèmes du premier maître, mais en renforçant souvent l'aspect fantastique.
Colonnade du second maître avec des harpies affrontées sur la première corbeille.
Entre deux chapiteaux à thème végétal un autre présente des animaux monstrueux.
La ramure d'un arbre abrite deux quadrupèdes aux croupes opposées et dont les têtes s'affrontent.
Harpies de face aux ailes déployées.
Dans des entrelacs de tiges émergent des monstres à tête de chien, au corps d'oiseau et à queue de serpent.
Animaux monstrueux, l'aile levée, baissant leur cou velu à proximité de l'astragale.
Deux griffons qui paraissent se mordre l'aile.
Les colonnes ne sont pas encore juxtaposées. Chapiteau 38. La Visitation, le Songe de Joseph et la Nativité.
Autre face du chapiteau : Adoration des Bergers et Fuite en Egypte.
Sur un chapiteau coiffant quatre colonnes torses l'Entrée à Jérusalem peut être notamment observée sur une face…
ainsi que la Cène…
… et le Lavement des pieds.
☞Les scènes des piliers de l'angle Sud-Ouest : le Couronnement de Marie et l'arbre de Jessé.
L'angle Sud-Ouest comporte deux reliefs qui n'ont certainement pas été réalisés par le même artiste.
Annonciation et Couronnement de la Vierge Marie.
L'archange frisé et à genoux apporte son message à la Vierge Marie. Celle-ci figurée par une femme jeune mais non une jeune fille, présente la paume de sa main droite vers le public. Simultanément deux anges, à la présence extrêmement vivante, posent une couronne sur sa tête, signe de glorification.
Les historiens de l'art ont pu souligner que ce relief, qui n'est plus strictement roman, constitue l'ultime étape avant le passage au style gothique.
L'arbre de Jessé.
Du flanc de Jessé s'élève un arbre avec la Vierge Marie, puis au-dessus de celle-ci l'Etre divin nimbé avec le Sauveur sur les genoux ; enfin le Saint-Esprit surplombe la composition complétée sur les côtés par des prophètes.
______________
⎢On pourra consulter avec profit l'histoire de Santo Domingo de Silos qu'a synthétisé Monsieur Michel Claveyrolas ainsi que la belle présentation photographique du cloître qu'il offre sur son site :
http://jalladeauj.fr/claveyrolassilos/index.html ⎢
_________________________