MONDE MALEFIQUE ET ART ROMAN

EXTRAITS D'ECRITS APOCRYPHES CHRETIENS
par
Michel Claveyrolas
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** LIVRE D’HENOCH (ou I HENOCH)
C’est un des grands classiques de la culture essénienne. Il est cité dans l’
Epître de Jude. L’expression « Fils d’Homme », « Fils de l’Homme », qui se trouve dans Daniel (Dn VII), est bien plus encore présente dans I Hénoch, dans la partie intitulée « Le livre des Paraboles ».

Le texte est une compilation qui n’est connu dans son entier que par une version éthiopienne établie lors de la traduction des Ecritures saintes du grec en éthiopien entre le IVe et le Vie siècle. L’Eglise éthiopienne est la seule où le
Livre d’Hénoch soit demeuré canonique. Les manuscrits en sont innombrables en Ethiopie.
On en a des extraits en araméen (manuscrits du Qoumrân), en copte, en syriaque, en grec.

Les différentes parties de l’ouvrage ne sont pas toutes datables de la même époque. On peut dire que l’ensemble a été rédigé entre le IIIe siècle et le Ier siècle avant J.-C.

Edition :
Ecrits intertestamentaires, Pléiade, Gallimard, 1987, traduction André Vaillant et Marc Philonenko


A la fin du second voyage visionnaire d’Hénoch on trouve une évocation de la « 
géhenne » (traduction André Caquot) :

(…) et j’ai dit : « Pourquoi y a-t-il cette terre bénie toute plantée d’arbres et ce ravin maudit ? »
Alors Ouriel, l’un des saints anges, celui qui m’accompagnait, m’a répondu : « Le ravin maudit est destiné à ceux qui sont maudits pour l’éternité. C’est ici que sont rassemblés tous les maudits dont la bouche dira des insolences contre le Seigneur et qui parleront avec dureté contre sa Gloire. »

La
géhenne
On parle beaucoup de la géhenne dans l’Ancien Testament. C’est là que se trouve le lieu appelé Tophéth, dans la vallée de Ben-Hinnom ou
Gêy-Hinnom qu’on brûlait vif les enfants sacrifiés à Moloch. Le roi Josias mettra fin à ces sacrifices (II Rois XXIII 10) déjà proscrits dans le Deutéronome (XVIII 10).

Jérémie prophétise que Dieu y punira les infidèles de Jérusalem (XIX 6-15). Dans
I Hénoch c’est le lieu d’un jugement plutôt que d’un châtiment. Ce lieu semble alors confondu avec la « vallée de Josaphat » dont Joël fait l’emplacement du Jugement dernier (IV 2, 12, 14). Plus tard, la géhenne le lieu où les damnés seront suppliciés par le feu (IV Esdras VI 36, II Baruch LXXXV 13, Matthieu V 22).

***


L'enfer (II Hénoch XL 10 – XL 2, Pléiade p. 1199, traduction André Vaillant et Marc Philonenko)
De là on m'emmena et je vins au lieu du jugement, et je vis l'enfer ouvert, et là je vis une certaine plaine, comme une prison, un jugement immense. Et je descendis, et j'écrivis tous les jugements des juges, et je connus toutes leurs demandes, et je soupirai et pleurai sur la perdition des impies, et je dis en mon cœur : « Heureux qui n'est pas né ou qui, étant né, n'a pas péché devant la face du Seigneur, pour qu’il ne vienne pas en ce lieu et ne porte pas le joug de ce lieu. »
Et je vis les gardiens des clés de 1’enfer qui se tenaient près des portes très grandes, leurs faces étaient semblables à de grandes vipères, leurs yeux à des lampes éteintes, et leurs. dents découvertes jusqu’à leur poitrine. Et je leur dis en face : « Plût au ciel que je ne vous eusse pas vus et que je n’eusse pas contemplé vos actions, et que personne de ma race ne vînt à vous. »
Ecrits intertestamentaires, Pléiade, Gallimard, 1987
(
LIVRE DES SECRETS D’HENOCH (ou Hénoch slave, ou II Hénoch)
Ouvrage caractéristique de l’ancienne mystique juive. Son contenu indique qu’il est nécessairement antérieur à la destruction du Temple de Jérusalem en 70 après J.-C. Il n’est conservé que dans des textes slaves des XVe, XVIe et XVIIe siècles. L’original grec est aujourd’hui perdu).


** APOCALYPSE DE PIERRE
Le texte a été rédigé en Palestine, en grec, mais l’on n’en possède que des fragments dans cette langue. Il date très probablement des années 132 – 135.
Pendant deux ou trois siècles cette Apocalypse est devenue une œuvre très populaire. Quelques cercles ont même considéré qu’elle appartenait aux Ecritures. A la fin du IIe siècle, elle est incluse dans le « canon de Muratori » (première ébauche de canon néotestamentaire datant de la fin du IIe siècle) avec cette réserve : « Certains des nôtres ne veulent pas qu’elle soit lue dans l’église ».
Son déclin vient de ce que d’autres Apocalypses sont apparues et lui ont été préférées. Par exemple, l’
Apocalypse de Paul dans l’Occident latin et dans les Eglises de langue copte ou syriaque, - l’Apocalypse de la Vierge dans l’Orient grec.
L’
Apocalypse de Pierre est une œuvre fondamentale qui est à l’origine de la tradition des descriptions de l’au-delà post mortem.
L’œuvre est connue dans son intégralité par une version éthiopienne en langue guèze du XVe ou XVIe siècle. Une version arabe chrétienne a peut-être servi de texte intermédiaire entre le grec et l’éthiopien.

Passage concernant l’enfer : Ap Pierre VII 1 – XIII 7
Edition de la Pléiade :
Ecrits apocryphes chrétiens, pp. 763 – 770, traduction de Richard Bauckham

LES CHÂTIMENTS INFERNAUX
« Après, les hommes et les femmes viendront à la place qu'ils méritent. On les pendra par la langue laquelle ils ont blasphémé la voie de la justice, et l'on étendra pour eux un feu inextinguible, afin de les punir. Voici un autre endroit, où il y a une grande fosse, pleine de ceux qui ont renié la justice. Les anges de la punition feront bonne garde et attiseront à l'intérieur le feu de leur punition.
« Et puis, d'autres femmes : on les pendra par le cou et par les cheveux, et on les jettera dans la fosse. Ce sont celles qui ont tressé leurs cheveux, non point pour se faire belles, mais plutôt pour se tourner vers la fornication, pour prendre au piège les âmes des hommes et les ruiner. Et aussi les hommes qui couchaient avec elles en forniquant on les pendra par les cuisses dans ce lieu ardent. Ils se diront l'un à l'autre: "Nous ne savions pas que nous devions venir dans une punition éternelle."
« Les assassins et leurs complices aussi, on les jettera dans le feu, là où il est plein de serpents venimeux; ils seront punis sans cesse, en se tordant dans leurs tourments. Leurs vers seront si nombreux qu'ils seront semblables à un sombre nuage. L'ange Ezrael fera venir les âmes de ceux qui ont été tués, et ils verront la punition de ceux qui les ont tués. Ces derniers se diront l'un à l'autre: "Juste et droit est le jugement du Seigneur, car nous avions entendu dire que nous devions venir en ce lieu de jugement éternel, mais nous n’y avions pas cru. "
« Auprès de cette flamme, il y a une fosse, immense et très profonde, dans laquelle coule tout ce qui vient de partout où il y a des damnés: une abomination fétide. Les femmes seront englouties jusqu'au cou et seront punies d'une grande peine. Ce sont justement celles qui avortent et détruisent l'œuvre que le Seigneur avait formée. En face d'elles il y a une autre place, ou seront assis leurs enfants, eux qu'elles ont empêchés de vivre. Ils crieront vers le Seigneur. Une foudre viendra des enfants, une vrille s les yeux de celles qui ont cause leur ruine par cette fornication.
« Plus haut, d'autres hommes et d'autres femmes se tiendront debout nus, et leurs enfants se tiendront en face d'eux, dans un endroit délicieux et exquis. Ils soupireront et crieront vers le Seigneur à cause de leurs parents : " Ceux sont eux qui ont négligé, maudit et transgressé ton commandement et nous ont fait mourir. Ils ont maudit l'ange qui nous avait formés, ils nous ont pendus ils nous ont refusé la lumière que tu as donnée à tous. " Le lait de leurs mères coulera de leurs seins, mais il caillera et il puera. Il en sortira des bêtes carnivores, qui reviendront et les puniront, elles et leurs maris, pour l’éternité, parce qu'elles ont transgressé le commandement du Seigneur et qu'elles ont tué leurs enfants. Quant à leurs enfants, on les donnera à l'ange Temelouchos, tandis que ceux qui les ont tués seront punis pour l'éternité, car c'est ce que le Seigneur a voulu.
« Ezrael, l'ange de sa colère, fera venir des hommes et des femmes qui sont à moitié en feu, et on les jettera dans ce lieu ténébreux qui est la Géhenne des humains. Des esprits enragés les fustigeront avec toutes sortes de fouets et les vers qui ne dorment pas dévoreront leurs entrailles. Ce sont ceux qui ont persécuté et trahi mes justes.
« Auprès de ceux-là, il y aura d'autres hommes et femmes qui mâcheront leur langue. On les torturera avec des fers rouges et on leur brûlera les yeux. Ce sont ceux qui ont blasphémé et perverti ma justice.
« A d'autres hommes et femmes aux actions frauduleuses on coupera les lèvres; du feu entrera dans leurs bouches et dans leurs entrailles. Ce sont les faux témoins qui ont entraîné la mort.
« Auprès d'eux, il y aura un lieu voisin, avec des pierres de feu pointues, dont la pointe est plus aiguë qu'une épée. On jettera dessus des hommes et des femmes qu'on aura revêtus de chiffons, et de guenilles misérables, pour qu'ils soient condamnés à des peines douloureuses qui n'auront pas de fin. Ce sont ceux qui mettent leur confiance dans leurs richesses et qui, à l'encontre du Seigneur, ont méprisé les veuves et les orphelins.
« Auprès de ce lieu, il en est un autre, plein d'excréments. On y jettera des hommes et des femmes jusqu'aux genoux. Ce sont ceux qui prêtent et reprennent en usuriers.
« D'autres hommes et femmes se jetteront du haut d'un précipice et reviendront ensuite en courant, forcés par les démons. Ce sont les idolâtres. On les mettra au bord du ravin, et ils s'y précipiteront. Ils feront ainsi sans arrêt et seront punis pour toujours. Ce sont ceux qui ont souillé leur corps, ceux qui ont eu des rapports sexuels avec des hommes. Et les femmes qui sont là avec eux sont celles qui se sont souillées l'une l'autre, comme une femme avec un homme.
« Auprès de ce ravin et en bas, l'ange Ezrael préparera un endroit avec un grand feu, avec toutes les idoles d'or et d'argent, toutes les idoles faites de main d'homme, les images qui ressemblent à des chats, à des lions, les images des reptiles et celles des animaux sauvages. Il y aura aussi là ceux qui les ont fabriquées, hommes et femmes. Ils se flagelleront devant elles avec des chaînes de feu, parce qu'ils ont été séduits. Telle sera leur condamnation pour toujours.
« Auprès d'eux, d'autres hommes et femmes brûlent dans les flammes de la condamnation, et leur punition sera éternelle. Ce sont ceux qui abandonnent les commandements du Seigneur et suivent les voies des démons.
« Il y a un autre lieu très haut et un [+++] et un ravin où le feu brûlera, et il brûlera depuis le bord. Les hommes et les femmes qui y tomberont descendront en roulant là où règne la terreur. Et puis, alors que le [++++] coule, ils remonteront et ils descendront, et ils continueront ainsi à rouler. De cette manière, ils sont punis pour l'éternité. Ce sont justement ceux qui n'honorent pas leur père et leur mère et ne se soucient que d'eux-mêmes. C'est pour cela qu'ils seront punis pour l'éternité.
« Et puis l'ange Ezrael fera venir des garçons et des vierges pour leur montrer ceux qui sont punis, qui seront condamnés à être tourmentés par de nombreuses blessures, que leur infligeront des oiseaux carnivores. Ce sont ceux qui croient en leurs erreurs, n'obéissent pas à leurs parents, ne suivent pas l'enseignement de leurs pères et n'honorent pas celui qui est plus âgé qu'eux. Il y a avec eux des vierges portant des vêtements sombres. Elles seront sévèrement condamnées, et leur corps sera démembré. Ce sont celles qui n'ont pas gardé leur virginité jusqu'à ce qu'on les donne en mariage. Elles seront donc frappées d'une telle condamnation, qui les déformera en les tordant.
« Et puis, il y aura d'autres hommes et femmes qui se mâcheront la langue sans répit, tandis qu'ils seront punis par le feu éternel. Ce sont précisément les esclaves qui n'obéissent pas à leurs maîtres, et telle est leur punition pour toujours.
« Près de ce lieu de châtiment, il y a des hommes et des femmes aveugles et sourds, vêtus de blanc. Après s'être poussés les uns les autres, ils tomberont sur les charbons ardents du feu inextinguible. Ce sont ceux qui font l'aumône et disent: " Nous sommes justes ", mais qui n'ont pas cherché justement le Seigneur.
« Ezrael, l'ange du Seigneur, en fera sortir d’autres de cette flamme, et il prononcera un jugement de punition. Et tel est le jugement : un fleuve de feu coulera, et tous ceux qui sont punis descendront au milieu du fleuve. Ouriel les arrêtera et donnera une roue de feu a laquelle hommes et femmes seront fixés par la force de sa rotation. Ils brûleront dans la fosse, eux qui sont bien des magiciens et des magiciennes. Et ces roues, dans toute punition par le feu, seront innombrables.


Note sur deux mots problématiques :
(+++) Mot éthiopien,
mehero ou mehro. Peut-être à rapprocher de l’arabe mahra’at, le lieu où l’on vide les excréments.

(++++)
gehur, mot éthiopien : « ce qui est préparé ».

** APOCALYPSE DE PAUL [L’enfer]

Le texte date probablement du milieu du IIIe siècle. Il s’agit certainement d’un texte grec à l’origine, rédigé sans doute entre l’Asie et l’Egypte, et plus particulièrement à Alexandrie. Le texte reflète une tentation gnostique, mais ne semble pas s’opposer à l’orthodoxie. Sans doute né en milieu monastique, il a été très en faveur auprès des moines.
L’imagerie médiévale y a beaucoup puisé, notamment en ce qui concerne l’enfer, et cela jusqu’au XVe siècle. Dante y fait allusion dans le deuxième chant de l’Enfer.

Le texte grec d’origine n’est pas connu. On ne dispose que de fragments grecs, de textes arméniens, coptes, syriaques et latins.

L’extrait suivant vient de l’édition de la Pléiade des
Ecrits apocryphes chrétiens.
L’
Apocalypse de Paul est traduite par Claude-Claire Kappler et René Kappler.

L’extrait concernant l’enfer est le passage XXXI b – XLIV d (pp. 809 – 819)

Je partis avec l'ange. Il m'emporta par le chemin du soleil couchant, et je vis que le fondement du Ciel reposait sur un grand fleuve d'eau. J'interrogeai : « Quel est ce fleuve d’eau ? » Il me répondit : « C'est l'Océan qui entoure toute la terre.» Lorsque je fus sorti et me trouvai de l'autre côté de l'Océan, je regardai : en ce lieu, pas de lumière ! Rien que ténèbres, tristesse, désolation. Je m'affligeai.
11, Alors, je vis un fleuve de feu bouillonnant où était entrée une multitude d'hommes et de femmes, les uns immergés jusqu'aux genoux, les autres jusqu'au nombril, les autres jusqu'aux lèvres, les autres enfin jusqu'aux cheveux. J'interrogeai l’ange : « Seigneur, qui sont ceux-ci, dans le fleuve de feu?» L'ange me répondit : « Ce sont ceux qui ne sont ni chauds ni froids, car ils ne sont comptés ni au nombre des justes ni au nombre des impies. Durant leur vie sur terre, ils ont partagé leur temps, priant certains jours, péchant et forniquant certains autres jours, et ainsi jusqu'à leur mort. »

J’interrogeai encore : « Seigneur, qui sont ces gens, plongés dans le feu jusqu aux genoux?» Il me répondit : «Ce sont ceux qui, en sortant de l'église, se sont jetés dans des discussions sans rapport avec les choses sacrées. Ceux qui se trouvent plongés jusqu'au nombril sont ceux qui, bien qu'ils aient communié au corps et au sang du Christ, n'ont cessé de pécher jusqu'à leur mort. Ceux qui se trouvent immergés jusqu' aux lèvres sont ceux qui, lorsqu'ils se rassemblaient dans l'église de Dieu, se sont dénigrés les uns les autres. Ceux, qui se trouvent immergés jusqu'aux sourcils sont ceux qui s’entendent par signes pour machiner des pièges envers leur prochain. »
Je vis, au nord, des peines diverses et variées en un lieu rempli d'hommes et de femmes où se déversait un fleuve de feu. Je regardai, et je vis des fosses très profondes ou était rassemblé un très grand nombre d'âmes : la profondeur de ce lieu devait être de trois mille coudées. Je vis ces âmes qui pleuraient, gémissaient et disaient : «Aie pitié de nous, Seigneur ! » Mais personne ne les prenait en pitié. J’interrogeai l’ange : « Qui sont ceux-ci, seigneur?» L'ange me répondit : «Ceux qui n’ont pas espéré en Dieu et n'ont pas cru qu'ils pouvaient compter sur son aide. »
J'interrogeai encore et dis: «Seigneur, si ces âmes continuent à être empilées les unes sur les autres, au bout de trente ou quarante générations, même si elles sont envoyées toujours plus profond, Je crois que les fosses ne les contiendront plus.» Il me répondit : « L'abîme est sans mesure, car en dessous de celui-ci, il y en a encore un autre et encore un autre. C'est comme si quelqu'un de vigoureux prenait une pierre et la lançait dans un puits très profond : cette pierre ne parviendrait au fond qu'après de nombreuses heures. Tel est l'abîme. Quand les âmes y sont jetées, à peine touchent-elles le fond au bout de cinq cents années. »
Lorsque j'eus entendu cela, je me mis à pleurer et à gémir sur le genre humain. L'ange me dit : «Pourquoi
Pleures-tu ? Es-tu plus compatissant que Dieu ? Parce que Dieu est bon et sait qu' il y a des tourments, il supporte patiemment le genre humain et laisse à chacun le droit de faire sa propre volonté durant le temps ou il habite sur terre. »
Je regardai de nouveau le fleuve de feu : j'y vis un homme pris à la gorge par des anges du Tartare qui tenaient en main un trident, dont ils perforaient les entrailles de ce vieillard ; j'interrogeai l'ange et dis : « Seigneur, qui est ce vieillard à qui sont infligés de tels tourments ?» L'ange me répondit : « Celui que tu vois était un prêtre qui n’accomplit pas correctement son ministère ; il mangeait, buvait et forniquait tandis qu'il offrait l'hostie au Seigneur devant son saint autel. »
Non loin de là, je vis un autre vieillard qu’amenaient, courant à toute vitesse, quatre anges malins : ils le plongèrent jusqu'aux genoux dans le fleuve de feu. Ils le lapidaient et lui blessaient le visage comme avec une tempête de pierres, sans le laisser crier pitié. J'interrogeai l'ange. Il me dit : « Celui que tu vois fut évêque et n’accomplit pas correctement son ministère; il a reçu un grand nom mais n'a pas accédé à la sainteté de celui qui lui donna ce nom pour toute la vie. Il ne fut pas juste dans ses jugements, il ne prit pas pitié des veuves et des orphelins. Maintenant, le voilà rétribué selon son iniquité et selon ses œuvres. »
Je vis un autre homme, plongé dans le fleuve de feu jusqu'aux genoux. Ses mains étaient étendues, toutes sanglantes, des vers sortaient de sa bouche et de ses narines. Gémissant et pleurant, il criait « Pitié ! On me fait souffrir plus que tous ceux qui subissent ce tourment.» J’interrogeai : « Qui est Celui-ci, seigneur ? » Il me dit : « Celui que tu vois était un diacre qui mangeait les offrandes, forniquait et ne fit rien de juste devant Dieu. Voilà pourquoi il purge sans trêve cette peine. »
Je regardai et vis à ses côtés un autre homme, qu'ils soulevèrent à la hâte pour le jeter dans le fleuve de feu, où il demeura plongé jusqu'aux genoux ; puis vint l'ange préposé aux peines, avec un grand rasoir enflammé dont il lui lacérait les lèvre~ et la langue. Soupirant et pleurant, je dis : « Qui est celui-ci, seigneur ? » Il me dit : « Celui que tu vois était lecteur, et il faisait des lectures devant le peuple. Toutefois, il n’observa pas les préceptes de Dieu. A présent, il purge la peine qui lui est propre. »
Je vis une multitude d'autres fosses dans le même lieu et, au milieu de ce fleuve, une multitude d'hommes et de femmes mangés par les vers. Moi, je pleurai et, soupirant, j’interrogeai l’ange : « Seigneur, qui sont ceux-ci?» Il me dit : « Ce sont les usuriers qui exigeaient les intérêts des intérêts et qui, mettant leur confiance dans leurs richesses et non point leur espoir en Dieu, croyaient être leur propre secours. »
Puis je regardai et vis un autre, lieu, très étroit : il y avait comme un mur entouré de feu. A l'intérieur, je vis des hommes et des femmes mangeant leurs propres langues. J’interrogeai : « Qui sont ceux-ci, seigneur ? » Il me dit : « Ce sont ceux qui, à l’église, dénigrent la parole de Dieu, ne lui prêtent pas attention et ne font aucun cas de Dieu et de ses anges. Ainsi, ils purgent maintenant une peine appropriée. »
J'observai et vis un autre vieillard, plongé dans une fosse; son aspect était tout sanglant. J'interrogeai et dis : « Seigneur, quel est ce lieu ? » Il me dit : « En cette fosse affluent toutes les peines.» Je vis des hommes et des femmes immergés jusqu'aux lèvres et j’interrogeai : « Qui sont ceux-ci, seigneur?» Il me dit : « Ce sont des sorciers qui ont infligé leurs maléfices magiques à des hommes et des femmes qu'ils ne laissèrent point en repos jusqu'à leur mort.»
Je vis là des jeunes filles toutes vêtues de noir : quatre anges effrayants, qui avaient en mains des chaînes enflammées, leur en flagellèrent la nuque puis les conduisirent dans les ténèbres. A nouveau, je pleurai et interrogeai l’ange : « Qui sont celles-ci, Seigneur?» Il me dit : « Ce sont les vierges qui ont souillé leur virginité à l'insu de leurs parents. Voilà pourquoi, sans trêve, elles purgent les peines qui leur sont propres. »
Là encore, je vis des hommes et des femmes, les mains et les pieds tailladés, placés nus, dans un lieu de glace et de neige, dévorés par les vers. A cette vue, je pleurai et demandai : « Qui sont ceux-ci, seigneur?» Il me dit : « Ce sont ceux qui ont nui aux orphelins, aux veuves et aux pauvres et n'ont pas espéré en Dieu. Voilà pourquoi, sans trêve, ils purgent les peines qui leur sont propres. »
Je regardai et en vis d'autres, qui étaient suspendus au-dessus d'un canal d’eau : leurs langues étaient très sèches, beaucoup de fruits étaient placés devant eux, mais ils ne pouvaient en prendre. Je demandai : « Qui sont ceux-ci, seigneur ? » Il me dit : « Ce sont ceux qui ont rompu le jeûne avant l'heure établie. Voilà pourquoi ils purgent ces peines. »
Je vis d'autres hommes et femmes suspendus par les sourcils et par les cheveux, qu'entraînait un fleuve de feu, et je dis : « Qui sont ceux-ci, seigneur?» Il me dit : « Ce sont ceux qui se sont livrés non point à leurs propres maris ou femmes mais à des adultères. Voilà pourquoi, sans trêve, ils purgent les peines qui leur sont propres. »
Je vis d'autres hommes et femmes, tout poudreux, d'aspect sanglant, dans une fosse de poix et de soufre, entraînés par le fleuve de feu. J’interrogeai : « Qui sont ceux-ci, seigneur ? » Il me dit : « Ce sont ceux qui commirent l'impiété de Sodome et Gomorrhe. Pour cela, sans trêve, ils purgent ces peines. »
Je regardai et vis des hommes et des femmes vêtus de vêtements clairs, aveugles, dans une fosse. Je demandai : « Qui sont ceux-ci, seigneur ? » Il me dit : « Ce sont des gens qui ont fait l’aumône mais n’ont pas connu le Seigneur Dieu; pour cela, sans trêve, ils purgent les peines qui leur sont propres. »
Je regardai et vis d'autres hommes et femmes sur un obélisque de feu, déchirés par des bêtes, et qui ne pouvaient même pas dire : «Aie pitié de nous, Seigneur !» Je vis l’ange des tourments, qui leur appliquait leur peine avec la dernière force et leur disait : «Reconnaissez le Fils de Dieu ! Cela vous fut dit en effet lorsqu'on vous lisait les divines Ecritures, mais vous n'y fîtes pas attention. Oui, ce sont vos actes mauvais qui vous ont saisis et vous ont amenés à ces peines. »
Mais moi, soupirant et pleurant, j'interrogeai et dis : «Qui sont ces hommes et ces femmes qui sont étranglés dans le feu et purgent leur peine ?» L'ange me répondit : «Ce sont les femmes qui ont souillé la créature de Dieu lorsqu'elles ont mis au monde des enfants; et ceux-là, ce sont les hommes qui ont couché avec elles. Mais leurs enfants crient au Seigneur Dieu et aux tourmenteurs disant. " Des crimes impies [+++] nos parents : ils ont souillé la créature de Dieu; connaissant le nom de Dieu, mais n'observant pas ses commandements, ils nous ont donnés en pâture aux chiens, ils, nous ont fait piétiner par les porcs et certains nous ont jetés au fleuve. Mais ces enfants sont remis aux anges du Tartare qui président aux peines, pour être conduits en un lieu spacieux où ils sont consolés. Tandis que leurs pères et leurs mères sont livrés pour l'éternité au tourment d'être étranglés. »
Je vis ensuite des hommes et des femmes revêtus de vêtements clairs pleins de poix et de soufre enflammé : des serpents s'enroulaient autour de leurs cous, de leurs épaules, de leurs pieds. Des anges aux cornes enflammées les tenaient, les frappaient de leurs cornes leur bouchaient les narines et leur disaient : «Pourquoi n'avez-vous pas fait pénitence et servi Dieu au temps où il convenait de le faire ? »
J'interrogeai l’ange : «Qui sont ceux-ci, seigneur?» Il me dit : «Ce sont ceux qui, revêtant notre vêtement, paraissaient renoncer au monde en faveur de Dieu, mais que les obstacles du monde rendirent misérables : ne témoignant aucune charité, ils n'ont pas eu pitié des veuves et des orphelins, ils n'ont pas accueilli l’étranger et, le voyageur, n'offrant pas même le moindre don, ils n'ont pas été compatissants envers leur prochain. Il n'est pas un seul jour où leur prière soit montée pure jusqu'au Seigneur Dieu : nombreux furent les obstacles du monde qui les détournèrent et les empêchèrent de faire le bien sous le regard de Dieu. » .
Les anges les envoyaient tout autour du lieu des tourments, et ceux qui déjà souffraient ces peines disaient en les voyant : «Nous, tandis que nous vivions dans le monde, nous avons négligé Dieu, et vous, vous avez fait de même Mais nous, nous savIOns bien que nous etions pecheurs, tandis qu'à vous l'on disait : " Ceux-ci sont des JuStes et des serviteurs de Dieu. " Maintenant, nous le savons : vous n'en aviez que le nom.» Voilà pourquoi ces gens-là purgent leur peine.
Je soupirai et pleurai, disant : «Malheur aux hommes ! Malheur aux pécheurs ! Pourquoi sont-ils nés ? » L’ange me répondit : «Pourquoi pleures-tu? Es-tu plus compatissant que le Seigneur Dieu, qui est béni pour les siècles des siècles, qui a établi le jugement, qui donne à chacun la liberté de choisir, de sa propre volonté, le bien ou le mal et lui laisse faire ce qui lui plaît? » Alors je pleurai encore plus. Il me dit : «Tu pleures, alors que tu n'as pas encore vu les plus grands supplices? Suis-moi et tu verras des peines sept fois pires. »
Il m'emporta vers le nord et me mena au-dessus d'un puits, que je trouvai scellé de sept sceaux. L'ange gui m'accompagnait dit à l'ange de ce lieu : « Ouvre ce puits, afin que Paul, le bien-aimé de Dieu, voie : il a reçu licence de voir toutes les peines de l’enfer. » L’ange me dit : «  Tiens-toi à distance, pour que tu puisse supporter la puanteur de ce lieu. » Lorsque fut ouvert le puits, il s’en échappa aussitôt une puanteur épouvantable, pire que toutes les peines. Je regardai dans le puits et je vis des masses enflammées de tout côté ; l’étroitesse du lieu était telle que, dans le conduit d’entrée, un seul homme pouvait passer.
L’ange me dit : « Si quelqu’un est envoyé dans ce puits et si celui-ci est scellé, jamais plus il n’est fait mémoire de cet homme devant le Père, le Fils et le Saint-Esprit. » Je dis : « Qui sont-ils, seigneur, ceux qui sont envoyés dans ce puits ? Il me répondit : «  Ce sont tous ceux qui n’ont pas cru que le Christ s’est incarné et que la Vierge Marie l’a enfanté, tous ceux qui n’ont pas cru que le pain de l’eucharistie et la coupe de la bénédiction sont le corps et le sang du Christ. »
Je me retournai depuis le nord et regardai vers le couchant : je vis là-bas le serpent qui n’a jamais de repos, en ce lieu où s’entend le grincement de dents. Les serpents mesuraient une coudée et avaient deux têtes. Je vis là des hommes et des femmes, dans le froid et le grincement de dents.
J’interrogeai l’ange : « Seigneur, qui sont-ils ceux qui se trouvent en ce lieu ? » Il me répondit : « Ce sont ceux qui disent que le Christ n’est pas ressuscité d’entre les morts et que la chair ne ressuscite pas. » Je demandai encore : « Seigneur, n’y a-t-il ni feu ni chaleur en ce lieu ? » Il me dit : « Il n’y a ici que froid et que neige », puis il ajouta : « Même si le soleil brille au-dessus d’eux, ils ne se réchauffent pas, tant ce lieu surabonde en froid et en neige. »
Quand j’entendis cela, je tendis mes mains, me mis à pleurer, et, en soupirant, je repris : « Mieux vaudrait que nous ne fussions pas nés, nous qui sommes pécheurs ! »
Ceux qui étaient en ce lieu, lorsqu'ils me virent pleurer à côté de l'ange, se mirent à crier en pleurant eux aussi : « Seigneur Dieu, aie pitié de nous. »
Alors, je vis s'ouvrir le ciel : l'archange Michel en descendit et, avec lui, toute l'armée des anges. Ils parvinrent jusqu'à ceux qui étaient dans les tourments. A cette vue, ceux-ci pleurèrent à nouveau et crièrent : «Aie pitié de nous, Michel, aie pitié de nous et du genre humain, car c'est par tes prières que subsiste la terre. Désormais nous avons vu le jugement et reconnu le Fils de Dieu. Il nous fut impossible de prier pour cela avant que nous n'arrivions en ce lieu. Avant de quitter le monde, nous avons entendu dire qu'il y avait un jugement, mais les obstacles du monde et la vie profane nous ont empêchés de nous repentir. »
Michel répondit : «Ecoutez la parole de Michel : je suis celui qui à toute heure demeure en présence de Dieu. Il est vivant, le Seigneur, celui en présence de qui je demeure. Ni la nuit ni le jour, je ne cesse de prier pour le genre humain. Oui, je prie pour ceux qui sont sur la terre, mais eux, sans relâche, commettent l'iniquité, la fornication, ils ne produisent rien de bon à mes yeux tandis qu'ils sont sur terre; et vous, vous avez gaspillé le temps où vous deviez vous repentir. Moi, cependant, j'ai toujours prié ainsi, et maintenant encore je prie Dieu pour qu'il envoie la pluie et la rosée sur terre, je prie pour que la terre produise ses fruits. Et je dis que si quelqu'un fait un peu de bien, je combattrai pour lui, je le protégerai pour qu'il échappe au verdict : des tourments. Où sont donc vos prières ? Où sont vos pénitences ? Vous avez honteusement perdu votre temps ! Maintenant donc, pleurez; je pleurerai avec vous, et ainsi feront les anges qui m'accompagnent, et Paul, le bien-aimé : voyons si le Dieu miséricordieux aura pitié de vous en vous accordera un peu de fraîcheur. »
A ces paroles, tous s'exclamèrent, pleurèrent amèrement et dirent d'une seule voix : « Aie pitié de nous, Fils de Dieu ! » Moi aussi, Paul, je soupirai et dis : «Seigneur Dieu, aie pitié de ce que tu créas : pitié pour les fils des hommes, pour ceux que tu fis à ton image ! »
Alors, je regardai et je vis se mouvoir le ciel : il était comme un arbre secoué par le vent. Soudain, tous se prosternèrent, face contre terre, devant le trône du Seigneur. Je vis les vingt-quatre vieillards et les quatre Vivants en adoration devant Dieu, je vis l'autel, le voile et le trône, et tous exultaient. Une fumée embaumée s'éleva auprès du trône divin et j'entendis une voix qui disait : «Quelle est la raison de votre prière, ô mes anges, mes serviteurs?» Ils s’écrièrent : «Nous prions, car nous voyons ta grande bonté envers le genre humain. »
Je vis ensuite le Fils de Dieu descendre du ciel, un diadème sur sa tête. Lorsqu'ils le virent, tous ceux qui étaient dans les tourments s'écrièrent d'une seule voix : «Pitié, Fils du Dieu très haut, toi qui as offert la fraîcheur à tous ceux qui sont dans les cieux et sur la terre, aie pitié semblablement de nous ! De t'avoir vu, nous nous sentons rafraîchis. » .
Alors, la voix du Fils de Dieu résonna à travers les tourments : «Qu'avez-vous fait pour que vous ayez à me demander d'être rafraîchis? Mon sang a été versé pour vous, et vous ne vous êtes pas repentis. Pour vous, j'ai porté une couronne d'épines sur ma tête, pour vous j'ai été souffleté, et vous ne vous êtes pas repentis. Quand j'étais sur la croix, j'ai demandé de l'eau, on m'a donné du vinaigre mêlé de fiel. D'une lance, on a ouvert mon flanc droit. A cause de mon nom, on a tué mes serviteurs, les prophètes et les justes. En toutes ces circonstances, je vous ai donné l'occasion de vous repentir, et vous avez refusé.
«Mais maintenant, à cause de Michel, archange de mon alliance, et des anges qui sont avec lui, à cause de Paul, mon bien-aimé, que je ne veux pas contrister, à cause de vos frères qui sont dans le monde et qui présentent des offrandes, à cause de vos fils que je trouve fidèles à mes commandements, et surtout à cause de ma propre bonté, je vous accorde, à vous tous qui êtes dans les tourments, un repos d’un jour et d’une nuit pour être rafraîchis : et ce sera, pour l’éternité, le jour où je ressusciterai d’entre les morts. »