DES CENTAURES ET DE LEURS CIBLES
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Ancien prieuré de Perse, Espalion, Aveyron. Crédit photo : Jacques Martin.
Sagittaire chevelure et carquois au vent bandant son arc vers sa cible déjà transpercée par une première flèche.

Dans la symbolique médiévale les hybrides mi-homme mi-animal incarnent la dualité de la nature humaine.

Les centaures sculptés se présentent fréquemment sous les traits d'êtres équipés d'arcs décochant des flèches vers une cible située sur la même composition scénique ou existant à proximité immédiate sur des champs sculptés contigus.

Les cibles visées - animal contemporain ou créature fabuleuse - sont de deux ordres selon le type de valeurs opposées négatives ou positives auxquelles elles se réfèrent (Pierre-Yves le Prisé, 2010 ).


✏︎ CIBLES VISEES A CONNOTATIONS POSITIVES

Le cerf est l'animal le plus couramment figuré en tant que cible. Il véhicule une symbolique courante au Moyen Âge.
Il bénéficie à l'époque d'une image très positive ; le Physiologus rapporte que pour reprendre des forces, il dévore des serpents. Il devient le symbole de Jésus, vainqueur du démon. La légende de saint Hubert reconnaîtra en lui le signe du Christ.

Le cerf, comme l'oiseau, symbolise les énergies spirituelles. Il représente fréquemment l'âme chrétienne à la recherche de Dieu, l'eau vive. Ce serait alors ici une allusion au combat spirituel de l'âme contre les forces démoniaques.

Lorsqu'un personnage veut s'élever dans le domaine spirituel, les sculpteurs l'associent également avec l'oiseau qui symbolise le monde d'en haut.


* SAGITTAIRE ET CERF

Chapiteau de l'église Saint-Pierre de Melle, Deux-Sèvres.

Un centaure bande son arc vers un cerf : au second degré on pourrait dire que le but est clairement précisé. Du point de vue symbolique le cerf désigne le Christ. C'est une illustration de l'homme entendant entamer une transformation de son être profond désirant que l'esprit l'emporte sur l'animalité. L'intention du personnage en cours de transformation est de tendre vers le Seigneur.


Crypte de l'église de Saint-Parizé-le-Châtel, Nièvre.

Ici le centaure coiffé d'un bonnet pointu a déjà décoché une flèche qui a traversé le cou de l'animal qui tourne alors la tête vers le tireur ; cela pourrait signifier que le centaure a commencé son renouvellement ; autrement dit la démarche semble avoir été couronnée de succès.



Eglise Saint-Pierre d'Aulnay-de-Saintonge, Charente-Maritime.

Une représentation originale d'un thème classique : les protagonistes sont en position debout sur leurs pattes postérieures. Le centaure-archer barbu effectue un mouvement de retournement ( physique comme spirituel ) pour viser le cerf qui lui tourne le dos.



Eglise de Gargilesse, Indre.

Malgré l'état dégradé par l'humidité on discerne un cerf dont le cou a été transpercé par une flèche décochée par le centaure représenté sur la face latérale gauche. Le centaure a touché son but ; il a fait siennes les valeurs spirituelles représentées par le cerf.


Eglise Saint-Trojan, Rétaud, Charente-Maritime.
Les modillons comportent aussi la classique composition du centaure et du cerf ; mais une différence importante mérite d'être relevée : le torse du centaure est retourné. Cela signifie que l'homme en question s'est transformé.



Saint-Gilles du Gard.

Elégante représentation d'un centaure chassant le cerf. Les deux créatures son inscrites chacune dans un médaillon ; ces cercles sont passés l'un dans l'autre; ce qui signifie qu'ils sont symboliquement unis.
Notons la présence entre les deux médaillons en haut d'un oiseau et en bas d'une sirène soufflant dans une conque ; double évocation du ciel et du monde des profondeurs.



  • Relief piédroit de la façade du prieuré Sainte-Marie de Serrabone, Pyrénées-Orientales.

  • Sur un très beau chapiteau en marbre rouge on peut voir un centaure opposé à un cerf qui paraît esquisser un mouvement de recul.

* CENTAURES ET OISEAUX



Saint-André de Bagé, Crédit photo : Eduard.
Le Sagittaire pointe sa flèche vers un oiseau dont la tête est tournée vers la fleur en haut de la corbeille. Dans l'imagerie romane l'oiseau symbolise les énergies spirituelles.



Eglise San Pedro, Olite, Navarre.

Un sagittaire décochant une flèche vers un oiseau - endommagé- qui lui fait face ; une fois encore l'homme désirant dépasser son animalité cherche à ressembler à la cible visée.

✏︎ CIBLES VISEES A CONNOTATIONS NEGATIVES


* CENTAURES ET SIRENES


Depuis la mythologie grecque les sirènes qui séduisaient les marins par leurs chants et les entraînaient vers la mort ont fasciné l'imaginaire des hommes. La sculpture romane les représente aussi bien avec un corps d'oiseau selon la tradition grecque qu'avec un corps de poisson selon les mythes germaniques.
Les dames oiseaux et les femmes poissons sculptées dans la pierre ont sans aucun doute une dimension symbolique.
La sirène doit-elle toujours être vue comme un symbole d'attraction et de séduction ? Pour reprendre les termes de la spécialiste du domaine, Jacqueline Leclercq-Marx, il semble que l'on puisse dire que : " les sirènes oiseaux apparaissent davantage comme incarnations démoniaques que les sirènes poissons utilisées surtout comme symbole de luxure ", cité par Solène Daoudal, 2007, p.95.
Mais peut-on décrypter de façon univoque le sens plénier de ces créatures monstrueuses si nombreuses aux murs des églises romanes ?
La sirène peut-elle être, dans certains cas, réhabilitée dans la mesure où elle pourrait symboliser un certain contrôle de la démarche à des fins spirituelles comme le suggère Anne et Robert Blanc ? L'être hybride qu'est le centaure figure ainsi l'être humain en quête de renouvellement.




Eglise San Pedro, Estella, Navarre.

Sagittaire décochant une flèche vers une sirène à double queue.
Des auteurs comme Anne et Robert Blanc ont tenté une réhabilitation de la sirène en émettant l'hypothèse qu'elle était, dans l'imagerie romane, un moyen d'exploration des contenus intérieurs les plus profonds de l'être humain. En bref, ils proposent de considérer la sirène comme un guide pour le voyage au plus profond de l'homme.


Eglise Saint-Pierre de Bessuejouls. Aveyron. Crédit photo : chapiteaux.free.

Deux léo-centaures sont adossés; leur tête garnit les angles; sur leur dos se présente de face une sirène bifide ; la double-queue est tenue d'une main par chaque centaure ; de l'autre, le personnage figuré en cours de conversion tient le feuillage de l'arbre de vie.


Saint-Paul de Mausole, Bouches-du-Rhône.

Le centaure décoche une flèche vers une sirène située sur le chapiteau voisin à queue curieusement quadruple. La sirène étant, dans une certaine perspective, le symbole d'une aptitude à descendre dans les propres profondeurs humaines.



Ancien monastère Sant-Pare de Galligants à Gerone, Navarre.

Deux centaures encadrent une sirène-poisson tenant un poisson dans chaque main ; le poisson étant un symbole de ce que nous ne voyons pas mais qui se trouve dans nos propres profondeurs ? La sirène diront alors A. et R .Blanc sont le symbole du guide qui va inciter l'homme à tirer au clair tout ce qui est au fond de lui-même.


Eglise San Pedro, Olite, Navarre.
Sagittaire couronné décochant une flèche vers une sirène-oiseau.


La Sauve-Majeure, Gironde.

D'autres attributs ont une coloration franchement négative car ils rappellent une inspiration païenne à l'instar du bonnet phrygien qui coiffe ces sirènes des airs.


* CENTAURES ET CREATURES APPARTENANT AU MONDE MALEFIQUE ( ? )


Cathédrale Saint-Lazare, Autun, Saône-et-Loire. Crédit photo :
Eduard

Le sagittaire tire une flèche sur une créature fabuleuse : faut-il voir dans ce geste une volonté de lutter contre le péché qui fait que sa part d'animalité l'emporte sur son être spirituel ?


Abbaye royale de Nieul-sur- l'Autise, Vendée.

Un petit chapiteau en mauvais état du cloître comporte deux centaures reliés par un collier bandant leur arc chacun non pas vers un cerf, mais vers ce qui semblerait des êtres malfaisants. Est-ce une autre version du combat de la partie animale et de la partie spirituelle de l'être humain ?


Abbaye royale de Nieul-sur- l'Autise, Vendée.

Le même thème se retrouve sur un des portails de l'abbaye qui est de la même façon décoré de centaures tirant à l'arc sur de petits mammifères.



Chapiteau Saint-Austremoine, Issoire, Puy-de-Dôme.


Deux centaures fort barbus et velus brandissent deux lapins à l'œil délibérément souligné par l'artiste. Cette représentation singulière entend-elle être une forme de référence à la luxure car à la période médiévale le lapin, à l'instar de la sirène, évoque cette luxure souvent dénoncée ?


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