DECLINAISONS PLASTIQUES DU DIABLE
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☞ Figures romanes de Satan et de ses créatures.
Représenté sous de nombreux aspects, Satan, tentateur rusé et multiforme, est une des figures les plus familières des édifices des XI-XIIe siècles. Depuis les tympans et les chapiteaux, grimaçant ou ricanant,- à la fois ange déchu, humain, animal et créature monstrueuse - le Mauvais poursuit l'homme médiéval qu'il ne cesse d'interpeller.
Quelle que soit la crédibilité qui lui est de nos jours reconnue il est à l'époque une allégorie du Mal. L'homme roman craint le Malin qui est pensé guetter en permanence l'occasion de saisir les moindres faiblesses humaines. Satan est omniprésent dans la culture du temps qui rapporte ses effrayantes manifestations.
Ainsi, Raoul Glaber - un moine de l'an mil - a écrit une histoire en cinq livres : Historiarum libri quinque ab anno incarnationis DCCCC usque ad annum MXLIV (Cinq livres d'histoires depuis l'an 900 après l'Incarnation jusqu'en l'an 1044) qui relate, au cours du Livre V, une apparition du diable sous les traits d'une répugnante créature .
Un personnage « de petite taille, avec un cou frêle et le visage maigre ; il avait les yeux tout noirs, le front creusé par les rides, le nez écrasé et une bouche proéminente avec des lèvres épaisses ; son menton était étroit et pointu, il avait une barbiche de bouc, les oreilles hérissées et pointues, les cheveux hirsutes, des dents de chien, un crâne allongé, la poitrine enflée, le dos bossu et les fesses tremblantes. Couvert de vêtements immondes, encore bouleversé par l'effort, il s'agitait de tout son corps. »
Arnoux, Mathieu. Raoul Glaber, Histoires, Brespols, 1996, p.275 cité par Vincent Giguère, Le diable au Moyen Age http://www.hst.ulaval.ca/actint/Diable/DiableWeb/raoul_glaber_an_mil.htm
Les attributs du diable, perçu comme l'esprit du Mal, vont se rencontrer dans toute l'imagerie romane. Ange déchu, dans la pensée judéo-chrétienne, en voulant défier Dieu, en se voulant son égal et en le rejetant, il a rejeté le Bien et il est à l'origine du Mal.
L'évangéliste Jean écrira : " Il a été meurtrier dès le commencement, et il ne se tient pas dans la vérité, parce qu'il n'y a pas de vérité en lui. Lorsqu'il profère le mensonge, il parle de son propre fonds; car il est menteur et le père du mensonge » Jean 8 . 44 .
C'est l'imagerie romane qui mettra sur le devant de la scène cet être maléfique cherchant à séduire, dévoyer et harceler les hommes faibles et pécheurs. Dans leur foisonnante figuration de Satan et des activités diaboliques les imagiers romans, mettant en scène toujours plus les vices que les vertus, manifesteront une riche inventivité figurative.
Les textes canoniques n'apportant que peu de description sur l'au-delà de ce monde, c'est dans certains écrits apocryphes que les maîtres-sculpteurs puiseront une partie de leur inspiration pour évoquer dans la pierre le paradis mais surtout l'enfer.
☞ Le lecteur intéressé pourra trouver une sélection de textes choisis en fin de site à la page APOCRYPHES.
☞ Rappels de quelques clefs générales de lecture.
L'homme occidental actuel tend à mener sa vie dans une société sans lien institutionnel obligé avec le monde d'en haut. Pour la plupart des hommes de ce temps l’existence va comme elle va ; les affaires ordinaires de la vie suffisent à les accaparer.
Jadis c’était la société qui donnait sens à la vie des hommes. Dans la vision médiévale du monde le corps en tant que tel n’existe pas. L’âme lui est toujours étroitement associée et le souci de l’au-delà est largement partagé.
Pour l'homme roman les conséquences dévastatrices du péché sont l'angoissante et lancinante question. Il sait que toute sa vie sur terre, et son sort éternel, gravitent autour de ce drame. Il ne cesse de le scruter, de le retourner à la lumière de la révélation, de chercher les incidences de la grâce dans le lourd composé humain ; il réfléchit sur ses expériences de pécheur - que son péché entraîne irrésistiblement vers le bas, que la grâce soulève quand même vers le ciel.
Ainsi, l'un des moyens les plus usuels retenus par l'Église pour combattre l'avarice ou la luxure a été de stigmatiser ces péchés dans les représentations de l'enfer, souvent au tympan des portails du jugement dernier. Ainsi, la disqualification directe de comportements peut-être signifiée par son châtiment.
Au Moyen Âge les scènes des transgressions sont globalement des images de norme, elles sont là à titre moralisateur. Elles sont produites par les commanditaires dans une logique didactique reposant sur l'image du mal. En un sens de telles figurations feraient partie de l'ordre.
Le maintien de l'ordre passe ici par l'image de ce qu'il ne faut pas faire. L'autorité médiévale estime que les comportements conformes aux valeurs normatives - les modèles - sont plus aisément favorisés par la représentation de ce qu'il n'est pas permis de faire - les contre-modèles. Dans cette perspective l'anormal semble pouvoir renvoyer à la norme édictée par l'Eglise, source majeure des valeurs morales.
Pour Gil Bartholeyns, Pierre-Olivier Dittmar, Vincent Jolivet, non seulement les autorités religieuses ont produit des images officielles des bons comportements, mais plus encore ce sont ces mêmes commanditaires qui seraient expressément à l'origine des représentations des pratiques qu'elles condamnaient le plus.
Au-delà de leur exemplarité les images de contre-modèles ne peuvent être saisies que par référence à des canons, à des modèles strictement définis. Dans la terminologie de nos auteurs " le couple norme-transgression se traduit visuellement par l'opposition entre modèle et contre-modèle " ( 2008, p.64 ).
A suivre la thèse de ces auteurs l'image médiévale aurait ainsi la particularité de reposer sur le recours à des modèles et plus encore à des contre-modèles élaborés tous à partir de la norme.
On serait ainsi devant une tentative pour représenter la conception chrétienne du bien et du mal à l'aide de catégories nettes. Il apparaît moins difficile de rappeler la conformité par des actions déviantes.
Sans doute est-il plus édifiant et plus facile de réaliser des images de l'enfer susceptibles d'inspirer de bons comportements par la crainte du châtiment que de suggérer l'état de béatitude céleste.
Evidemment, aujourd'hui, dans une logique sociétale entièrement différente, ce ne serait guère concevable de recourir à des images d'actes mauvais pour définir l'acte bon.
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